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Quand la justice se trompe de Maxime Amiot https://www.justice-affairescriminelles.org/forum/viewtopic.php?f=117&t=1024 |
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Auteur : | arlaten [09 nov. 2006, 20:45 ] |
Sujet du message : | |
Et un autre d'une juge d'instruction. Véronique Imbert est juge d'instruction, vice-présidente du tribunal de grande instance de Marseille, et membre du conseil national de l'Union syndicale des magistrats (USM). Véronique Imbert est juge d'instruction depuis dix-sept ans. Selon ce magistrat expérimenté les erreurs judiciaires restent exceptionnelles: la loi est bien faite et les garde-fous sont nombreux, affirme-t-elle. Ce qui ne 1 empêche pas de reconnaître qu'il existe toujours un risque. Elle-même s’est déjà trompée, comme elle l’explique ici. Un témoignage qu elle souhaite replacer dans le contexte souvent difficile qui entoure les juges d'instruction. Certaines personnes ont du mal à le croire, mais une instruction est toujours menée à charge et à décharge. Pas uniquement à charge……………….. Comprenez bien: je ne suis pas payée à la condamnation ou au mandat de dépôt. Je n'ai aucun intérêt particulier à charger un suspect. Et je ne me sens pas déjugée lorsqu'un suspect est reconnu innocent. Si je l'ai impliqué, c'est simplement que j'avais les éléments pour le faire, à un moment donné de l'enquête. Il se peut que les mois passant, de nouveaux éléments viennent le blanchir. Tant mieux: c'est le propre d'une instruction. Parfois, de nouveaux éléments peuvent apparaître après l'instruction, alors que j'ai déjà renvoyé le suspect devant une juridiction. C'est extrêmement rare, mais ça peut arriver. On ne peut pas attendre du juge d'instruction qu'il fasse immédiatement la lumière sur des affaires parfois très complexes. On est obligé de prendre du temps et des précautions. Lors d'une instruction, j'écoute toutes les parties : l'accusation et la défense. On reproche aux juges d'instruction de ne pas laisser la parole à l'accusé? Je réponds que c'est faux. Dès le premier rendez-vous avec le suspect, lorsqu'il m'est présenté, il peut me parler, je l'écoute. Certes, je ne peux pas toujours me permettre d'accorder des heures à chaque suspect. Il faut aller vite. Je prends davantage de temps lorsque la personne a avoué les faits en garde à vue, car je dois m'assurer de la véracité de ces aveux. Être certaine qu'ils ne sont pas inventés pour je ne sais quelle raison. Par contre, lorsque j'ai devant moi un suspect qui continue à nier et à clamer son innocence, là, je ne passe pas trois heures à l'entendre. Il est alors plus utile de se concentrer sur l'instruction. Mieux vaut laisser parler l'enquête. Je ne peux pas me baser sur les seuls dires ou même les pleurs des suspects. Je ne peux pas me permettre de pleurer avec eux. Je suis là pour faire avancer une instruction, en recueillant des éléments concrets. Les gens me jugent peut-être très froide. Mais je n'ai pas à mettre d'affect dans mon travail. Sinon, je suis fichue. Être juge d'instruction demande du caractère. C'est un métier dur. Je reçois toutes les souffrances du monde dans mon bureau. Si je commence à prendre les choses affectivement, je ne peux plus faire mon travail sereinement. Il faut absolument prendre du recul par rapport aux dossiers. Il faut se blinder. Au risque peut-être de paraître insensible à la personne qui est en face. Les juges qui montrent de l'empathie, voire de l'amitié avec les accusés commettent une erreur. Même si nous ne pouvons qu'être touchés par ces souffrances qui s'expriment devant nous. Si les gens nous trouvent distants et froids, c'est aussi parce que nous manquons de temps. Être juge d'instruction aujourd'hui, cela signifie traiter une vingtaine de dossiers par mois. Nous sommes constamment pressés par les délais. Un exemple, là encore, pour bien se rendre compte. Quand j'étais au tribunal d'Aix-en¬Provence, il y a une quinzaine d'années, j'avais à traiter quelque deux cent cinquante dossiers par an. Pour les sept cent mille habitants de la juridiction, nous étions quatre juges d'instruction. Je vous laisse imaginer le temps à consacrer pour chaque dossier. À Marseille, nous sommes mieux lotis avec une vingtaine de juges d'instruction pour neuf cent mille habitants. Mais dans tous les cas, on ne peut pas passer trop de temps sur chaque dossier. Il faut apprendre à jongler entre les affaires de stupéfiants, de moeurs, scandales financiers ou règlements de comptes. Aller vite, être efficace. Avec l'expérience, on sait mieux fixer les priorités. D'une manière générale, les réalités du travail d'un juge d'instruction sont mal perçues. Un seul exemple, le plus sensible pour des innocents : la détention provisoire. Je comprends qu'un innocent effectuant plusieurs mois, voire des années de prison, en veuille terriblement au juge qui l'y a placé. Mais encore faut-il se poser la bonne question : le juge pouvait-il faire autrement ? Lorsque j'ai des éléments à charge contre une personne, je suis tenue de demander au juge des libertés son placement en détention provisoire. Pour plusieurs raisons : d'abord éviter que le suspect relâché ne fasse disparaître des éléments utiles au dossier, ou ensuite qu'il n'influence d'éventuels témoins. Ensuite empêcher qu'il provoque des troubles à l'ordre public, l'opinion ne comprenant pas toujours la libération d'un violeur, par exemple. Tout ceci est de ma responsabilité. Il faut que j'en tienne compte. Placer quelqu'un en détention provisoire n'est donc pas un moyen de pression supplémentaire sur l'accusé pour le faire parler. Certes, il peut arriver aux juges de se tromper. J'en ai moi-même fait l'expérience. Doit-on pour autant être sanctionné de ces erreurs ? Je réponds sans hésiter : non. Pour plusieurs raisons. Premièrement parce qu'une décision de justice peut, dans la plupart des cas, faire l'objet d'un recours en appel ou devant la cour de cassation... Il n'est donc pas possible de rendre un magistrat responsable d'une décision. Car celle-ci est le fruit d'un travail collectif: le juge d'instruction, le parquet, le juge des libertés et de la détention, les magistrats du siège. C'est l'action de tous qui a produit cette décision. Dans ces conditions, qui sanctionner ? Je ne vois pas très bien... En outre, la sanction d'un magistrat pour une mauvaise décision aurait des conséquences indescriptibles. Comment voulez-vous qu'un juge fasse sereinement son travail s'il est susceptible d'être sanctionné à chacune de ses décisions ? Il n'oserait plus condamner, de peur d'essuyer une plainte. Personnellement, je changerais de métier tout de suite, et de nombreux magis¬trats feraient de même. Le juge est faillible. Il faut l'accepter. La volonté de chercher à tout prix un responsable ne m'étonne pas. On n'accepte plus le risque ou l'aléa. C'est extrêmement délicat d'expliquer cela sans paraître méprisant. |
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