Suicides de mineurs en prison: «C'était: tu veux obtenir quelque chose, une nouvelle cellule, et bien pends-toi
C’est une série noire. Quatre tentatives de suicide par pendaison dans le quartier des mineurs de la prison de Metz-Queuleu en cinq jours. Trois ont été décrochés à temps, mais Nabil, 16 ans, y a laissé la vie dans la nuit de lundi à mardi. Les premières conclusions de l’enquête laissent apparaître un système de chantage collectif, les jeunes tentant d’obtenir des réponses favorables à leurs demandes en mettant leur vie en danger.
Ce jeudi, c’est un mineur de 16 ans incarcéré à la maison d'arrêt de l'Elsau, à Strasbourg, qui a tenté de se suicider par pendaison, en tout début d’après-midi. Deux jours après avoir été transféré du fameux quartier des mineurs de la prison de Metz-Queuleu. Il a été transféré à l'hôpital de Hautepierre, où il se trouvait jeudi soir dans un état critique.
Carlo Di Eiglio, secrétaire général de la CGT-pénitentiaire pour l’Alsace-Lorraine et surveillant à Metz-Queuleu depuis huit ans, a expliqué à 20minutes.fr les dessous d’une dérive mortelle.
D’abord, peut-on lier le cas de Strasbourg à ceux de Metz?
Le garçon en question vient de Metz, où il a assisté à trois des tentatives de suicide de ses camarades de coursives. Il a vu tout ça, il y a donc un lien. De là à dire qu’il est rentré dans une logique de chantage vis-à-vis du personnel pénitentiaire, comme les autres jeunes… Il y a des suppositions qu’on ne peut pas se permettre pour l’instant.
Quelle est cette logique de chantage dont vous parlez?
C’est quelque chose de tout à fait unique. Des jeunes prêts à se prendre pour des demandes qu’on peut parfois qualifier de futiles, c’est un phénomène nouveau.
Il n’est pourtant pas rare que des détenus se tailladent les bras pour qu’on réponde favorablement à leur demande…
Oui, mais là, ils ont vraiment joué avec leur vie. Le premier s’est pendu pour sortir du quartier disciplinaire, il ne pouvait plus supporter la vie dedans. Le deuxième s’est pendu pour avoir droit à une télé. Le troisième pour changer de cellule. Ils étaient dix mineurs dans la coursive de Metz-Queuleu, et ils s’encourageaient à passer à l’acte pour mettre la pression sur les surveillants.
Vous pensiez au départ qu’il s’agissait d’actes isolés?
On a découvert avec l’enquête sur les circonstances du suicide du quatrième garçon, qui n’a pas pu être sauvé à temps, que c’était un système collectif. Les mineurs, entendus les uns après les autres, l’ont expliqué. C’était: «Tu veux obtenir quelque chose, une nouvelle cellule, et bien accroche-toi.» C’est bête et dramatique, une sorte de défi extrême. Comme un jeu du foulard à l’école, en autrement plus dangereux.
Les premiers jeunes qui se sont pendus ont-ils obtenu gain de cause dans leurs demandes?
Bien sûr. Par exemple, le garçon qui voulait une télé, et bien il est dans une cellule avec une télé et un autre garçon, censé veiller sur lui… L’administration est obligée de s’adapter, elle fait vraiment de son mieux. Et un jeune aux tendances suicidaires est le plus encadré possible. La question qui se pose derrière est: pourquoi un jeune de 16 ans se retrouve dans une cellule, et pas dans une salle de cours? La prison est forcément difficile pour un mineur. S’il est là, c’est qu’il ne va déjà pas bien. Et la prison n’arrange rien.
Un syndicaliste de l’Ufap dit avoir fait remonter en août dernier une note sur le climat délétère à Metz...
Il a écrit qu’il y avait un manque de discipline dans le quartier des mineurs. Mais comme dans tous les quartiers de mineurs de France! Il faut bien reconnaître que les garçons sont souvent turbulents. De là à dire «je vous avais prévenu» devant un phénomène aussi spontané, aussi désolant… Ce «jeu des pendus» était rigoureusement impossible à prévoir. Le quartier des mineurs de Metz, ce sont dix détenus pour vingt-six places, et quatre surveillants. Il n’y a pas de surpopulation carcérale, ni de sous-effectif du personnel.
Que pensez-vous des mesures annoncées par Rachida Dati
Notre syndicat est loin d’être d’accord sur tout avec la garde des Sceaux, mais je dois dire qu’on va dans le bon sens. Il est normal qu’on parle de nos prisons avec tous les drames qui ont eu lieu depuis le début du mois de septembre. Mais cela ne doit pas être de la polémique inutile, il faut aborder des questions de fond. Aujourd’hui, je ne sais plus ce qu’on demande à l’administration pénitentiaire. On ne peut pas tout régler nous-mêmes, les problèmes de violence dans la société, la politique du tout répressif… Dans l’absolu, la place d’un gosse de 16 ans est à l’école, tout simplement.
Recueilli par Mathieu Grégoire.
SOURCE : 20 MINUTES
, Dati annonce des mesures
La ministre de la Justice, Rachida Dati, a annoncé jeudi à Metz qu'elle avait pris un décret faisant obligation de présenter à un magistrat du parquet tout mineur sur le point d'être placé en détention.
