Le 10 mars 1976, l’avocat général Viala requiert la peine de mort à l’encontre de C. Ranucci. Plus tard, il déclarera qu’avant même d’avoir lu le dossier, il savait qu’il allait requérir la peine capitale dans cette affaire. Et cependant, de notoriété, chacun sait dans le milieu de la magistrature, que M. Viala est opposé à la peine de mort. (cf. : Le Pull-over rouge, page 258 : « Il avait alors la réputation établie d'être opposé à la peine capitale. »)
Ce même jour, les avocats de Christian Ranucci font part à la cour des doutes qu’ils ont relevés concernant la culpabilité de leur client, et notamment de la présence de cet homme au pull-over rouge qui sillonnait les cités quelques jours avant l’enlèvement et le meurtre de M. Dolorès Rambla. Ils font le lien justement avec un pull-over rouge retrouvé dans la champignonnière à quelques centaines de mètres du lieu de la découverte du corps. Les jurés ont donc désormais la connaissance de ces doutes.
Survient ensuite l’épisode Viala. En possession de 5 PV dont 4 signés de témoins des cités visitées par l’individu au pull rouge, il choisit volontairement de n’évoquer que le cinquième de ces PV, celui parlant d’un homme en pull-over VERT. En conséquence, on peut dire sans vraiment se compromettre que M. Viala a forcément lui aussi des doutes sur la culpabilité de C. Ranucci puisqu’il décide intentionnellement de cacher aux jurés les preuves qui entérinent les doutes soulevés par la défense.
Un peu plus tard, lorsque les jurés sont invités aux délibérations, le président Antona leur rappelle en introduction les propos du président de la république Valéry Giscard d'Estaing relatifs à la peine capitale. Celui-ci, en effet, avait déclaré le 11 avril 1974, en pleine campagne pour l'élection présidentielle, son «aversion profonde» pour la peine de mort. «Il suffit, déclarait-il, d'entendre les termes "la peine de mort" pour comprendre l'horreur de cette chose. » En d’autres termes le président Antona suggérait implicitement aux jurés : « vous pouvez voter la peine maximale, de toutes manières, il sera gracié »
A l’issue du délibéré, C. Ranucci est condamné à mort.
Le 17 mars 1976, le président Antona et l’avocat général Viala transmettent simultanément une lettre au Garde des Sceaux lui recommandant l’exécution de Christian Ranucci.
En fait, si l’on étudie un peu les circonstances de ce verdict, aucun de ces deux hommes ne veulent la mort du jeune condamné, l’un à l’appui de ses propres convictions abolitionnistes, l’autre parce qu’il est confiant dans les opinions déclarées du chef de l’Etat.
Alors pourquoi le premier requiert-il la peine capitale et le second pousse-t-il les jurés à la voter ? Tout simplement pour faire fléchir le président de la république !!!!!
Car si la grâce est accordée à un condamné reconnu coupable de l’enlèvement et du meurtre horrible d’une enfant de 8 ans, alors à qui pourrait-on refuser la grâce ? En conséquence, cette clémence présidentielle sonnerait le glas de toute exécution. Nos deux compères, certainement avec l’aval de certains membres de la magistrature entendent donc forcer la main du président de la république en vue d’une abolition officieuse de la peine de mort en France, en attendant que le parlement ne la rende officielle.
Mais tout ne se passe pas comme ils le souhaiteraient. En effet, le 22 avril 1976, Valéry Giscard d'Estaing revient sur ses propos du 11 avril 1974. Les termes qu’il emploie ne sont plus aussi définitifs concernant son « aversion ». Il déclare ainsi : « Je crois que nous devons faire en sorte que la vague de criminalité et de violence s'atténue en France, et ceci suppose un certain nombre de moyens de prévention et d'action. Cette vague ayant reculé, il deviendra possible, et, je dirai, nécessaire que la collectivité nationale se pose la question de la peine de mort sur laquelle, en ce qui me concerne, le moment venu, je donnerai ma réponse. ». Implicitement, la peine de mort continuera d’être prononcée et les exécutions pratiquées jusqu’à ce que reculent les « violences inadmissibles » ; ce n’est qu’ensuite que l’on pourra discuter de l’éventualité d’une proposition législative sur le thème de l’abolition.
Toutefois, concernant directement le cas de C. Ranucci, les deux magistrats M. Viala et M. Antona peuvent garder confiance. En effet, dans les cas de « violences inadmissibles » énumérées par le président ne figure pas le crime reproché à leur condamné.
Le 17 juin, malgré plusieurs fautes de procédures, et notamment la présentation tardive des 5 PV, le pourvoi en cassation est rejeté. Que s’est-il passé là encore ? Les magistrats de la cour de cassation, pour soutenir Messieurs Viala et Antona et peut-être d’autres membres du parquet, ont-ils voulu s’associer à leur quête de l’abolition en faisant eux aussi plier le président de la république pour lui faire signer la grâce de ce condamné. Ce faisant, il convenait de présenter un dossier complètement vicié dans son entière procédure, de l’enquête, en passant par l’instruction, le procès, les débats, la cassation. Un tel dossier miné à l’extrême ne pouvait qu’être accueilli favorablement par le chef de l’Etat. Celui-ci écrira par ailleurs, se souvenant de la visite Maître Lombard : « Je me suis senti glacé de crainte devant la manière, l'ultime manière dont son client était défendu. »
Et voilà ! La main est tendue vers le président qui ne devrait en de telles circonstances et devant un tel dossier ne pouvoir que choisir la clémence. Comment pourrait-il laisser la justice suivre son cours et faire exécuter un condamné clamant son innocence, jugé lors d’un procès à charge et dont on n’a pas voulu retenir les vices de procédure, et en outre mal défendu par ses avocats ?
Oui ; la main est tendue et même bien tendue puisque pour alléger les dernières hésitations du président de la République ou bien pour lui éviter d’avoir à s’expliquer sur son éventuelle décision de clémence dans le cadre de cette affaire, le conseil de la magistrature a du reste pris la précaution d’émettre un avis défavorable à l’exécution.
S’il signe la grâce, et il semble qu’on ait tout fait pour cela en haut lieu, c’est la mort de la peine capitale.
Christian Ranucci est exécuté le 28 juillet 1976.
En ne signant pas la grâce, le président a trahi les magistrats, les jurés, le peuple, et notamment tous les abolitionnistes qui avaient confiance en lui. Il a fait mettre à mort un jeune homme de 22 ans, mineur civil à l’époque des faits qui lui sont reprochés, et qui clamait son innocence.
Mais, d’après l’hypothèse que je propose ci-dessus, il en est deux qu’il a bien plus sûrement trahis : ce sont M. Viala et M Antona qui ont joué à la roulette russe avec la vie de Christian Ranucci.
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