Entretien
Dernière mise à jour: 29 septembre 2004

 

 

 

Jean-François LE FORSONNEY

 

Jeune avocat stagiaire du cabinet de Paul Lombard, Jean-François Le Forsonney fut bien malgré lui, à 24 ans, l'un des principaux défenseurs de Christian Ranucci.

Nul autre que lui, hormis Mme Mathon, ne fut aussi proche de son jeune client, qu'il accompagna jusqu'aux derniers instants.

Jean-François Le Forsonney a accepté d'évoquer avec nous cette douloureuse affaire qui restera à jamais gravée dans sa mémoire.




- Comment résumeriez-vous l'affaire Ranucci et sur quels éléments fondez-vous votre conviction de son innocence?

Comment vous dire cela simplement? Cette affaire est faite de petits morceaux de certitudes - Ranucci est sur les lieux - et de doutes - on ne connaît pas l'heure de la mort de la petite; on ne comprend pas ce que fait Ranucci dans la galerie; son profil n'est pas celui d'un pédophile ou d'un assassin d'enfant; la portière décrite par les Aubert ne peut pas s'ouvrir comme ils le disent - . En réalité, tous les éléments la composant peuvent être, pour les uns, des éléments de culpabilité, pour les autres, des éléments d'innocence.
Il y en a toutefois un qui, à mon avis, règle le problème: c'est le chien, le pull-over et le suivi de piste. Rendons ici justice à Gilles Perrault, c'est lui qui s'en aperçoit et qui le découvre. Car si le chien suit la piste du pull-over de la champignonnière au lieu du meurtre ou de l'accident, Ranucci est innocent.
Il faut en effet s'entendre sur ce que suit le chien: peut-il suivre la piste d'un véhicule? Non, c'est impossible.Il n'a donc pu sentir que l'odeur d'un homme ou d'un de ses vêtements. Reste alors à identifier l'origine de cette odeur humaine.
Si c'est celle de Ranucci, nous devons admettre que celui-ci s'est déplacé à pied du lieu du meurtre, ou de l'accident, à la galerie. Cela paraît improbable. Car il semble se déplacer en voiture, tout seul ou avec quelqu'un, peu importe, mais c'est sa voiture qui se déplace. Le chien a donc suivi l'odeur de quelqu'un d'autre, d'un inconnu, portant ou ayant porté un pull-over rouge et ayant fait le même trajet que le chien, dans un sens ou dans l'autre. Est-il l'assassin ou un complice? On l'ignore. Mais ce qui est sûr c'est qu'un élément étranger interfère dans le processus des évènements.
Et on finit alors par se poser des questions sur la saisie curieuse du couteau, sur la description des Aubert à cause de la portière, ou sur le témoignage de Martinez qui ne parle pas d'une gamine à bord de la voiture, du moins dans un premier temps. Tous ces éléments ne peuvent plus s'intégrer de manière cohérente dans l'ensemble.

- Comment expliquer la présence, en position de marche arrière, de la voiture de Ranucci dans la galerie?

Tout ce que l'on peut dire c'est que l'entrée de la champignonnière est très étroite et qu'il est impossible de manoeuvrer ou de faire demi-tour à l'intérieur. Je peux vous assurer que, pour y accéder, il fallait connaître l'endroit et avoir l'intention d'y pénétrer. Pour le reste, je n'en tire aucune conclusion définitive.

- La reconstitution a-t-elle permis de clarifier ce point?

Non, du tout. Que dire d'ailleurs de cette reconstitution? Dans une information pénale, elle doit permettre de reconstituer le plus précisément possible ce qui est sensé s'être passé.
Dans cette affaire, la reconstitution a été menée de manière très désinvolte, car on considérait que Ranucci était coupable, sans l'ombre d'un doute; et l'on ne s'embarrassait pas des détails. On lui disait:"vous êtes allé ici, vous êtes sorti là"; et lui, très passif, ne répondait que par oui ou non. La reconstitution est donc partie du postulat qu'il était coupable et n'a par conséquent rien éclairé du tout.
Si nous avions su, à l'époque, que Ranucci était susceptible de contester sa culpabilité, nous aurions évidemment été beaucoup plus attentifs sur la reconstitution.

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