Les gardes à vue et les auditions filmées, ça commence dimanche
Pour : «Cela fera taire les polémiques sur les conditions de garde à vue»
Contre : «Une réforme superflue et coûteuse»
A partir de ce dimanche, tous les auteurs présumés de crimes (hors terrorisme et association de malfaiteurs) devront être filmés pendant leurs interrogatoires en garde à vue et lors de leurs auditions chez le juge d'instruction. Cette procédure, jusque-là réservée aux mineurs, a été généralisée dans le cadre de la loi du 5 mars 2007, votée à la suite du fiasco judiciaire d'Outreau. Objectif: conforter les droits de la défense mais aussi éviter toute contestation du travail des enquêteurs et magistrats.
Ces vidéos enregistrées dans les commissariats, gendarmeries et bureaux des juges d’instruction seront ensuite gravées sur cédérom puis placées sous scellé. En cas de contestation à la demande du parquet ou de la défense, une copie rejoindra le dossier et pourra être consultée, pendant l'instruction ou lors du procès.
10.000 webcams installées
Si cette réforme a suscité de nombreuses critiques sur le fond, les syndicats de la magistrature la jugeant «dangereuse» car elle «nie le rôle» de l'avocat de la défense présent lors des auditions devant le juge d'instruction, les organisations professionnelles pointent surtout aujourd’hui sa difficile mise en œuvre.
Pour le syndicat de policiers majoritaire Alliance, «l'équipement nécessaire est loin d'être installé» et «les récurrents problèmes techniques déjà rencontrés avec les enregistrements des mineurs vont compliquer et alourdir le travail des enquêteurs».
La Direction générale de la police nationale affirme pourtant que «la police est prête» avec l'installation de 10.000 webcams et le renouvellement de la moitié du parc des ordinateurs (30.000 sur 70.000).
Des pôles d'instruction sous-équipés
Du côté de la justice, le secrétaire national de l'Union syndicale des magistrats (USM), Christophe Régnard, évoque une réforme «non préparée alors que nous avions 18 mois pour cela» (>> pour lire son interview, cliquez ici). Le principal syndicat de magistrats constate ainsi que les départements d'outremer ne sont pas encore équipés.
Ce sera fait «dans les semaines qui viennent», rétorque Guillaume Didier. Selon le porte-parole de la Chancellerie, «un gros travail a été fait pour que le dispositif soit opérationnel» à la date prévue. Le ministère de la Justice affirme ainsi que 75% des juges d'instruction sont équipés. Les autres partageront le matériel commun dont ont été dotés tous les tribunaux, pour un investissement de 2 millions d'euros. D’après l’USM, toutefois, des pôles de l'instruction, chargés des affaires les plus importantes, sont sous-équipés. A Strasbourg, sept juges devront se partager un appareil. A Créteil, on compte sept caméras pour douze magistrats instructeurs…
Manque de caméras, de cédéroms ou de scellés, formation insuffisante des magistrats et des greffiers… Dans ce concert de critiques, seule la voix de l’Unsa Police semble positive : «Il faudra sûrement améliorer le système en cours de route mais cette réforme a au moins un mérite, explique à 20minutes.fr Henri Martini, secrétaire général du syndicat (>> pour lire son interview, cliquez ici): elle fera taire les polémiques sur les conditions de garde à vue». Ou en suscitera de nouvelles.
LES AVIS
POUR
Garde à vue filmée: «Cela fera taire les polémiques sur les conditions de garde à vue»
Henri Martini, secrétaire général du syndicat Unsa Police, explique à 20minutes.fr pourquoi il est favorable à la généralisation à partir de ce dimanche de l’enregistrement vidéo des gardes à vue et des auditions chez le juge d’instruction dans les affaires criminelles (hors terrorisme et associations de malfaiteurs).
Beaucoup de syndicats ont pointé le manque de préparation pour l’entrée en vigueur de cette réforme. Qu’en pensez-vous?
On va voir dans la mise en pratique quelles seront les difficultés rencontrées. Il faudra sûrement améliorer le système en cours de route mais il n’y a pas de quoi s’affoler. La police va se mettre au diapason de cette nouvelle ère et bientôt même les affaires délictuelles pourront être filmées.
L’enregistrement vidéo ne représente-t-il pas une charge de travail supplémentaires pour les policiers?
Certainement, mais d’un autre côté, cela permettra de gagner du temps en augmentant le taux d’élucidation des affaires criminelles, à l’instar de l’ADN qui a beaucoup apporté à la police scientifique. Et cela permettra surtout de faire taire les polémiques sur les conditions de garde à vue.
Ne craignez-vous pas au contraire que des abus éclatent au grand jour?
La police n’a rien à craindre. C’est sûrement l’institution la plus surveillée et la plus transparente en France. Cette nouvelle technologie est définitivement un plus pour les enquêtes. A condition de bien former les policiers
CONTRE
Garde à vue et auditions filmées: «Une réforme superflue et coûteuse»
Christophe Régnard, secrétaire national de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) explique à 20minutes.fr pourquoi il est hostile à la généralisation à partir de ce dimanche de l’enregistrement vidéo des gardes à vue et des auditions chez le juge d’instruction dans les affaires criminelles (hors terrorisme et associations de malfaiteurs).
A quelques jours de l’entrée en vigueur de cette réforme, les critiques portaient surtout sur les difficultés matérielles rencontrées par les organisations professionnelles concernées
Effectivement, la chancellerie a eu 18 mois pour se préparer et pourtant, seuls 75% des juges d’instruction sont équipés. Certains vont devoir se partager les bureaux et les caméras, car on ne dispose pas comme les commissariats et les gendarmeries de webcams. Nos appareils sont fixes. C’est complètement aberrant quand on sait que le juge d’instruction doit souvent se déplacer à l’hôpital ou en prison pour entendre un suspect et prononcer une mise en examen. Cette réforme est pleine d’incohérences et d’incertitudes.
Lesquelles ?
La circulaire d’application ne précise pas si la vidéo doit être gravée sur cédérom en présence de la personne interrogée, afin que celle-ci puisse signer le scellé. Si c’est le cas, étant donné qu’il faut huit minutes pour graver une heure d’interrogatoire, toute la procédure s’en trouvera retardée.
Finalement, vos doléances ne portent que sur des contraintes techniques…
C’est parce que cette réforme est superflue et coûteuse, surtout dans le cas des auditions chez le juge d’instruction: un avocat et un greffier sont systématiquement présents. Pourquoi ajouter une caméra? Elle présente aussi des limites d’ordre déontologique. On sait très bien que des aveux filmés, même si le suspect se rétracte ensuite, auront beaucoup plus d’impact lors d’un procès que des aveux écrits.
Mais si ces aveux sont extorqués, on le verra aussi…
Il ne faut pas croire que l’intégralité des interrogatoires lors des gardes à vue seront filmés. Tout ce qui se passe à côté, dans les cellules et les couloirs, restera off.
Source : 20 Minutes
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