JUSTICE. Avec la manifestation demain des magistrats et l'appel du personnel pénitentiaire au blocage des prisons, la ministre bat des records d'impopularité
Dati en difficulté
Schizophrénie. L'incompréhension est tout aussi profonde au sein de la magistrature, où l'on n'hésite plus à qualifier de « schizophrène » la politique pénale menée par la garde des Sceaux
Depuis l'annonce de sa grossesse, la cote de Rachida Dati remonte dans les sondages. En revanche, elle est en chute libre dans les palais de justice, à l'intérieur des centres pénitentiaires et au sein des services de protection de la jeunesse. Jamais un garde des Sceaux n'avait atteint un tel degré d'impopularité dans les rangs des fonctionnaires qui, à des titres divers, concourent au fonctionnement de l'institution judiciaire. Demain, les magistrats manifesteront dans la France entière, alors que les syndicats de surveillants appellent à un blocage total des prisons le 13 novembre prochain.
Tour de vis.
Depuis sa nomination, Rachida Dati respecte fidèlement les engagements pris par Nicolas Sarkozy au moment de la dernière présidentielle : priorité aux victimes, sévérité accrue à l'égard des mineurs délinquants, peines planchers appliquées aux récidivistes, répression renforcée contre les auteurs d'infractions sexuelles. Ce tour de vis sécuritaire débouche aujourd'hui sur une surpopulation carcérale explosive que la ministre a du mal à gérer. 62 843 détenus au 1er septembre pour 50 800 places.
Les prisons sont devenues des chaudrons, des machines à fabriquer de la délinquance, mais aussi des hôpitaux psychiatriques qui ne disent pas leur nom. Entre un quart et un tiers des détenus souffriraient de troubles mentaux graves, peu ou mal soignés. Depuis le début de l'année, les suicides se multiplient derrière les barreaux. 90 prisonniers, dont plusieurs mineurs, ont déjà mis fin à leurs jours. Loin d'apaiser le climat, les interventions de Rachida Dati font monter la tension.
« Caporalisme ».
Après le meurtre d'un détenu à Rouen par son compagnon de cellule, les directeurs de centre pénitentiaire ont très mal vécu l'instruction qui leur a été donnée de ne plus tenir compte des avis médicaux dans l'affectation des prisonniers. L'incompréhension est tout aussi profonde au sein de la magistrature, où l'on n'hésite plus à qualifier de « schizophrène » la politique pénale menée par la garde des Sceaux.
Il y a quelques semaines, plusieurs procureurs généraux, dont celui de Bordeaux, ont été convoqués à la chancellerie parce que les peines planchers n'étaient pas suffisamment prononcées dans le ressort de leurs juridictions. Cela n'a pas empêché Rachida Dati d'envoyer cinq inspecteurs des services judiciaires interroger en pleine nuit, dans les locaux de la cour d'appel de Metz, le procureur de Sarreguemines après la pendaison d'un adolescent multirécidiviste. Le magistrat avait fait mettre à exécution la peine de six mois de prison ferme prononcée à son encontre.
Au plus pressé.
Le curseur reste toujours bloqué sur le mot fermeté lors des discours officiels. Mais dans la pratique, les conseillers de la garde des Sceaux parent au plus pressé. Objectif : désengorger discrètement les prisons jugées à haut risque. Une directive récente enjoint à certains juges d'application des peines de placer sous bracelet électronique les condamnés à qui il reste moins de quatre mois de détention à effectuer. Surpeuplée, la maison d'arrêt de Gradignan, en Gironde, fait partie des établissements sous surveillance.
« J'ai vu un détenu sur un matelas par terre sous la table réservée à l'usage commun », relevait au mois de mai dernier le président du Conseil régional d'Aquitaine, Alain Rousset, visiblement secoué par ce qu'il venait de découvrir. Au quotidien, les magistrats supportent mal ce double discours qui navigue entre l'affichage de la répression et des injonctions pressantes pour aménager des peines. « Une sortie de prison, cela se prépare, insiste l'un d'eux. C'est sûr que s'il y a un pépin un jour, on dira que c'est de notre faute. »
Peu de moyens.
À moins d'adoucir l'arsenal répressif en vigueur, la situation ne devrait pas s'améliorer de sitôt. Rachida Dati pâtit aujourd'hui des retards accumulés par les gouvernements précédents. Le système judiciaire français manque de tout : de greffiers, d'éducateurs, de magistrats, de prisons, d'argent. La pénurie est telle que l'Hexagone pointe désormais au 35e rang européen si l'on rapporte le budget de la justice au produit intérieur brut. Ceci explique sans doute cela.
Source : Sud Ouest
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