Citation :
- Monsieur Ranucci, ai-je dit, je suis votre
avocat. J'ai vu votre mère. On va s'occuper de
vous maintenant. Simplement, il faut me dire: c'est
vous qui avez tué cette petite fille?
- Mais c'est obligatoirement moi! a-t-il hurlé.
Obligatoirement. Il y a des témoins. Mais je ne suis
pas un salaud. Je vous en prie, dites-leur que je ne
suis pas un salaud...
C'est tout. C'était la seule réponse que je
n'attendais pas. Je n'en tirerais pas plus. Le flic est
venu voir si tout allait bien. Il s'est remis à
sangloter... Je m'étais fait sans doute un scénario.
Je l'avais imaginé en quête, chez son avocat, de je
ne sais quelle « compréhension» de son crime.
Au-delà du trac, de la curiosité, voire de la
répulsion, j'étais focalisé sur un début d'explication.
Je voulais aussi faire en sorte qu'il ne se sente
plus seul. Installer un rapport de défense. Ni juge,
ni flic, ni garde-chiourme. La défense, quoi. Du
moins, l'idée que je m'en faisais, pour le peu que
j'en savais. Et le voilà qui commence par ne pas
répondre à ma question. Obligatoirement? Que
signifie cet adverbe sonnant en l'occurrence
comme une réserve? Faut-il prêter l'attention du
psychanalyste aux premiers mots du client à son
avocat? Prendre garde, en quelque sorte, à la
première impression, qui serait souvent la bonne.
Curieusement, ce jour-là, alors qu’il avait avoué, il
se plaçait avec moi comme de biais, par rapport à
son crime. Ce fut là ma première interrogation. Elle
ne me quittera plus.
Je regarde ses mains. Elles sont rouges. Des
égratignures. Le visage? Bouffi, peut-être tuméfié.
Sans doute le choc, le manque de sommeil. Il ne
se plaignait pas d'avoir été brutalisé. Cela dit, la
garde à vue c'est la garde à vue. En ces temps
reculés de proto-droits de la défense, la seule
suggestion de la présence d'un avocat au stade de
l'enquête de police était tout à fait incongrue.
Pourquoi pas avant qu'on les arrête? Nous n'avons
que quelques instants. J'essaie de lui expliquer
que ce qu'il a déclaré jusqu’ici ne compte pas
vraiment, que ce qui est important c'est ce qu'il
déclarera désormais en ma présence, et que je
dois connaître la vérité. Bon. Il y a des témoins.
Des témoins vous ont reconnu. Mais vous, qu'est ce
que vous me dites ? Vous me dites: je ne sais
pas ce qui s'est passé. Je ne peux en donner
aucun récit. Je n'en garde aucun souvenir. Et
surtout, je ne suis pas un salaud.
Très bien. Que faut-il dire à sa mère, aux
journalistes, qui attendent dehors? Comment
expliquer? et à qui, ce que je vois? L'égorgeur de
cette gamine, ce gamin en larmes? Déjà, ce n'était
pas un coupable ordinaire.
Peut-être a-t-il voulu dire ceci avec le coupable "problématique".