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MessagePosté :09 nov. 2006, 20:36 
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Voici un livre sur la justice. Il est récent puisqu’il a été achevé d’imprimer le 14 novembre 2005.


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En voici deux extraits.

D’abord, ce que raconte un chef enquêteur de la police judiciaire.


Laurent Laclau-Lacrouts, secrétaire national chargé de l'investigation au sein du syndicat majoritaire Alliance, est chef enquêteur au groupe criminel de la première division de police judiciaire.
Laurent Laclau-Lacrouts bénéficie de dix-sept ans d’expérience en police judiciaire. Il ne compte plus les auditions de suspects. Il explique ici les réalités de son métier, et, partant d’exemples vécus, témoigne des risques d’erreur que peut rencontrer tout policier. Il s'explique enfin sur le déroulement des gardes à vue, procédure si souvent décriée par les innocents qui y font face.



Ce qui est intéressant, c'est de mesurer la complexité de notre tâche, à nous, policiers. Je comprends que les personnes innocentes en veuillent parfois aux policiers qui les ont incriminées. Mais parfois, la vérité est si difficile à dégager... En particulier dans ces histoires de moeurs, dans lesquelles on ne dispose d'aucun élément matériel. On ne s'appuie que sur notre intime conviction, autrement dit sur ce qui ressort de l'étude de l'ensemble des éléments du dossier, en dehors des preuves. Ce n'est pas facile.
Parfois, il m'arrive de ne pas avoir d'avis tranché. Alors forcément, il faut être capable de mettre de la pression sur la personne. La garde à vue n'est pas un gentil entretien. C'est avant tout un rapport de force. Je sais qu'il faut que je bouscule le suspect pour qu'il puisse me dire la vérité. Il n'y a pas de méthode particulière. On s'adapte en fonction du tempérament du suspect. Il faut parfois être plus calme, parfois plus incisif. On enchaîne les questions, c'est intensif. Mais je pars d'un principe : celui qui dit la vérité ne se contredit pas. Celui qui ment commet une erreur, à un moment ou à autre. A moins qu'il ne soit très fort.
Cette pression est essentielle. Si on ne la mettait pas, on ne pourrait pas espérer grand-chose. Une garde à vue ne dure que 48 heures. C'est très peu. D'autant que cette durée est extrêmement fragmentée. Le suspect peut bénéficier d'un entretien avec un avocat, il peut aussi consulter un médecin... Sans compter ses repas, son temps de repos... Tout est consigné dans les procès-verbaux, et on doit se tenir à ces réglementations. Au total, sur 48 heures de garde à vue, il ne faut pas espérer plus de huit à dix heures d'interrogatoires effectifs. C'est très peu. Il faut donc savoir être efficace, aller à l'essentiel. Bousculer le suspect, le faire parler. Mais pas n'importe comment. Le but de toute cette intimidation n'est pas de faire avouer à tout prix la personne inculpée. De simples aveux ne veulent rien dire. Quand on met 48 heures de pression sur quelqu'un de fragile, on peut tout obtenir. Notamment sur une per¬sonne qui n'a jamais eu affaire à la justice, qui se retrouve complètement perdue, impressionnée par le contexte. Certains suspects fragiles sont capables d'avouer n'importe quoi pour se défaire de la pression. Même un meurtre ou un viol... On le sait, et c'est à nous, policiers, de prendre de la distance. Ainsi, quand à la fin d'une garde à vue ou d'une enquête, je n'obtiens que les aveux de la personne, je considère que j'ai échoué.
Ce que l'on recherche avant tout, ce sont des aveux circonstanciés. C'est-à-dire lorsque le suspect dévoile des éléments que seul l'auteur du crime peut connaître. Tantôt ce sera l'arme du crime, tantôt ce sera la description du lieu, ou encore, celle des habits de la victime. De tels aveux sont intéressants : car ils signifient que soit la personne interpellée est bien l'auteur du crime, soit elle était présente au moment de l'acte, soit encore elle en a entendu parler. Autant d'hypothèses qui feront nécessairement avancer l'enquête.
Il ne faut pas se leurrer. Si je fais venir une personne en garde à vue c'est parce que j'ai assez d'éléments pour la faire venir. La présomption d'innocence, c'est de la grande phrase. Les suspects que je vois sont avant tout en présomption de culpabilité. Il y a déjà des éléments à charge, et la personne en face de moi va devoir se défendre. Ce qui ne veut pas dire que je la considère coupable d'entrée. Mon avis peut évoluer. Je fais une enquête à charge et à décharge. Pas à sens unique.
