"On se rappellera aussi les déclarations de Giono qui disait que Dominici, de la fameuse Affaire [un assassinat d'une famille anglaise en Provence en 1952], n'avait un vocabulaire que de « 30 à 35 mots, je les ai compté » . Or ce genre d'observation est généralement considéré à décharge ! On imagine mal que ce soit le procureur qui ajoute l'analphabétisme aux chefs d'accusation. Le fait que ce soit le cas contre les jeunes de nos jours semble montrer que c'est plutôt le niveau des adultes qui baisse.
Mais l'observation de Giono était douteuse elle-aussi en cela qu'il s'agissait plutôt de déficience en langage juridique ou en français standard. Le patois local est une langue qui comporte autant de mots (sinon plus) que le français. Un paysan connaît le nom des choses et des activités de sa région, de son métier, tout autant qu'un spécialiste du droit celui des notions de son domaine. C'est la grande naïveté des intellectuels de croire qu'ils constituent l'alpha et l'oméga de la culture. Précisément, le travail d'un intellectuel devrait être de ne pas dire (trop) de conneries. Celui qui ne fait pas son travail ne vaut pas mieux qu'un chirurgien esthétique qui charcute un patient.
Je ne sais pas si ces connaissances sur les langues, les patois ou les argots des jeunes, appartiennent aux 50 (ou aux 500) notions que devrait connaître une personne instruite, mais je constate que ce n'est pas le cas. Barthes fera de l'affaire Dominici un article d'une de ses Mythologies, où il affirmera que le verdict avait été rendu sur une conception très littéraire de la psychologie plus que sur des faits, aggravée par les écarts linguistiques. Il conclura : « Voler son langage à un homme au nom même du langage, tous les meurtres légaux commencent par là ». J'avais trouvé que Barthes en faisait un peu trop quand j'avais lu ses Mythologies. Les personnes présentes n'ont pas dû le lire. Ce n'est pourtant pas un livre si difficile.
source :
http://www.exergue.com/h/2006-06/tt/niveau-debat.html