Il n'est pas évident que le stockage des vêtements dans des sacs plastique permettent de retrouver de l'ADN. - La justice cherche encore la vérité dans l’affaire criminelle la plus retentissante des années 80, l’enlèvement et le meurtre du petit Grégory.
.
- Un expert de la police scientifique de Reims explique pourquoi les nouvelles investigations se justifient.
- Dans le village vosgien de Lépanges, traumatisé par la déferlante médiatique à l’époque du drame, personne ne veut plus parler de cette affaire.
Ce qui peut confondre l'assassin
Les pièces à conviction de l'affaire du petit Grégory Villemin assassiné en 1984 vont-elles enfin livrer le coupable ? Un expert rémois détaille pour nous les possibilités d'analyses.
LE commandant Emile Thiébeaux, ex-spécialiste de l'identification judiciaire du SRPJ de Reims, a vu évoluer la police scientifique tout au long de sa carrière. Les nouvelles recherches sur les scellés de l'affaire Grégory sont-elles superflues ? « Ca vaut le coup d'essayer », estime-t-il, tant les progrès en matière de recherche d'empreintes génétiques sont spectaculaires depuis dix ans. Le policier nous commente les chances de faire la vérité. Sachant que « retrouver un ADN ne suffit pas forcément à prouver qui est l'auteur du meurtre. »
TIMBRES ET ENVELOPPES
Le 14 juin 2000, à la demande des grands-parents paternels de Grégory, l'enquête est une première fois rouverte par la cour d'appel de Dijon. La justice autorise la recherche d'ADN sur un demi-timbre apposé sur l'une des lettres du « corbeau » datant de 1983.
Le 17 octobre, déception : les experts déclarent l'ADN inexploitable. Aucune empreinte génétique n'est extraite.
« Tous les jours, nous assistons à de nouvelles prouesses des laboratoires, qu'ils soient publics ou privés, pour retrouver des traces d'ADN. Il n'est pas exclu d'extraire de l'ADN aujourd'hui après un échec il y a huit ans. »
LES VÊTEMENTS
Il s'agit de l'anorak et du bonnet de Grégory. « Les vêtements ont séjourné dans l'eau. Ca dégrade l'ADN et ça pollue les pièces à conviction avec des tas de micro-organismes. Le problème tient aussi à la conservation des scellés. Pendant des années, on a placé des vêtements saisis lors des enquêtes dans des sacs en plastique. Ca ne servait à rien. On sait maintenant que les scellés stockés dans ces conditions deviennent inexploitables en moins de 24 heures. Depuis les années 90, les objets sont séchés et placés dans des sacs en papier. Ils sont en principe gardés à l'abri de l'humidité, de la chaleur et de la lumière. »
LES CORDELETTES
Grégory a été trouvé pieds et poings liés dans la Vologne. Les cordelettes peuvent-elles parler ? « Dans une affaire récente du meurtre d'une jeune femme étranglée à Reims avec un torchon, nous avons retrouvé une concentration d'ADN de contact sur deux extrémités du torchon. On a pu dès lors reconstituer de manière exacte la manière d'opérer du criminel. Le meurtrier de Grégory a pu laisser son empreinte génétique sur le chanvre des cordes par simple contact. Il faudra, en revanche, recenser l'ensemble des enquêteurs qui ont manipulé ces cordes pour trier les ADN. A l'époque, personne ne prenait de précaution dans la manipulation des pièces à conviction. Aujourd'hui, nous intervenons sur la scène du crime avec des lunettes, des gants, des combinaisons et des surchaussures. Les enquêteurs prennent d'infinies précautions pour ne pas contaminer les objets. Il faut ensuite avoir des empreintes génétiques à comparer. En a-t-on de Grégory ou de Bernard Laroche ? »
LES CASSETTES AUDIO
Un enregistrement d'une voix revendiquant le meurtre existe. Le coup de fil a été donné le jour même de l'assassinat à Michel, frère de Jean-Marie Villemin. : « Je me suis vengé, j'ai pris le fils du chef », explique la voix inconnue, grave, lente, avec un accent vosgien. A l'époque, les experts privilégient l'hypothèse d'une voix de femme transformée, mais sans certitude.