Il existe parfois une incompréhension sur les méthodes policières. Les suspects croient que notre but est de les brimer, de les humilier. Par exemple, ils ne comprennent pas toujours pourquoi on les fouille. Pourquoi on leur enlève lacets, ceinture, lunettes, et bijoux... Ils y voient une façon de les placer en infériorité. Je comprends qu'on puisse le penser : une personne à qui on a enlevé les lunettes ne voit plus rien, elle se sent perdue. Une autre à qui on a retiré la ceinture et qui doit retenir son pantalon de ses mains semble ridicule... Certains peuvent ainsi croire qu'on cherche à se moquer d'eux. Ce n'est pas ça. On n'a tout simplement pas le choix. Ces mesures sont avant tout des mesures de sécurité. Pas des mesures vexatoires. Le but de ces fouilles est d'empêcher les suspects de se suicider. Il suffit d'un rien, en cellule, pour passer à l'acte. On doit donc veiller à la sécurité du suspect. Surtout quand on sait que ce sont les personnes innocentes qui sont les plus susceptibles de se suicider. Peu habituées à la pression policière, elles se retrouvent très vite au bout du rouleau. Je les comprends: du jour au lendemain, elles passent d'une petite vie bien réglée à des interrogatoires intensifs, dans un environnement pas franchement sympa.
Certaines attitudes m'interpellent. J'ai eu peu de doutes au cours de ma carrière. Il ne faut pas oublier que les erreurs judiciaires sont rares. Les suspects sont plus souvent des truands ou des malfaiteurs habitués au commissariat que des citoyens sans reproches n'ayant rien à voir avec l'enquête. Mais parfois, on se pose des questions. Il m'arrive de me sentir perdu sur certaines affaires. De me dire à moi-même, en voyant le suspect prêt à passer à la trappe: « Imagine qu'il ne soit pas le coupable! » Je vois déjà les conséquences. Les suspects, je sais tout d'eux: s'ils sont mariés, s'ils ont des enfants, leur milieu social... Je peux facilement imaginer les dégâts que je peux provoquer. Et même si la personne est innocentée par la suite, je sais qu'il restera toujours une trace de son passage chez nous. Je manie des vies humaines parfois fragiles. Je ne l'oublie pas.
Tout policier met de l'affectif dans son travail. Ces meurtres, ces viols, ces vies brisées que je vois à longueur de journées... Forcément, je suis remué. Combien de fois suis-je revenu d'une enquête le coeur retourné ? Je sais d'ailleurs que certaines affaires sont trop lourdes pour moi. Par exemple, travailler sur des dossiers de pédophilie. Je sais que je ne pourrai jamais m'occuper de ça. Car ces histoires me révoltent trop. Peut-être parce que moi-même j'ai des enfants. Je suis en tout cas certain de ne pas conduire mon enquête de façon assez objective. Car j'aurai un a priori trop négatif sur les suspects. Je serai capable de vouloir les enfoncer pour leurs crimes plutôt qu'autre chose. Donc, je préfère ne pas y toucher. Il est essentiel d'avoir un affect équilibré par rapport aux affaires. C'est l'une des clefs qui permet de ne pas se tromper. Un policier qui n'éprouve rien face à une galerie de cadavres doit changer de travail. Mais à l'inverse, celui qui laisse son émotion prendre le dessus, soit en faisant du dossier une affaire personnelle, soit au contraire en pleurant avec les suspects, celui-là doit aussi arrêter. C'est cet équilibre qu'il faut rechercher.
Je tiens pourtant à rappeler quelque chose aux personnes qui nous lisent. Le policier n'est qu'un maillon de la chaîne. Ce n'est pas moi qui condamne ou innocente les gens. C'est le juge. Le rôle du policier est de dégrossir le dossier. De présenter les résultats de son enquête, avec les éléments à charge et à décharge. Je dois donner aux magistrats le maximum d'éléments pour qu'ils puissent juger au mieux. Quand, à la fin d'une garde à vue, je n'ai pas d'avis tranché, j'en fais part personnellement au juge. Je peux lui produire un rapport administratif, consignant mes impressions personnelles. Après, c'est à lui de voir. Il est maître de l'instruction : il peut demander des compléments d'enquêtes, de nouvelles investigations, des expertises, selon la piste qu'il souhaite approfondir. Il a le temps qu'il faut pour cela. Les instructions sont longues. Pas les gardes à vues. Le juge travaille sur la durée. Le policier, lui, travaille à chaud. Le juge décide. Le policier exécute. C'est la grande différence. Il ne faut pas l'oublier. Pour moi, un gars qui a fait dix ans de trou pour être finalement blanchi, la responsabilité en incombe à la magistrature. Ou encore à son avocat, qui n'a pas su exploiter les failles de l'accusation. Ces deux parties disposent de tellement d'outils pour faire jaillir la vérité! Dans tous les cas, ce n'est pas le policier qui tranche.


