ENTRE INNOCENCE ET CULPABILITZ : SCENARIO CONSTRUIT SUR DES DONNEES PSYCHANALYTIQUES.
Oui mais voilà on peut aussi faire un scénario culpabiliste, qui ne cadrera pas avec les témoignages du petit Rambla et de Spinelli (après tout ils ont pu se tromper), mais qui présente, lui, une grande cohérence psychologique absente, je crois, de la réflexion collective, jusqu’à présent, encore qu’on puisse lire sur le forum des interprétation de Thomas, qui ne sont pas loin des miennes. Mais j’ai l’impression d’apporter quand même quelque chose d’inédit.
Ranucci vient de toucher sa voiture. Il s’offre son premier WE de garçon, sa maman ne l’accompagnant pas malgré son insistance. Il ne fait pas part de ses projets à sa mère et pour cause. Il va à Marseille, boit beaucoup et passe une nuit blanche (est ce que je me trompe si on a pu parler d’une prostituée ?). Mais le véritable but de son voyage est de voir son père. Il s’y rend vers 9 heures.
C’est alors qu’il se passe quelque chose. Non pas un incident, ni un accident, mais un effondrement majeur, la bascule de toute une vie. Le père n’est pas là, ou fait dire qu’il n’est pas là, et la belle mère a - ce sont encore mes suppositions - avec M. Ranucci une altercation. Je suppose à ce moment là qu’elle dit à M. Ranucci des choses insoutenables qui peuvent aller de "c’est trop tard… ça fait 17 ans…" ou "ton père ne veut plus te voir…", à une révélation terrible "ce n’est pas ton père", "ta mère t’a eu avec un homme de passage" (ce qui fait d’elle une femme facile).
Ce qui suivra ira dans ce sens : cet homme, le père qui n’est pas le père, qui a certes voulu exercer un droit de visite, lorsque Christian avait trois ans, pour un petit enfant auquel il s’est habitué, n’a aucune raison de le recevoir, dès lors qu’il n’est pas son père, ni de venir le voir en prison, ni surtout de lui offrir l’alibi en or consistant à dire qu’il s’est entretenu avec lui de 9 heures à 11 heures. Si personne ne lui demande un geste paternel, c’est qu’il n’est pas le père, ce que sans doute sait Mme Maton, et qu’admet CR, car dans le cas contraire il utiliserait certainement cette piste (rappelons qu’on peut contraindre un témoin à venir à la barre). Si à l’approche de l’exécution, et par exemple pour obtenir la cassation suite à un élément nouveau, madame Maton n’entre pas en rapport avec lui, c’est qu’il est étranger à la filiation.
Je suppose donc que l’univers symbolique de ce jeune homme s’écroule (« il est reparti bouleversé » dira Mme Casaregola). Ce faisant, je n’invente rien puisqu’il est rapporté (mais non confirmé) qu’il a été chez son père et éconduit. Je ne fais qu’expliciter la scène qui aura eu lieu à ce moment. J’exprime la suite dans des termes psychanalytiques. Prière de ne pas répondre mécaniquement que c’est de la psychanalyse de bazar !
S’agissant de ce père on peut noter des signifiants forts. Ranucci a déménagé une trentaine de fois, de peur d’un enlèvement par lui. Ce père a blessé la mère de Christian au visage. Il a nié son fils, et l’a considéré comme mort. Ce père soldat est aussi porteur d’un certain idéal de virilité, que Ranucci mimera en répondant de façon soldatesque "affirmatif" et "négatif", jusqu’au dernier mot, à l’aumônier de la prison.
L’horrible nouvelle va déterminer un "passage à l’acte" (notion très technique en psychanalyse, sur laquelle on pourra s’expliquer ultérieurement. Et notion non pratiquée, que je sache, par la psychiatrie dans les années 70). Ce passage à l’acte, advient dans les termes mêmes que je retiens : enlèvement, blessure sauvage au visage (pourquoi personne ne relève t’il donc qu’il y a là une curieuse façon de tuer? Qui peut soutenir un instant que ces coups en miroir de ceux subis par madame Maton ne constituent pas une signature). Et meurtre, qui peut se concevoir comme le correspondant inversé du double ou triple meurtre symbolique accompli par le père sur le fils putatif Ranucci. Dans ce « passage à l’acte » fait de réponse et de symétrie, il est dans le rôle du père et, si je puis dire, il accomplit la maîtrise symbolique de sa vie en accomplissant ce qu’on a accompli sur lui. Il renverse la passivité en activité. C’est littéralement la constellation "enlèvement-négation-blessure" qui est active et non le psychisme de M. Ranucci qui ne peut maîtriser cette constellation. Un lacanien dirait quelque chose comme "le signifiant maître forclos fait retour dans le réel."
A chacun de dire si c’est entièrement compatible avec l’imputation de totale responsabilité.
Ce "passage à l’acte" est en réalité double. L’enlèvement, puis le meurtre. Ils ne sont pas fondamentalement associés : peut être CR aurait-il pu enlever MDR, se montrer gentil avec elle et la raccompagner (ce qu’il indique dans ses aveux comme étant son intention initiale) : ça aurait eu la même valeur de mise en acte, l’important étant qu’il joue sur un mode actif ce que le destin lui avait réservé sur un mode passif, qu’il enlève l’enfant, lui qui aura rêvé toute sa vie d’être enlevé par un père gentil et qu’il la "paterne".
