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MessagePosté :09 avr. 2008, 10:51 
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Les condamnations se suivent et se ressemblent, mais rien ne bouge dans les prisons françaises. En 2003 déjà, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) avait évoqué «le traitement inhumain et dégradant» des détenus de l’Hexagone. En décembre de l’année dernière encore, le CPT a recouru aux mêmes mots pour décrire les mêmes maux. La semaine dernière, pour la première fois en France, un tribunal administratif a condamné l’Etat à verser 3 000 euros à Christian Donat pour «préjudice moral» en raison de ses conditions d’incarcération. Mais qu’attend-on pour réformer le système pénitentiaire ? A lire les rapports européens, les manquements aux règles d’hygiène, les descriptions de cellules où s’entassent à deux, trois ou quatre les prisonniers, les pratiques d’entraves que subissent les détenus «particulièrement surveillés» ou encore la prise en charge déficiente de ceux souffrant de troubles psychiatriques, on pourrait se croire dans un pays du quart-monde. Certes, la chancellerie a promis une loi pénitentiaire, mais la version qui circule n’est tout simplement pas à la hauteur des enjeux. Et, comme le rappelle Thomas Hammarberg, le commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans l’interview qu’il nous a accordée, c’est dans la mise en œuvre des législations et des recommandations que la France est la plus fautive. Créé il y a plusieurs mois, le poste de Contrôleur général des lieux de privation de liberté n’a toujours pas été pourvu, faute de candidat à la convenance du gouvernement. Il y a urgence.


L’Etat jugé coupable de l’état de ses prisons

Christian Donat était un détenu comme les autres. Incarcéré depuis 2002, il a occupé successivement plusieurs cellules à la maison d’arrêt de Rouen : 10,8 m2pour la plus petite, 12,36 m2 pour la plus grande. Faute de place dans la prison, il a toujours partagé cet espace avec deux codétenus (soit 4 m2 par personne, quand les textes en prévoient 9 au minimum, et des cellules individuelles). Entassés entre un WC sans cloison ni ventilation, trois lits et un coin cuisine, Christian Donat et ses codétenus ont supporté la promiscuité, le manque d’hygiène et d’intimité. Leur situation, au fond, était courante, voire banale dans les prisons françaises, où l’on compte près de 13 300 détenus en surnombre (1).


Mais Christian Donat a décidé de porter plainte. Contre l’Etat, qu’il accuse de lui avoir fait subir des conditions de détention «dégradantes». Fait «historique» pour tous ceux qui s’intéressent à la prison, le tribunal administratif de Rouen, le 27 mars, lui a donné raison. Et a condamné l’Etat à lui verser 3 000 euros de dommages et intérêts. C’est la première fois que l’Etat français est condamné pour un «préjudice moral» lié aux conditions matérielles de la détention. «Une brèche qui pourrait ouvrir la voie à d’autres décisions, et améliorer considérablement la vie en prison, espère Hugues de Suremain, juriste à l’Observatoire international des prisons (OIP). Les détenus qui sont dans une situation semblable à celle de Christian Donat sont nombreux.»

Jurisprudence. Historiquement, le juge administratif s’est toujours illustré par sa très grande réticence à s’immiscer dans l’univers carcéral. «Jusqu’en 1995, les détenus n’avaient aucun accès au juge», explique Béatrice Belda, juriste et auteur d’une thèse sur «Les droits de l’homme des personnes privées de liberté». C’est sous la pression des instances européennes qui, à plusieurs reprises ont rappelé la France à l’ordre, que le juge administratif est timidement sorti de sa réserve. Reconnaissant, pour commencer, en 1995, le droit pour un détenu de contester les sanctions disciplinaires prises par l’administration pénitentiaire.

Dans la décision du tribunal administratif de Rouen, à nouveau, l’influence de la jurisprudence européenne est évidente. En 2000, la Cour européenne des droits de l’homme avait en effet rendu un arrêt précisant que les Etats ont «l’obligation» d’assurer des conditions de détention «conformes à la dignité humaine».

Soutenues par une poignée d’avocats militants et par l’OIP, les plaintes de détenus ont tendance à devenir plus nombreuses. «Il y a toutefois encore des réticences à saisir le juge, constate Hugues de Suremain, car les délais de jugement sont tels - parfois plus de dix ans avant une confirmation par le Conseil d’Etat - que, souvent, quand la décision tombe, la peine est déjà terminée depuis longtemps.»

Mitard. Sur ce problème des délais, là aussi, les choses évoluent. Une décision du tribunal administratif de Melun du 1er avril vient en effet d’annuler en référé le placement au mitard d’un détenu. Ce n’est que la deuxième fois qu’un juge administratif accepte de juger en urgence un problème relatif à la détention.