"Cette obligation existe déjà pour une prolongation de garde à vue d'un mineur. Je l'ai étendue par un décret pris hier (mercredi) et devant être promulgué dans les prochains jours aux mineurs condamnés devant être mis sous écrou", a ajouté la garde des Sceaux venue au centre pénitentiaire de Metz-Queuleu deux jours après le suicide d'un adolescent de 16 ans, qui avait commencé à y purger une condamnation à six mois ferme.
"Le magistrat devra notamment expliquer au jeune les raisons pour lesquelles il entre en prison", a-t-elle ajouté. Mme Dati a également annoncé l'élaboration, en collaboration avec le ministère de la Santé, d'une "grille d'évaluation des risques suicidaires" spécifique aux mineurs.
"Les mineurs seront évalués avec cette grille par des médecins à leur arrivée en détention", a-t-elle précisé devant des journalistes à l'issue d'une visite du quartier des mineurs de Metz-Queuleu et d'une table ronde avec les magistrats, les personnels pénitentiaires et ceux de la protection judiciaire de la jeunesse ainsi que les médecins du centre pénitentiaire.
"La prévention des suicides de mineurs constitue une priorité de mon ministère", a assuré la garde des Sceaux en affirmant que ceux-ci avaient reculé de 22% entre 2002 et 2007.
Présentée en août comme un établissement "modèle" par Mme Dati, la maison d'arrêt de Metz-Queuleu a enregistré quatre suicides en cinq mois, imputés à un "manque de moyens" par des syndicats, des avocats et l'Observatoire international des prisons (OIP).
Dans la nuit de lundi à mardi, un adolescent de 16 ans, Nabil L., s'est pendu dans la cellule qu'il occupait, seul, depuis la mi-septembre au quartier des mineurs du centre pénitentiaire messin. Condamné à six mois ferme pour trafic de stupéfiants et conduite sans permis, "il n'avait pas été signalé comme dépressif ou suicidaire", selon Carlo Di Egidio, secrétaire régional de la CGT-pénitentiaire.
Mais Pierre Achour, de l'antenne messine de l'OIP, estime "ne pas être certain que ce jeune ait été entouré, lors de son incarcération, de la vigilance nécessaire". Mme Dati a ordonné mercredi une enquête administrative sur ce suicide dont les conclusions doivent lui être apportées jeudi à Metz où elle se rendra dans la matinée, a indiqué à l'AFP son porte-parole, Guillaume Didier.
Déjà le 3 juillet, un détenu de 46 ans qui venait d'apprendre le rejet de sa demande de remise en liberté s'était pendu alors que, conformément à de récentes instructions ministérielles, il faisait l'objet d'une surveillance renforcée. "Ce père de famille, qui venait d'être traité aux antidépresseurs au centre hospitalier spécialisé de Jury-lès-Metz (Moselle), n'a fait l'objet d'aucun suivi particulier, alors même qu'il était en grande détresse psychologique", affirme pourtant l'avocat de la famille, Me Xavier Iochum.
Un mois auparavant, le 2 juin, un prisonnier de 27 ans s'était donné la mort alors qu'il était en traitement au service médico-psychologique (SMPR), où sont accueillis les détenus les plus fragiles. Condamné en 2006 à 19 ans de réclusion, ce détenu "signalé" attendait d'être rejugé en appel. "L'information judiciaire en cours semble démontrer qu'il n'avait pas fait l'objet d'une surveillance particulière", déclare l'avocat de la famille, Me Thomas Hellenbrand.
Le 21 mai, toujours au SMPR, un jeune homme de 20 ans, qui purgeait une peine de deux ans, s'était pendu avec ses lacets.
Trois tentatives de suicide ont en outre été enregistrées à Metz-Queuleu ces dix derniers jours. "Dans les trois cas, il s'est agi de mineurs qui ont tenté de se pendre mais que les surveillants ont réussi à décrocher à temps", indique Jean-François Krill, délégué de l'Union fédérale autonome pénitentiaire.
Pour les syndicats, "il manque une vingtaine d'agents à Metz pour assurer efficacement les nouvelles missions données à l'administration pénitentiaire, et notamment les surveillances renforcées". Quelque 220 surveillants sont en service à Queuleu.
"De nombreuses études pointent les périodes de grande fragilité des détenus: l'incarcération, les débuts et fins de peine, le procès et le verdict", explique Arnaud Stolz, aumônier de la région pénitentiaire de Strasbourg. "Dans certaines prisons, la situation peut être aggravée (...) si le personnel n'est pas suffisant pour suivre des personnes mal en point", ajoute-t-il. "C'est une terrible loi des séries dans un établissement qui, par ailleurs, fait énormément d'efforts pour humaniser la détention", a pour sa part estimé le procureur de Metz, Rémi Heitz, dans Le Républicain Lorrain de mercredi.
Metz-Queuleu, où sont écroués 480 hommes et 27 femmes pour 448 places théoriques, est considéré aujourd'hui comme un "site pilote" en France pour l'application des nouvelles règles pénitentiaires européennes
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