« La police dispose aujourd'hui d'un laboratoire d'analyse du traitement des signaux très performant, qui n'existait pas dans les années 80. Encore faut-il avoir la bonne voix à comparer avec l'enregistrement », précise Emile Thiébeaux. Grâce à des algorithmes, les deux voix, transformées en graphiques, sont superposées pour déterminer une éventuelle concordance.
LES COMPARAISONS D'ECRITURES
Les analyses de certaines lettres anonymes ont incriminé Bernard Laroche au point de justifier son incarcération le 5 novembre 1984. D'autres experts en écritures, un an plus tard, laissent entendre que Christine Villemin pourrait être l'auteur de la lettre de revendication de l'enlèvement et du meurtre de l'enfant. Elle sera inculpée en juillet 1985 d'assassinat puis bénéficiera d'un non-lieu. Aujourd'hui, les juges manient les comparaisons d'écritures avec précaution.
« C'est parfois flagrant mais c'est assez rare. Quelqu'un peut prendre sa main gauche avec une écriture en lettres capitales. Il est alors difficile d'identifier l'auteur en comparant une écriture. », précise Emile Thiébeaux. La fameuse lettre qui revendique l'assassinat a été saupoudrée de sulfure de zinc par un gendarme en quête d'empreintes digitales. Elle est de ce fait inexploitable.
LE CORPS
Une autopsie avait été réalisée en 1984. Malheureusement, sans prélèvement de viscères ni d'analyse du liquide gastrique. Impossible de savoir si l'enfant a été tué avant d'être jeté dans la rivière. En décembre 2003, les époux Villemin ont fait procéder à l'exhumation du corps de l'enfant enterré au cimetière de Lépanges avec l'autorisation de la cour d'appel de Dijon. L'enfant a été incinéré à Epinal.
Savoir, c'est l'espoir de leur vie
Me Marie-Christine Chastant-Morand est l'un des avocats des époux Villemin. Elle suit l'affaire Grégory depuis janvier 1985.
Sur quels éléments matériels fondez-vous le plus d'espoir ?
La justice rouvre le dossier parce qu'il y a une chance d'obtenir des indices probants sur les cordelettes dont les nœuds, semble-t-il n'ont pas été défaits. Il existe également une seringue et un conditionnement d'insuline qui ont été retrouvés en novembre 84 près du lieu de découverte de Grégory. On peut aussi espérer trouver des cellules de celui ou de celle qui a fermé l'enveloppe de revendication de l'assassinat. Il y a d'ailleurs plusieurs timbres et enveloppes à analyser. Sur les vêtements, c'est plus compliqué puisqu'il y a sans doute de nombreux ADN parasites : celui de Grégory, de sa nourrice, de ses parents, des sauveteurs, des enquêteurs, etc. Quant à l'enregistrement de la voix du corbeau et des expertises graphologiques, le premier supplément d'information avait déjà été très loin, sans résultats.
En demandant une réouverture de l'enquête, vos clients ne craignent-ils pas un nouveau déchaînement médiatique ?
Ils se sont protégés en déménageant près de Paris. Ils ont refusé quasiment tout contact avec la presse. Jean-Marie travaille toujours dans la même société. Christine a élevé leurs trois enfants. Une vie tranquille où le souvenir a remplacé les larmes. Sauf que le temps s'est figé en 1984. Leur petit de quatre ans et demi, à l'époque leur fils unique, a été assassiné et ils ne savent toujours pas pourquoi ni comment. Savoir, c'est l'espoir de leur vie.
Le tragique feuilleton d'une génération
La justice a décidé hier de rouvrir l'enquête dans l'assassinat du petit Grégory Villemin, l'une des plus grandes énigmes criminelles du XXe siècle.
