Ranucci ne sera jamais réhabilité pour la bonne et simple raison que toute sa défense s'appuie sur...un roman.
En effet, outre l'enquête "réelle" qui a amené ses conclusions, le procès "réel" qui a condamné le meurtrier, que certains doutent encore est possible, mais tous s'appuient sur le livre de Perrault "Le Pull-Over Rouge", un roman tentant de raconter une enquête policière qui s'est réellement déroulée en 1974 à Marseille.
Ce roman, adapté au cinéma par Drach, est encore plus "touchant" pour qui n'a pas lu le livre auparavant, puisque Drach met en image les idées développées par Perrault, dans son roman : le tueur est, par exemple, d’emblée en Simca ce qui élimine tout doute sur son identité.
Dès lors, il est tout à fait naturel pour le quidam qui a pour sources ces 2 oeuvres d'avoir des doutes, sinon de pouvoir penser que Ranucci est véritablement innocent.
Il eut été plus judicieux de la part de Perrault d'écrire une fiction avec des faits se rapprochant de l'affaire, mais sans en utiliser les noms réels et certains faits pour sensibiliser les gens à la peine de mort et aux erreurs judiciaires, plutôt que de prendre une situation réelle et de la maquiller en la saupoudrant de détails et de conclusions qui n'avaient pas leur place dans une enquête rigoureuse sur des faits réels.
Dans le livre de Perrault, Ranucci est décrit comme étant le fils idéal, l'amant idéal, l'ami idéal, altruiste, ayant eu une enfance malheureuse comblée par les efforts et les sacrifices faits par sa mère pour lui offrir une jeunesse "normale". Le jeune homme est beau, athlétique, intelligent,...
Or, dans la réalité, combien d'entre nous connaissent des personnes à ce point parfaites, dénués de défauts ou de la moindre phobie, dont le caractère est toujours avenant et ne haussant jamais la voix?
Aucune. Et pourquoi? Tout simplement parce qu'une personne comme cela n'existe pas...sauf dans les romans.
La force de Perrault se trouve dans sa capacité à décrire et à trouver attachant des personnages que nous regarderions avec mépris dans la vie de tous les jours. L’auteur se joue de nos sentiments grâce à une construction audacieuse du récit. Ainsi, le récit de Perrault est structuré de telle manière que lorsque les actes ou paroles de Ranucci nuisent à cette parfaite apparence, une scène angélique nous contant le bonheur d'entant où tout était parfait s'intercale dans le récit. Ainsi, les sentiments du lecteur finissent toujours par aller à Ranucci.
On aurait aimé une description plus précise de la petite fille, Maria-Dolorès, de ce qu’elle faisait, de ce qu’elle aimait, car le récit nous la présente un peu comme une poupée de chiffon, sans personnalité, sans sentiments, presque comme un objet. Pourtant, au vu des photos qui sont parues dans la presse, elle avait l’air d’être une très jolie petite fille pleine de malice et découvrant la vie.
Mais, cela aurait sûrement déséquilibré le récit en provoquant chez le lecteur des sentiments ambivalents et contradictoires : lorsque deux anges s’opposent, ne demandez pas à l’homme de juger.
L’homme au pull-over rouge n’est pas assez bien décrit pour qu’on puisse réellement y croire, il est trop transparent, comme s’il n’existait pas. Il croise Ranucci, mais les deux hommes n’échangent aucune parole.
Les Aubert sont parfaits, quant à eux, dans le rôle des témoins indécis, tout comme l’avocat général Viala, impitoyable dans son réquisitoire et l’inspecteur Alessandra, ripoux qui s’acharne contre le pauvre innocent.
Le récit comprend quelques invraisemblances : Ranucci se retrouve déplacé dans son automobile alors qu’il s’est assoupi sur le bord de la route, le tueur ne laisse aucune trace de son passage dans la 304, les gendarmes recherchent le couteau à 1km de l’endroit où Ranucci leur a dit qu’il était et il y est question d’un pull-over rouge (titre du roman) retrouvé dans une gallerie que le tueur ne porte pas quand il enlève l’enfant : c’est assez confus et parfois même un peu tiré par les cheveux.
Quant à certains détails, ils sont tout bonnement éludés : on ne sait pas pourquoi Ranucci se balade avec 2 couteaux, une carabine, une seringue, un jerrycan d’eau : va-t-il à la chasse ?
De la même manière, les arguments phares de l'auteur sont répétés tout au long du roman, si bien que le lecteur ne peut en faire l'impasse si d'aventure ils ne les avait pas intégré auparavant.
Ces répétitions font que le livre peut parfois sembler fastidieux à lire, car le récit semble bloqué et la progression floue. Une certaine lourdeur apparaît même au bout d’un certain temps et l’on éprouve des difficultés pour boucler le livre.
La description des derniers instants est poignante : elle nous permet d’imaginer l’angoisse extrême que les condamnés devaient ressentir et l’abominable rituel macabre accompagnant la peine capitale. Là encore, les personnages sont décrits avec force : les juges sont livides à l’idée d’avoir condamné un jeune homme, le bourreau est antipathique au possible et les avocats aidant jusqu’à la fin.
Au niveau du style, l'auteur se perd souvent dans des descriptions minutieuses, extrapolations de récits qui lui ont été rapportés, concernant l'enfance de Ranucci (la couleur de son pantalon quand il avait 8 ans, les mots d’amour qu’il échangeait avec sa première petite fiancée dans un pensionnat, les caresses qu’il faisait à ses chats,…).
Mais cela est bien normal pour...un roman.
Enfin, le livre est loin de revêtir la forme d'un ouvrage d'enquête : pas de notes de bas de pages, pas d'annexes, pas de photographies, pas de citations précises...tout au plus un plan en dernière page, mais un plan élaboré par l'auteur.
Dès lors, difficile d'être absolument sûr de la véracité des propos, de la chronologie exacte des faits, puisque le flou le plus total entoure les pièces (peut-être n’ en avait-il pas à sa disposition?) grâce auquel a été construit le roman.
En définitive, Perrault ainsi a pu toucher beaucoup plus de monde et ainsi intéresser un large panel de lecteurs sur un fait divers régional, et je ne suis pas sur que la ménagère qui a versé quelques larmes à la fin du livre l'aurait lu, si cela n'avait pas été...un roman.
Si contre-enquête il devait y avoir, elle aurait dû partir du récit même du condamné, ce fameux récapitulatif qui loin de l’innocenter, a montré l’incohérence et la pauvreté du système de défense qu’il a utilisé à partir de son amnésie et qui l’a fait courir à sa perte.
Mais, Perrault n’en demeure pas moins un très bon écrivain : merci M. Perrault de nous avoir fait vibrer, de nous avoir fait pleurer, d’avoir joué avec nos sentiments pour nous démontrer que la peine de mort est une ignominie, un vestige d’un autre âge.
Rien que pour cela, je suis content d’avoir lu votre roman.
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