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MessagePosté :09 nov. 2006, 20:45 
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Et un autre d'une juge d'instruction.

Véronique Imbert est juge d'instruction, vice-présidente du tribunal de grande instance de Marseille, et membre du conseil national de l'Union syndicale des magistrats (USM).
Véronique Imbert est juge d'instruction depuis dix-sept ans. Selon ce magistrat expérimenté les erreurs judiciaires restent exceptionnelles: la loi est bien faite et les garde-fous sont nombreux, affirme-t-elle. Ce qui ne 1 empêche pas de reconnaître qu'il existe toujours un risque. Elle-même s’est déjà trompée, comme elle l’explique ici. Un témoignage qu elle souhaite replacer dans le contexte souvent difficile qui entoure les juges d'instruction.


Certaines personnes ont du mal à le croire, mais une instruction est toujours menée à charge et à décharge. Pas uniquement à charge………………..
Comprenez bien: je ne suis pas payée à la condamnation ou au mandat de dépôt. Je n'ai aucun intérêt particulier à charger un suspect. Et je ne me sens pas déjugée lorsqu'un suspect est reconnu innocent. Si je l'ai impliqué, c'est simplement que j'avais les éléments pour le faire, à un moment donné de l'enquête. Il se peut que les mois passant, de nouveaux éléments viennent le blanchir. Tant mieux: c'est le propre d'une instruction. Parfois, de nouveaux éléments peuvent apparaître après l'instruction, alors que j'ai déjà renvoyé le suspect devant une juridiction. C'est extrêmement rare, mais ça peut arriver. On ne peut pas attendre du juge d'instruction qu'il fasse immédiatement la lumière sur des affaires parfois très complexes. On est obligé de prendre du temps et des précautions.
Lors d'une instruction, j'écoute toutes les parties : l'accusation et la défense. On reproche aux juges d'instruction de ne pas laisser la parole à l'accusé? Je réponds que c'est faux. Dès le premier rendez-vous avec le suspect, lorsqu'il m'est présenté, il peut me parler, je l'écoute. Certes, je ne peux pas toujours me permettre d'accorder des heures à chaque suspect. Il faut aller vite. Je prends davantage de temps lorsque la personne a avoué les faits en garde à vue, car je dois m'assurer de la véracité de ces aveux. Être certaine qu'ils ne sont pas inventés pour je ne sais quelle raison. Par contre, lorsque j'ai devant moi un suspect qui continue à nier et à clamer son innocence, là, je ne passe pas trois heures à l'entendre. Il est alors plus utile de se concentrer sur l'instruction. Mieux vaut laisser parler l'enquête.
Je ne peux pas me baser sur les seuls dires ou même les pleurs des suspects. Je ne peux pas me permettre de pleurer avec eux. Je suis là pour faire avancer une instruction, en recueillant des éléments concrets. Les gens me jugent peut-être très froide. Mais je n'ai pas à mettre d'affect dans mon travail. Sinon, je suis fichue. Être juge d'instruction demande du caractère. C'est un métier dur. Je reçois toutes les souffrances du monde dans mon bureau. Si je commence à prendre les choses affectivement, je ne peux plus faire mon travail sereinement. Il faut absolument prendre du recul par rapport aux dossiers. Il faut se blinder. Au risque peut-être de paraître insensible à la personne qui est en face. Les juges qui montrent de l'empathie, voire de l'amitié avec les accusés commettent une erreur. Même si nous ne pouvons qu'être touchés par ces souffrances qui s'expriment devant nous.