Mais c’est alors que survient l’accident, puis les récriminations de la petite qui le conduisent à un passage à l’acte où la négation de l’enfant prend un tour criminel. Que ce passage à l’acte soit une montée d’inconscient, non mémorisée (trou noir) où il est en situation de victime (ce qu’il soulignera : "je ne suis pas un salaud"), ne présente aucune invraisemblance sur le plan psychanalytique et psychiatrique, puisque c’est la caractéristique même du passage à l’acte. Chacun peut ici consulter sur internet ce que c’est qu’un passage à l’acte. On y verra que ça confirme l’absence d’arrière plan pédophilique et explique l’amnésie.
Il faut savoir écouter ce qui disent les êtres humains. Prenez la série des déclarations de CR, elles peuvent toutes s’inscrire dans la logique que je tente de construire et la confirmer à leur manière :
"oui c’est moi" : j’ai accompli le geste.
"je ne me souviens plus" : c’est comme ça
"c’est obligatoirement moi" : tout m’accuse et j’y ai été poussé par un mécanisme intérieur
"je ne suis pas un salaud" : c’est venu d’ailleurs que de moi, et évidemment je n’ai rien d’un pédophile
"je suis innocent" : idem
"réhabilitez moi" : il faut faire apparaître une vérité psychologique
C’est un drame que les flics ré-écrivent les déclarations des gens lors des dépositions, car ils nous privent de signifiants à l’état natif. Mais ceux que je rapporte ici méritent tous d’authentiques guillemets. Et jusqu’au mensonge sur Marseille et Salerne dont on ne voit pas l’utilité en dehors de cette hypothèse : mais c’est que Marseille possède une telle coloration noire qu’il vaut mieux fantasmer qu’on n’y a jamais été.
Voilà Christian Ranucci installé dans la mort symbolique : il n’est plus celui qu’il a été. Et c’est irrémédiable ! Il n’y a pas d’identité de substitution. Sur le moment, cette mort symbolique a de quoi expliquer un trou noir rempli par un comportement automatique, d’autant plus qu’elle est surdéterminée par la forte imbibation d’alcool et le choc de l’accident qui peut signifier en plus une troisième mort, une mort sociale, s’il perd son permis, surajoutée à cette double mort symbolique puisqu’il perd son père et risque de voir sa mère destituée.
La mort physique est elle pire que la mort symbolique et sociale? Dans mon hypothèse Christian Ranucci perd son identité et si je puis dire ses supports vitaux , ce matin vers 9 heures. Il avouera bien à sa mère la visite au père mais pas le contenu de l’interlocution, telle que je la suppose, parce que ce serait traiter sa mère de fille perdue. Il ne peut quand même pas perdre son père et sa mère du même coup. Il taira la visite au père parce qu’elle signifie quelque chose d’absolument insupportable. Il passera de l’aveu à la protestation d’innocence parce qu’il est à la fois coupable et innocent, coupable du geste, innocent du "passage à l’acte", dans un état complètement anormal qui le dépasse, évidemment. D’une certaine façon il est déjà mort. A quoi bon montrer de la souplesse à la cour d’assise ?
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Voilà ! Il va de soi que je préfère la version innocentiste, qui doit faire face à autant de contradictions que la version culpabiliste. Mais j’ai le sentiment avec cette reconstruction psychologique de toucher à une vérité sur laquelle l’attention n’a pas été suffisamment attirée. J’ai même pour tout dire l’impression d’accomplir un premier pas sur le chemin de la réhabilitation. On cherche des faits matériels alors que l’évidence des faits psychologiques est sous notre nez. Et lorsqu’on cherche des faits psychologiques, on les cherche du côté du fantasme pédophile et non du « passage à l’acte » qui est un état d’une gravité extrême compatible avec l’application de l’ancien article 64 et du nouvel article 121.
Au reste la psychanalyse est au delà de l’opposition entre innocence et culpabilité puisqu’elle pose un déterminisme psychique, et qu’en même temps elle admet le principe de l’imputation. Je parlais plus haut d’en « déplacer le curseur ». Tout est là : toute personne à soigner ne peut faire l’objet d’une simple imputation, ou plutôt le nombre des malades pour lesquels l’imputation n’est plus de mise est beaucoup plus grand que ne veulent bien dire les facultés de droit et de psychiatrie.
Il va aussi de soi que cette version est incompatible avec les témoignages Rambla et Spinelli, avec son calme à son réveil, avec le fait qu’il ne fait pas disparaître les traces du crime… Mais c’est bien la caractéristique de cette affaire : il y a autant de faits dans la colonne innocence que dans la colonne culpabilité.
Je termine par cette remarque : il est bien symptomatique à la fois du procès et du forum qu’on s’intéresse si peu au père, oblitéré par la grande disparition des pères que relèvent tous les psychanalystes aujourd’hui. Sur le forum, la minceur des interventions sur le papa constitue un véritable symptôme !! Comme si un père pouvait ne pas être un des deux personnages essentiels de toute vie psychique. Mais si on admet un Christian Ranucci occupé tout autant que chacun de nous de son père, on est conduit à mon raisonnement. Le père importe, donc la visite au père importe, or c’est un cataclysme, et le reste suit.
Je posterai un quatrième volet qui consistera en une explication technique, avec références, des quelques termes compliqués que j’ai utilisés.
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