Bodein : "Je chassais le lièvre, pas les enfants"
Vendredi matin. Pierre Bodein, encadré par deux policiers du GIPN, pénètre dans le box de la cour d'assises, à Colmar, où il est jugé depuis mardi en appel pour trois meurtres, dont deux précédés de viol commis sur des mineures de 10 et 14 ans. Il reboutonne sa veste pied-de-poule d'un geste maladroit, les mains agitées de tremblements, chausse des lunettes et se poste debout face au micro. La présidente de la cour souhaite l'interroger sur son "mode de vie" entre sa sortie de prison en libération conditionnelle, le 15 mars 2004, et son arrestation, trois mois et demi plus tard. Pour Bodein, c'est une nouvelle occasion de clamer son innocence.
Au printemps 2004, Bodein s'installe dans une caravane prêtée par un ami (et garée dans la casse d'un autre), à Bourgheim. Normalement, il aurait dû résider chez son frère, à Obernai. Mais "il a été opéré plusieurs fois du cancer, c'était pour moi insupportable de rester là-bas", et "du côté de son épouse, ça n'allait pas", explique l'accusé. Le voilà donc dans sa caravane, et bientôt en possession d'une voiture, fournie par son ami ferrailleur, contre 500 euros. "J'ai pas encore payé", précise Bodein.
Les gendarmes ont relevé qu'il avait beaucoup roulé avec ce véhicule. Pour quoi faire ? "J'allais à la recherche de ma famille et de mes ex-amis", affirme Pierre Bodein. Il commet aussi quelques larcins : tentative de vol de pneus de voiturette, vol d'un salon de jardin, vol de gazole... Il va à la chasse, muni d'un lance-pierres : "Je chassais le lièvre, pas les enfants".
Comme lors de son procès de 2007, à l'issue duquel il avait écopé de la perpétuité assortie d'une période de sûreté de 30 ans, Bodein, surnommé Pierrot le fou, s'égare dans des détails superflus. Ses réponses sont précises, mais régulièrement sans rapport avec la question posée. Il se justifie : "Je suis à l'isolement depuis quatre ans, ça m'échappe parfois". Il faut le recadrer en permanence. Mais ces digressions lui permettent aussi de glisser quelques phrases pour proclamer son innocence : "Moi, je suis pas Pierrot le fou. Moi, j'ai rien à voir avec un cinglé !".
La question de ses "relations intimes" est un point particulièrement délicat. Bodein clame qu'il en a eu plusieurs, manière de faire comprendre que sa vie sexuelle n'était pas problématique, mais il ne veut pas nommer ses partenaires. Sauf Katia et Natacha, "des Roumaines" auxquelles il donnait "50 euros". Nouvelle digression sans queue ni tête : "Pour moi, c'est des filles qui offrent leur corps à des cochons, à des hommes mariés qui n'ont pas ce qu'il veulent avec leurs femmes, à des hommes qui ont besoin d'amour. Mais moi, j'appelle pas ça des prostituées. C'est des femmes bien, propres. Heureusement qu'il y a des femmes comme ça, sinon il y aurait des millions de viols en plus...". Impossible évidemment de mettre la main sur ces "Roumaines" réelles ou fantasmées que Bodein évoque pour la première fois. Il prétend aussi avoir eu trois autres "copines". La première a démenti, indiquant toutefois que Bodein lui avait parlé de "son besoin de sexe". L'accusé reste muet sur l'identité des deux autres. L'une, dit-il, "ne témoignera pas parce que j'ai été trop médiatisé". L'autre serait "une femme libérale", mais "elle vit avec un monsieur qui est fonctionnaire, je ne peux pas en dire plus...". D'un procès à l'autre, Pierre Bodein, enfermé dans une logique qui n'appartient qu'à lui, ne semble pas disposé à permettre aux jurés d'y voir plus clair sur cet aspect de son "mode de vie".
Source : Libération
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