C’est aussi la première fois qu’une décision prend en compte les conséquences physiques et psychologiques de l’incarcération. Cyril K. «a développé à l’intérieur de la prison une pathologie invalidante de l’appareil musculo-squelettique et une pathologie psychiatrique qui peuvent être rattachées à ses conditions particulières d’incarcération», note le tribunal.

«Nous sommes chargés d’une mission de justice et, pour nous, c’est une très bonne chose que le juge intervienne en détention», assure Jean-François Beynel, adjoint au directeur de l’administration pénitentiaire. L’Etat a toutefois décidé de faire appel de la décision du tribunal de Rouen.

(1) Au 1er mars, sur une population de 62 586, d’après les estimations de Pierre-Victor Tournier, chercheur au CNRS


Le décalage entre la loi et la pratique est trop large»

INTERVIEW de Thomas Hammarberg, chargé des droits de l’homme au Conseil de l’Europe :

L’Etat français vient d’être condamné pour non-respect de la dignité humaine en prison, une loi pénitentiaire est en préparation. Pensez-vous que la France doit encore évoluer sur la question des droits de l’homme en prison ?



Le problème en France est que les lois concernant les droits des personnes détenues ne sont pas mises en œuvre d’une façon satisfaisante. C’est pourquoi il était important que le ministère de la Justice propose de créer un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, établi par la loi d’octobre 2007. Cependant, jusqu’ici, le Contrôleur n’a pas été nommé et les ressources qui lui seront allouées ne semblent pas être adéquates à l’étendue de ses activités. Le décalage entre la loi et la pratique est souvent trop large en France et devrait être comblé d’urgence.

Jean-Paul Costa, le président de la Cour européenne des droits de l’homme, a déclaré : «Le problème majeur pour les droits de l’homme en France me semble être celui des prisons.» Est-ce aussi votre avis ?

Il est incontestable que la prison est l’un des lieux où se posent le plus de problèmes de respect des droits de l’homme en France. C’est malheureusement aussi le cas dans d’autres pays européens. Ce qui me frappe à propos de la France c’est que bien que ce problème soit parfaitement connu, peu d’améliorations ont été apportées. Les associations nationales, les organisations non gouvernementales et les experts ont plusieurs fois dénoncé les conditions de vie dans les prisons. Au niveau international, des rapports critiques ont été publiés, et des recommandations spécifiques ont été adressées au gouvernement, comme par exemple par mon prédécesseur en 2005, ou par le comité du Conseil de l’Europe pour la prévention de la torture, en décembre 2007. Mais très peu a été fait dans la mise en œuvre de ces recommandations.

Vous avez alerté contre la «tendance», en Europe, «à infliger la réclusion à perpétuité à un nombre croissant de condamnés». La France vient d’adopter la loi sur la rétention de sûreté qui suit cette voie…

Plusieurs pays européens se posent actuellement la question des personnes potentiellement dangereuses après leur peine. Je crois qu’il est très important d’avoir une discussion approfondie sur ce sujet. Les punitions devraient être proportionnelles, justes et fixées pour une durée de temps précise. Leur but devrait être de réhabiliter et réinsérer sans risque les délinquants dans la société. Je suis opposé aux sentences à vie sans possibilité de réexamen. L’idée de continuer à enfermer des personnes même après que leur peine a été purgée risque de déstabiliser les principes des droits de l’homme et la certitude du droit. Le but d’avoir de telles normes obligatoires est d’aider à établir des sociétés inspirées par la justice, et non par la vengeance.

Plusieurs organisations dénoncent un durcissement sécuritaire en prison depuis 2002. Etes-vous d’accord avec ce constat ?

Je vois des signes de telles tendances, pas uniquement en France, et j’en suis inquiet. Les prisons doivent devenir des endroits de réadaptation, avec les ressources adéquates pour des programmes de formation, d’éducation et de travail. Ceci donnerait aux prisonniers une vraie chance de réinsertion dans la société. Il est également important de sauvegarder le rôle crucial de ceux qui surveillent ce qui se passe dans les prisons, tels le futur Contrôleur et le Médiateur de la République. Le travail effectué par des représentants du Médiateur dans un nombre croissant de prisons françaises est positif, car il contribue à donner aux prisonniers la conscience qu’ils restent des citoyens même pendant leur détention.

La France veut réformer l’ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs, pour la rendre plus sévère. Qu’en pensez-vous ?

Les opinions publiques de la plupart des pays européens semblent effrayées par l’impression qu’elles ont d’une augmentation des crimes juvéniles. Les gouvernements tendent à suivre une demande de durcissement des sanctions dans ce domaine. Cette approche est contre-productive si elle est utilisée comme réponse principale ou unique. L’évidence prouve que les mineurs emprisonnés tendent à la récidive. L’arrestation, la détention et l’emprisonnement sont en principe possibles pour des mineurs au-dessus de l’âge minimal de responsabilité pénale, mais devraient être utilisés seulement en dernier recours et pour la période la plus courte possible. Le problème des jeunes délinquants ne sera pas résolu par des peines plus dures.