Existerait-il encore un espoir de démasquer l'assassin de cet enfant de quatre ans, enlevé devant chez lui et dont le cadavre a été retrouvé le 16 octobre 1984 dans la Vologne, une rivière des Vosges, à six kilomètres de la maison de ses parents à Lépanges ? Les avocats de Christine et Jean-Marie Villemin, Marie-Christine Chastant-Morand et Thierry Moser, qui se réjouissent de la décision de la cour d'appel de Dijon, en sont persuadés.
Il y a 24 ans maintenant qu'ils attendent la vérité. Tout dépendra des éventuelles traces d'ADN conservées dans les scellés, ces éléments matériels collectés par les enquêteurs : Les vêtements de l'enfant, les cordelettes qui avaient servi à le ligoter et celles retrouvées dans le garage des parents, les lettres du corbeau qui avait revendiqué le crime et les enregistrements de ses harcèlements téléphoniques. La justice a tout gardé. Mais les conditions de conservation et les manipulations des objets par les protagonistes de l'époque, forcément ignorants des précautions aujourd'hui largement divulgués même dans le grand public, n'auront-ils pas détruit tous leurs secrets ? Christine et Jean-Marie Villemin misent sur les progrès de la science.
Ainsi, cette affaire revient sur le devant de la scène. Comme le feuilleton d'une génération rythmé par des coups de théâtre et de longs silences. Un feuilleton tragique qui prend pied dans une nouvelle époque, celle des séries américaines qui viennent à bout de toutes les énigmes. Les Experts, qu'ils soient de Miami ou de Manhattan, vont croiser ceux de Cold Case, capables de faire surgir la vérité du fond des temps, tant qu'il subsiste des preuves matérielles et des témoins vivants.
Une affaire obsédante
Grégory, dont la France entière connaît le sourire, cet enfant martyr assassiné à l'âge de quatre ans, aurait aujourd'hui 28 ans.
Depuis près d'un quart de siècle, beaucoup d'autres enfants ont été assassinés, dans des conditions tout aussi horribles, mais c'est ce crime-là qui obsède. Le meurtre de la Vologne, le petit cadavre dans les bras d'un pompier, ficelé, son petit bonnet de laine tricolore enfoncé sur le visage, est resté dans toutes les mémoires. Frappant l'imagination populaire au fil des péripéties policières, judiciaires et médiatiques dans lesquels furent brusquement jetés deux jeunes mariés de 26 et 24 ans, Jean-Marie et Christine Villemin. Des parents victimes fous de douleur, l'un puis l'autre promus au rang d'assassin. Le père en tuant celui qu'il accusait d'être le meurtrier de son enfant, son propre cousin, Bernard Laroche.
La mère, en devenant la coupable idéale avant d'être innocentée, dans une hallucinante série d'expertises bâclées, de témoignages douteux, de cachotteries, de violations du secret de l'instruction, de guerre des polices, d'egos surdimensionnés, d'incompétences manifestes.
Le tout dans l'atmosphère glauque d'une histoire familiale complexe, où des êtres frustes s'affrontent au sein d'un clan qui protège ses mystères.
Le corbeau de Lépanges, jamais identifié, se frotte encore les mains.
L'assassin aussi (est-ce le même ?) qui, 24 ans après, a peut-être encore du souci à se faire.
La hantise de la vérité
« Un jour la vérité sortira… », lançait Christine Villemin il y a deux ans. La cour d'appel de Dijon a donné hier son feu vert pour que la prédiction se réalise… Peut-être. Depuis 24 ans, les époux Villemin ne vivent que dans l'espoir de connaître un jour le nom de l'assassin de leur petit Grégory. Une obsession légitime que les parents de l'enfant martyr partagent aussi pour des raisons différentes.
