Version Perrault:
Citation :
Contrairement au cabinet artisanal d'Emile Pollak celui de Paul Lombard rassemble plusieurs avocat associés, leurs collaborateurs et leurs secrétaires ; c'est une ruche en perpétuelle effervescence. Les journalistes, introduits auprès de maître Lombard expliquent qu'ils ont avec eux la mère de l'assassin de Marie¬Dolorès Rambla et qu'elle est en quête d'un avocat: veut-il bien se charger de l'affaire? L'avocat fait la grimace et répond: « Je vous avoue que je préférerais plaider pour la partie civile... » Il consent cependant à recevoir Mme Mathon, l'écoute attentivement, puis lui demande un court délai de réflexion avant de prendre sa décision. Elle repasse dans la salle d'attente. Une demi-heure plus tard, maître Lombard la fait rentrer et lui annonce: « C'est d'accord, je défendrai votre fils. Mais c'est mon collaborateur, maître Le Forsonney, qui assurera le quotidien. Moi, j'interviendrai quand le moment sera venu. »
Version Le Forsonney:
Citation :
« Ce serait bien qu'on puisse se voir tout de suite... » Je commençais à connaître ce ton qui préludait en général à l'arrivée de l'« affaire du moment», et je me doutais bien que cette histoire pouvait tomber sur le cabinet. D'un côté ou d'un autre. Le correspondant permanent d'Europe 1, Roger Arduin, souvent premier sur place, Nagra autour du cou, a pris en charge Héloïse Mathon, la mère de Ranucci, évidemment perdue. Avec quelques confrères journalistes, le premier réflexe est: « Pollak ». Celui-ci est absent . Normal que ça aille « chez Lombard». C'est d'abord arrivé comme ça.
Mais cette affaire, dans cette ville, dans ce climat fada? Tu y risques ta clientèle. Si tu en as une. Paul Lombard m'a dit à peu près ceci :
- Il y a un choc violent qu'il faut laisser passer. Vous débutez. Personne ne vous connaît. Ça vous protège, et lui avec, de l'hystérie générale. Vous êtes commis d'office par le bâtonnier. C'est service commandé. On attend que ça se calme, vous m'appelez à vos côtés et je vous rejoins. Vous avez le droit de dire non. Ce type risque sa tête. C'est à vous de décider, mais vite. Sa mère est dans la salle d'attente. Si vous voulez faire du pénal...
Je n'avais pas prévu ça. Assurément, dans cette ambiance de corrida, le seul qui pourrait être relativement à l'abri de la vindicte serait un avocat commis d'office. Autant que possible inconnu au bataillon. Il est clair que j'avais une des qualités requises, et pas grand-chose à perdre, à part quelques illusions, et à risquer un patronyme à vrai dire exposé depuis l'école.
Comme d'habitude, c'était malin. Dans l'immédiat, il ne se mouillait pas, gardait l'affaire au chaud et en temps opportun volait au secours du jeune collaborateur pour porter l'estocade. Le geste du chirurgien. Dans l'intervalle, j'étais le leurre. Le client avait avoué: l'ennemie, c'était la peine de mort. L'avocat que j'ambitionnais d'être ne pouvait pas refuser cette bataille, surtout si je n'y allais pas seul, attendu que c'est au feu qu'on fait les bons soldats, et qu'il allait de soi que je recevrais le coup de projecteur utile à toute carrière. Faut-il alors réfléchir et à quoi? Impossible de commencer par une dérobade. Je me suis entendu répondre:
- D'accord. On verra bien. Mais ne me laissez pas me dépêtrer tout seul trop longtemps. Pour lui, comme pour mol.
Nous n'imaginions évidemment ni l'un ni l'autre sur quoi, et surtout sur qui, nous allions tomber.
Héloïse Mathon est entrée dans le bureau et a posé ses paquets autour d'elle. C'est une femme étrange, le masque est impénétrable. Elle porte un foulard sur la tête. Des yeux bleu pâle, froids et magnifiques. Sûrement, elle a été belle. Ce soir, le visage est épais, on voit qu'elle a beaucoup pleuré. Elle se tient raide et droite, très dignement, à peine posée sur le fauteuil, comme n'osant pas prendre ses aises. Elle ne se départira jamais avec nous de cette attitude de terrible respect.
Où est le problème?