En fait, je repotasse le livre de Jean Ker, et j'ai retrouvé un élément que je n'avais pas pris en compte, c'est le témoignage de Clément Leblanc. Il faut dire que Jean Ker disperse toutes les infos sans faire de reconstitution chronologique des éléments, ce qui est un peu pénible à la longue, car il faut constamment sauter d'un châpitre à un autre. Néanmoins, j'ai retrouvé le passage sur Leblanc.

S'occupant du nettoyage des fosses dans les corons, Clément Leblanc avait été affecté le 5 avril (soir du meurtre) à une fosse située du côté de Bruay. Dans la soirée, il est en pause entre 19h00 et 21h00 et va flâner dans les rues de Bruay où il essaie, sans succès, de trouver un magasin encore ouvert pour acheter un transistor pour sa fille. Vers 19h50-20h00, il s'arrête dans un cul-de-sac, situé près de la rue Alfred-Leroy (donc pas loin du quartier du LDC) pour se soulager. A ce moment passe derrière lui un "couple", dont il distingue clairement l'homme: c'est le notaire, en compagnie d'une fille très jeune dont il ne distingue qu'une longue chevelure rousse-blonde. Dans la rue d'en face, il aperçoit Monique Mayeur, assise au volant d'une 204 ou 304 blanche à observer le "couple" qui marche avant de tourner et disparaître de vue.

Convoqué par le juge Pascal, Leblanc est confronté à Mayeur qui lui dit une phrase du genre "avec votre témoignage, vous risquez de m'envoyer tout droit en prison". La voilà l'énigme! Le voilà le secrêt que Leroy voulait absolument garder! Il avait réellement un alibi pour le meurtre de Brigitte, mais cet alibi n'était pas avouable: il flirtait avec une mineure, sous la complicité de Mayeur. A mon avis, c'est surtout pour ça qu'il mentait au juge et changeait constamment de version des faits car s'il lui avait sorti son véritable alibi, il aurait très surement été arrêté pour détournement de mineure.

Ca se tient.

Le notaire/Valmont et Monique Mayeur/la Merteuil, ou les Liaisons dangereuses 70 version pépère ? C'est fort possible ...

Cela innocenterait donc ce brave notaire du meurtre de Brigitte ?

Je suis persuadé que c'est ça car cela explique tout. D'autant plus que Jean Ker a eu l'occasion de rencontrer ce témoin, et celui-ci lui a paru très sincère. Pas le genre de personne accro au sensationalisme, comme ceux qui prétendent avoir tout vu dans le seul but d'apparaître à la télévision. Leblanc, au contraire, avait peur des journalistes et c'est pour ça qu'il n'est pas venu témoigner tout de suite.

De plus, son témoignage a été pris en compte par la justice puisqu'il a été convoqué par le juge Pascal. Cet abruti d'inspecteur Ollier n'a pas donné suite à ce témoignage, qui est alors tombé dans l'oubli, au plus grand soulagement de Leroy et des notables, dont on imagine aisément l'embarras...

Effectivement cela se tient, la crainte d'être entrainé dans une affaire de pédophilie. J'ai régardé le tout premier entretien de Monique MAYEUR, du journal TV du 19/04/1972, ou Mme Mayeur dit en substance, la "gêne" que cela peut amener lorque l'on découvre un cadavre près de sa propriété. Dans son allocution,elle ne fait part d'aucune compassion envers la victime, et l'on peut penser, que cet évênnement tombe bien mal à propos... pour leur petites affaires !

Si l'on se fie à l'interview de Jean Ker ainsi qu'à ce qu'en dit Gérard Justin dans son livre, le témoignage de Leblanc est à prendre avec des pincettes, malgré la bonne foi de celui-ci qui reste persuadé d'avoir aperçu le notaire dans l'Impasse Nouvelle.

Je rappelle l'avis de Jean Ker à ce sujet :

"Personnellement, je n'en suis pas convaincu. J'ai retrouvé dans cette impasse les parents de trois jeunes filles, dont le père aurait pu ressembler au notaire. D'ailleurs, certains soirs, celui-ci rentrait chez lui accompagné au bras de sa plus jeune fille."

Gérard Justin quant à lui écrit aux pages 121/122 de son livre "103, rue Royale" :

"Immédiatement, le juge met en présence pendant deux heures le notaire qui conteste s'être jamais trouvé dans l'impasse ce soir-là et Clément Leblanc qui lui trouve une ressemblance frappante avec l'homme qu'il a vu. Avec Monique Mayeur, la confrontation est plus rapide. La femme lui avait paru plus jeune, plus mince, ses cheveux étaient tirés en arrière. "J'ai la même coiffure depuis dix-sept ans", rétorque Mme Mayeur qui lui lance que s'il la reconnaît, il l'envoie en prison.

[...]

M. Leblanc est sérieux et sans conteste de bonne foi, mais les défenseurs du notaires font remarquer qu'il est assez étrange que ce dernier se soit promené, puisque le témoin précise qu'il marche normalement, au bras d'une jeune fille [...] D'autre part, l'Impasse nouvelle, qui n'a pas d'issue, si elle est proche de la rue Ranchicourt, ne communique pas avec elle et il aurait fallu que Leroy revienne sur ses pas et contourne la cité sur plus de 300 m pour aboutir à la plateforme où la victime a été vue la dernière fois à 19h45.

[...]

Une nouvelle reconstitution a lieu, le 12 juillet, Impasse nouvelle, à la suite des déclarations de Clément Leblanc qui confirme ses dires, à savoir qu'il reconnaît le notaire, "sa corpulence, sa démarche... et sa lèvre supérieure relevée", émet les mêmes réserves à propos de la femme entrevue dans une voiture "plus petite qu'une 504"."

En résumé on arrive aux constatations suivantes :

1/ La fille aperçue au bras de l'homme que Clément Leblanc dit ressembler au notaire ne peut pas être Brigitte Dewèvre, mais de toute façon il n'a jamais été question de ça.

2/ Il est très peu probable que la femme aperçue dans la voiture soit Monique Mayeur puisque Clément Leblanc ne la reconnaît pas et donne un signalement qui n'a pas grand chose à voir.

3/ Leblanc trouve que l'homme aperçu ressemble beaucoup au notaire. Toutefois il n'est pas exclu qu'il se soit agit d'un sosie puisque Jean Ker dit qu'un des habitants de l'Impasse Nouvelle ressemblait au notaire.

En conclusion, le témoignage Leblanc, aussi séduisant qu'il puisse être, tombe à l'eau à mon avis. On comprend aisément le désarroi du juge Pascal qui avait concentré toute son enquête sur le notaire.