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lien un peu long à la détente
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La mort du fromager Mouttet, affaire classée
LE MONDE | 21.11.05 | 14h46 • Mis à jour le 21.11.05 | 15h20
L'enquête criminelle avait commencé en 1913. Elle vient seulement d'être résolue après un rebondissement inattendu : la découverte des restes de la victime — un maigre tas d'os — sur le territoire de la commune de Gresse-en-Vercors (Isère), entre deux couches de rochers, au fond d'une faille géologique de 30 mètres d'un accès difficile. C'est en avril qu'un groupe de spéléologues amateurs de Grenoble, en exploration dans la zone du lieu-dit Le Rocher du Château Vert, a fait la découverte macabre, permettant aux gendarmes de La Tronche de rouvrir l'enquête sur la disparition de Jean-Henri Mouttet, employé dans une fromagerie locale, ouverte il y a quatre-vingt-douze ans.
Aux côtés du squelette gisant dans cette grotte, les spéléologues de la gendarmerie nationale ont exhumé une pipe, une étoffe en lambeaux, une semelle de chaussure à clous et un porte-monnaie contenant treize pièces, des napoléons et des francs frappés entre 1880 et 1913. Ces indices ont permis une avancée spectaculaire, grâce notamment à une analyse de l'ADN des ossements.
Agé de 30 ans à l'époque, Jean-Henri Mouttet a été tué lors d'une bagarre avec Léopold Girard, un berger de 30 ans lui aussi et originaire, comme lui, de Gresse-en-Vercors. Les deux hommes en pinçaient pour la même jeune fille, Léoncie Bernard, morte de vieillesse il y a dix ans. Le 8 octobre 1913 au soir, plusieurs témoins les avaient vus en découdre à la sortie d'un café. Après cette rixe, plus personne n'avait eu la moindre nouvelle de Mouttet. Suicide ? Fuite ? Meurtre ? La rumeur d'un crime s'était répandue dans la vallée, où tout le monde savait que Jean-Henri et Léopold aimaient la même jeune fille.
Chargé à l'époque d'enquêter sur cette disparition, le maréchal des logis Régis Cuchet avait fait état, dans son rapport, des soupçons qui pesaient sur Girard. Enquêteur scrupuleux, le gendarme avait parfaitement reconstitué les circonstances du drame. A ses yeux, le mobile ne faisait guère de doutes, mais l'absence de cadavre l'avait empêché d'interpeller le suspect numéro un.
En 1914, la première guerre mondiale mobilisant les hommes du village, le gendarme avait interrompu ses investigations et classé le dossier Mouttet. Quant au meurtrier suspecté, il est décédé, deux ans plus tard, dans un hôpital militaire de la Marne, des suites d'une blessure de guerre. Agonisant sur son lit de souffrance, il aurait confié son secret sur la disparition de Mouttet à l'un de ses proches, mais sans préciser l'endroit où il avait abandonné le corps. Le site où il a été découvert est situé à deux heures de marche du lieu de la querelle, à 1 500 mètres d'altitude, au bout d'un sentier de berger, sur le flanc des montagnes qui surplombent la vallée.
Près d'un siècle après les faits, le capitaine Vincent Corbel, de la gendarmerie de La Mure, n'est pas peu fier. Il a enfin réussi à élucider l'énigme. "Une enquête d'environnement auprès des habitants de la région et les techniques d'investigation scientifiques modernes nous ont permis de résoudre cette histoire", explique-t-il. Comme dans toute enquête criminelle, le corps de la victime et les indices prélevés alentour ont été expertisés au laboratoire scientifique de la gendarmerie nationale à Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis.
C'est l'analyse de l'ADN des ossements qui a permis d'établir à coup sûr l'identité de la victime, mais la mémoire encore vivace des anciens de Gresse-en-Vercors a facilité le travail des enquêteurs. En effet, malgré le quasi-siècle écoulé depuis le drame, le fantôme de Mouttet hante toujours le village. "Les anciens se souvenaient de l'histoire et nous ont orientés vers l'un des petits-neveux de Jean-Henri Mouttet, André Mouttet, grâce auquel nous avons pu comparer l'ADN", explique le capitaine Corbel. M. Mouttet avait conservé le livret militaire de son ancêtre, document qui révélait la claudication dont il était affecté et que les expertises menées sur le squelette ont décelée. Désormais, le parquet de Grenoble va pouvoir constater formellement le décès de Jean-Henri Mouttet.
Yves Bordenave
Article paru dans l'édition du 22.11.05