Christine, qui fut un temps soupçonnée du meurtre de son enfant, se montre sûre d'elle. Tout autant que la vérité, elle attend du complément d'enquête une mise hors de cause totale, sans l'ombre d'un doute. Son mari, Jean-Marie, qui porte comme une croix son geste meurtrier, qui assume la mort de Bernard Laroche d'un « je suis un assassin » qui ne se résume pas à une simple formule, veut ainsi pouvoir régler ses problèmes de conscience. Car, si le jour de son coup de feu, il était persuadé d'avoir abattu celui qui avait tué son enfant, depuis, le temps passant, les nuages du doute ont envahi son sommeil de juste. Aujourd'hui, il veut des certitudes. Jean-Marie et Christine Villemin, comme les parents d'un marin disparu en mer, n'ont jamais pu faire leur deuil. Le petit Grégory, comme un fantôme, hante leur vie. Après sa mort, Christine a donné naissance à Julien, 23 ans désormais, « l'enfant de la survie ». Puis sont venus Emelyne, « l'enfant de l'espoir », 18 ans, et Simon, 10 ans, « l'enfant du retour à la sérénité », ainsi prénommé en hommage au juge Simon, qui avait innocenté Christine.
Mais Grégory est resté toujours aussi présent, et même davantage. Il y a deux ans, son corps exhumé secrètement de son tombeau a été incinéré pour qu'il puisse rejoindre la maison familiale des Villemin, dans le sud de Paris. Ses photos meublent la demeure. La reprise des investigations, celles de la dernière chance, peut contribuer à fermer de nombreuses plaies encore béantes. A condition bien sûr que les tests ADN continuent de faire des miracles. Ce serait une première dans cette affaire marquée par les dérapages de l'enquête.
« Vous êtes journaliste ? Vous êtes content, les affaires reprennent » : Lépanges-sur-Vologne (Vosges) assistait hier, avec une animosité à peine voilée, au retour des « rats », quelques heures après la réouverture de l'enquête sur l'assassinat de Grégory Villemin. Au comptoir du bar de l'Est, le regard du client est lourd et suspicieux.
« Qu'est-ce que vous voulez encore savoir ? Il n'y a rien à dire », lance-t-il, l'œil rivé sur son kir. « D'ailleurs, plus aucune personne concernée n'habite encore ici », ajoute-t-il, visiblement agacé.
Christine et Jean-Marie Villemin se sont établis à Etampes (Essonne). Marie-Ange Laroche vit discrètement dans la région de Gérardmer (Vosges).
« Elle n'a pas envie de parler. Elle est encore meurtrie par l'assassinat de son mari Bernard », explique son avocat, Me Gérard Welzer, joint au téléphone à son cabinet d'Epinal (Vosges).
« On va maintenant nous jouer Les experts », commente, en référence à une série télévisée, la patronne du bar de l'Est, Sylviane Parisse. Il y a 24 ans, lorsque Grégory, quatre ans, avait été retrouvé mort, pieds et poings liés, dans la Vologne, son établissement situé en bordure de la voie ferrée avait servi pendant des mois de quartier général aux dizaines de journalistes venus couvrir « l'affaire ».
« On ne va rien trouver, tout a été tellement tripatouillé », estime-t-elle. « Je ne sais même pas si la justice a conservé l'ADN de Grégory », renchérit Me Welzer. Un visiteur chercherait d'ailleurs en vain la tombe de Grégory au cimetière de Lépanges, battu par le vent mauvais et les giboulées de neige en ce début décembre.
Au tabac presse Schwaederlé, la vendeuse avoue se méfier « comme de la peste » des médias. « Une équipe de FR3 est déjà venue ce matin pour m'interroger. Comme à vous, j'ai refusé », ajoute-t-elle.
« J'ai appris à tenir ma langue depuis que, l'an dernier, des journaux ont déformé ce que j'avais pu dire sur l'affaire », ajoute-t-elle en coupant court à la conversation d'un « Excusez-moi, mais j'ai à faire ».
Dans sa mairie juchée sur le haut de la petite commune de 900 habitants, le maire, André Claudel, fronce les sourcils et lance : « Je n'ai rien à dire, ni à vous, ni à vos confrères ».
Source : L'union L'Ardennais
|