Une politique réussie sur la délinquance juvénile devrait impliquer des mesures facilitant la prévention, la réadaptation et l’intégration sociale des jeunes en difficulté. La France devrait prendre le pilotage dans l’effort pour favoriser une approche plus constructive, en particulier parce qu’elle va assumer la présidence de l’Union européenne en juillet. Ce serait une occasion pour soutenir l’adoption de politiques pénitentiaires européennes communes basées sur des normes internationales acceptées, telle que celles adoptées au sein du Conseil de l’Europe.

Pour les mineurs, comme pour les majeurs, le but d’une peine devrait être de faciliter la réinsertion. Il doit y avoir une vie après l’emprisonnement. L’amélioration des conditions de détention contribue beaucoup à donner une orientation positive à cette vie.


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MessagePosté :09 avr. 2008, 16:29 
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Enregistré le :24 juil. 2005, 16:25
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Citation :
MARATHON
Une politique réussie sur la délinquance juvénile devrait impliquer des mesures facilitant la prévention, la réadaptation et l’intégration sociale des jeunes en difficulté. La France devrait prendre le pilotage dans l’effort pour favoriser une approche plus constructive, en particulier parce qu’elle va assumer la présidence de l’Union européenne en juillet. Ce serait une occasion pour soutenir l’adoption de politiques pénitentiaires européennes communes basées sur des normes internationales acceptées, telle que celles adoptées au sein du Conseil de l’Europe.

Pour les mineurs, comme pour les majeurs, le but d’une peine devrait être de faciliter la réinsertion. Il doit y avoir une vie après l’emprisonnement. L’amélioration des conditions de détention contribue beaucoup à donner une orientation positive à cette vie.
Je ne saurais ajouter ni retrancher un seul mot ni une seule virgule à ce passage.

Ce qui précède correspond exactement à ce que je pense.

Merci de le dire


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MessagePosté :26 oct. 2008, 07:43 
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La prison n'assure pas sa mission de sécurité »


photo : Jean-Michel Niester (archives)

Le contrôleur général des prisons, Jean-Marie Delarue, nommé en juin, a déjà effectué une vingtaine d'inspections. Il décrit une situation carcérale « très difficile ».


Surpopulation. « Le surpeuplement des maisons d'arrêt rend très difficile le travail du personnel pénitentiaire et, évidemment, les conditions de vie des détenus. Les deux choses sont inséparables. On parle de matelas par terre, mais il y a bien d'autres conséquences. Les mauvaises conditions d'accueil des nouveaux arrivants. Moins de temps pour le dialogue entre surveillants et détenus, entre conseillers d'insertion et surveillants. Tous les services sont débordés. Tout se détériore. La surpopulation ne change pas la nature des problèmes, elle les aggrave. »



Quatre étoiles. « Il n'y a pas de prisons quatre étoiles. Même dans les plus récentes, le confort reste extrêmement frustre. Les douches dans les cellules sont rarissimes. Quand vous êtes contraint de déféquer devant vos co-détenus, ce n'est pas franchement l'hôtel de luxe. Autre idée fausse : certains ont la conviction que plus le régime carcéral est dur, moins grande est la récidive. C'est tout le contraire. Plus on traite mal les gens en détention, plus ils ont la haine de la société. On est en plein paradoxe : les prisons n'assurent pas en réalité leur mission de sécurité. »

Suicides. « Quand il y a 100 à 200 détenus de plus à surveiller, les rondes de nuit pour empêcher les suicides sont moins efficaces. On parle des suicides, on oublie les tentatives. Dieu merci, le personnel arrive souvent à les prévenir. Mais en prison, on ne parle que de ça. »



Violences. « Elles peuvent être extrêmes, notamment dans les douches collectives, dans les cours, partout où les surveillants ne sont pas présents. Il y a aussi les trafics, le chantage, le racket... Certains détenus exercent des pressions inqualifiables sur les autres sans que le personnel puisse les contrecarrer. Un bon indice de la situation dans une prison : le nombre de gens qui ne sortent plus de leur cellule. Ils ont peur de se faire agresser. »



Santé mentale. « Je ne suis pas médecin, je ne sais pas distinguer la maladie mentale des symptômes dépressifs, fréquents en prison. Mais les personnes qui souffrent de névroses, voire de psychoses, ont des réactions imprévisibles. Quant aux structures de soins, rattachées aux hôpitaux, le principe en est bon, mais il y a trop de lacunes. J'ai mis en garde les pouvoirs publics : dans certains établissements les soins sont donnés trop tard. »

Recueilli par Bernard LE SOLLEU.

Source : Ouest France



Le contrôleur général des prisons est chargé d'inspecter 5 800 lieux d'enfermement : les prisons, les hôpitaux psychiatriques, les locaux de garde à vue, les centres de rétention. Ses rapports seront publics. Premier rapport en décembre.


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