VIENT DE PARAITRE
AUTEUR : JACQUES FOLLOROU
EDITEUR : FAYARD
Collection : LITT.GENE.
PRIX 20 €
La présentation de l'éditeur
Un mois avant sa disparition, le 1er mai 1993, Pierre Bérégovoy remettait à son gendre deux lettres pour annoncer sa volonté de mettre fin à ses jours. La première lui était adressée, l'autre était destinée à François Mitterrand. D'un commun accord, ils déchirèrent celle écrite pour le chef de l'État. Quelques semaines plus tard, au bord d'un canal de Nevers, Bérégovoy se tua d'une balle dans la tête, soulevant une immense émotion dans le pays.
Dans cet ouvrage, de nombreux témoignages inédits éclairent les dessous d'une véritable descente aux enfers ; et l'on comprend que cette mort fut un acte réfléchi, commis par un homme profondément déprimé. Comptable de sa propre vie, il montra par ce geste une force intérieure méconnue, laquelle lui permit d'ailleurs de troquer, en l'espace d'une vie, sa casquette d'ouvrier et de cheminot contre le costume d'homme d'Etat.
Ce livre fournit également l'intégralité des éléments de l'enquête judiciaire sur les causes de la mort de l'ex-Premier ministre, qui tordent le cou à la fable conspirationniste d'un assassinat. Il lève aussi le voile sur une crainte qui a empoisonné la dernière année de la vie de ce fidèle serviteur de François Mitterrand : au-delà de son affaire de prêt accordé par un ami intime du chef de l'État, Roger-Patrice Pelât, Bérégovoy conservait un lourd secret, celui des fonds déposés en espèces sur son compte personnel par un autre ami de Mitterrand.
A la fin de sa vie, Pierre Bérégovoy fut l'objet d'un harcèlement constant des affairistes dont il goûta, à tort, la compagnie et le soutien souvent intéressé : Bernard Tapie, Samir Traboulsi, Pierre Aïm furent de ceux-là. L'échec historique du Parti socialiste aux élections législatives de 1993 acheva de le convaincre du bilan négatif d'une vie de labeur animée par une ambition dissimulée - la présidence de la République - dont les rares témoins racontent ici comment elle a guidé ses actes.
À travers ce destin tragique, c'est toute l'histoire de la gauche française qui se dévoile au lecteur, dans les dérives liées à la pratique du pouvoir, dans ses difficultés à concilier son héritage révolutionnaire et sa volonté de gouverner la France.
Journaliste au Monde depuis dix ans, chargé des affaires politico-financières, du banditisme et du dossier corse. Jacques Follorou a écrit trois ouvrages : Corse, l'État bafoué, Paris. Stock, 1999 ; Sans instruction, Paris, Stock, 2001 ; et, avec Vincent Nouzille, Les Parrains corses, Paris, Fayard. 2004.
Les premières lignes Extrait du prologue :
La perdition
1ER MAI 1993, NEVERS...
«Nevers. Quarante mille habitants. Bâti comme une capitale. Un enfant peut en faire le tour»... Mitterrand aurait pu faire siens les mots de son amie Marguerite Duras, dans Hiroshima mon amour, pour présenter la ville de Nevers à Pierre Bérégovoy. Leur relation n'a-t-elle pas prospéré sur le mode du fils transi face au père tout-puissant ? Fin 1982, le chef de l'État s'efforce de trouver un point de chute à ce fidèle collaborateur qui tente en vain, depuis des années, de conquérir un territoire électoral. En désespoir de cause, il lui propose Nevers, la place forte de la Nièvre, son fief historique.
Bérégovoy a toujours manqué de charisme et de racines, autant d'armes indispensables pour s'imposer sur les marchés comme dans les salles de meeting. Timidité et pudeur dominent ses contacts avec les gens et enlèvent tout naturel à ses gestes, souvent empruntés. C'est un homme d'intimité, de dossiers, non de théâtre. S'il est habité par son destin, il n'a pas la fibre démonstrative.
Homme au physique si peu révélateur de sa véritable nature, Bérégovoy ne laisse rien voir d'une profonde et farouche force intérieure. Son allure très commune, sa voix à peine audible, ses airs parfois gauches l'assimilent à un passe-muraille. Seules ses mains, lorsqu'il s'exprime, attirent le regard. Par leurs mouvements, elles expliquent, pointent, écartent, énumèrent, résument et tranchent tout en appelant l'approbation.
Bérégovoy ne s'est jamais opposé à une injonction présidentielle. Face au chef de l'État, il semble même perdre toute assurance et ressemble, d'un coup, au grand étonnement de ses proches, à un enfant impressionné. Il lui doit tout politiquement et cherche en permanence sa reconnaissance. Et voilà que le chef de l'État lui offre la mairie de Nevers pour les élections municipales de 1983. Il laboure donc cette commune, sans brio mais avec sérieux et persévérance, sous la protection de ce président à qui il ne peut rien refuser. Bien lui en a pris. Il est élu au second tour et conquiert cette écharpe de maire qui lui échappe depuis si longtemps. Il devient enfin un homme politique à part entière. Mais son destin est plus que jamais lié à son bienfaiteur, François Mitterrand.
Dix ans plus tard, le 1er mai 1993 célèbre donc le jour des travailleurs, mais surtout l'anniversaire d'un enracinement au sein d'une population neversoise qui a fini par s'habituer à lui et reconnaître ses mérites. La ville n'a pas eu à en souffrir, bien au contraire. Cette année-là, le 1er mai tombe un samedi. Rite immuable de sa vie politique, le député-maire Bérégovoy passe le week-end à Nevers. Il est arrivé le vendredi 30 avril et doit repartir le lundi 3 mai pour Paris. Sa famille l'a suivi dans la Nièvre. Sa fille aînée ainsi que sa soeur se sont établies dans la commune. Son frère Marcel n'est pas loin.