Si les gens nous trouvent distants et froids, c'est aussi parce que nous manquons de temps. Être juge d'instruction aujourd'hui, cela signifie traiter une vingtaine de dossiers par mois. Nous sommes constamment pressés par les délais. Un exemple, là encore, pour bien se rendre compte. Quand j'étais au tribunal d'Aix-en¬Provence, il y a une quinzaine d'années, j'avais à traiter quelque deux cent cinquante dossiers par an. Pour les sept cent mille habitants de la juridiction, nous étions quatre juges d'instruction. Je vous laisse imaginer le temps à consacrer pour chaque dossier. À Marseille, nous sommes mieux lotis avec une vingtaine de juges d'instruction pour neuf cent mille habitants. Mais dans tous les cas, on ne peut pas passer trop de temps sur chaque dossier. Il faut apprendre à jongler entre les affaires de stupéfiants, de moeurs, scandales financiers ou règlements de comptes. Aller vite, être efficace. Avec l'expérience, on sait mieux fixer les priorités.
D'une manière générale, les réalités du travail d'un juge d'instruction sont mal perçues. Un seul exemple, le plus sensible pour des innocents : la détention provisoire. Je comprends qu'un innocent effectuant plusieurs mois, voire des années de prison, en veuille terriblement au juge qui l'y a placé. Mais encore faut-il se poser la bonne question : le juge pouvait-il faire autrement ? Lorsque j'ai des éléments à charge contre une personne, je suis tenue de demander au juge des libertés son placement en détention provisoire. Pour plusieurs raisons : d'abord éviter que le suspect relâché ne fasse disparaître des éléments utiles au dossier, ou ensuite qu'il n'influence d'éventuels témoins. Ensuite empêcher qu'il provoque des troubles à l'ordre public, l'opinion ne comprenant pas toujours la libération d'un violeur, par exemple. Tout ceci est de ma responsabilité. Il faut que j'en tienne compte. Placer quelqu'un en détention provisoire n'est donc pas un moyen de pression supplémentaire sur l'accusé pour le faire parler.
Certes, il peut arriver aux juges de se tromper. J'en ai moi-même fait l'expérience. Doit-on pour autant être sanctionné de ces erreurs ? Je réponds sans hésiter : non. Pour plusieurs raisons. Premièrement parce qu'une décision de justice peut, dans la plupart des cas, faire l'objet d'un recours en appel ou devant la cour de cassation... Il n'est donc pas possible de rendre un magistrat responsable d'une décision. Car celle-ci est le fruit d'un travail collectif: le juge d'instruction, le parquet, le juge des libertés et de la détention, les magistrats du siège. C'est l'action de tous qui a produit cette décision. Dans ces conditions, qui sanctionner ? Je ne vois pas très bien...
En outre, la sanction d'un magistrat pour une mauvaise décision aurait des conséquences indescriptibles. Comment voulez-vous qu'un juge fasse sereinement son travail s'il est susceptible d'être sanctionné à chacune de ses décisions ? Il n'oserait plus condamner, de peur d'essuyer une plainte. Personnellement, je changerais de métier tout de suite, et de nombreux magis¬trats feraient de même.
Le juge est faillible. Il faut l'accepter. La volonté de chercher à tout prix un responsable ne m'étonne pas. On n'accepte plus le risque ou l'aléa. C'est extrêmement délicat d'expliquer cela sans paraître méprisant.


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