Article écrit par François MISSEN journaliste au Provencal, le 6 juin 1974(texte intégral)
Vous nous avez croisés, avant de pénétrer dans le bureau d’un commissaire où vous attendait un homme soudain comme nous tous, messager officiel de votre malheur. Et avant de recevoir le coup de grâce, vous avez quêté une dernière lueur d’espoir en nous interrogeant du regard. Vous saviez déjà que nous n’avions que des larmes à vous promettre.
Nous savions, nous, que Maria-Dolores était morte.
Il est seize heure. Depuis de longues minutes, le commissaire Alessandra fait les vérifications traditionnelles et hélas régulièrement inutiles. Parmi la foule de déséquilibrés et escrocs en tout genre qui n’ont cesse de greffer leur sale personne sur le malheur d’une famille, nous avions à chercher un semblant de piste, avec un appel qui était parvenu à la rédaction de notre journal.
L’un de ces ignobles messages protégés par l’anonymat d’un combiné téléphonique, encouragé par le désarroi de ceux qui souffrent et donneraient un bras, leur vie pour retrouver le sourire d’un enfant disparu.
« Soyez à 20 heures, ce soir à Manosque, devant le bar où s’arrêtent les cars. Demandez Madame X…. Venez avec 10 millions d’anciens (merci) francs en petites coupures. Dites que c’est François. Nous vous donnerons nos instructions après…. »
Pauvres petites frappes.
Après avoir imaginé une possibilité de négocier, nous avons commencé à répéter un début de manœuvre.
Et le téléphone a sonné :
- Allo, oui ici Alessandra…. Comment, vous l’avez retrouvée. Une enfant de huit ans. Oui…. Une fille….Que porte-t-elle à Ah un short blanc….Oui c’est elle sûrement elle………
Ah là, après l’Auberge Neuve, oui je vois sur la route de Greasque….Ah la la……….
C’était fini. Nous en savions assez…..et le Commissaire Alessandra nous priât de quitter la pièce.
A côté, Porte, l’inspecteur divisionnaire, qui depuis le début de l’affaire menait l’enquête avec Alessandra, m’accueillait l’air navré :
« Rien encore………… »
Et puis nous lui faisons part de l’horrible nouvelle.
Cet homme nerveux que nous connaissons bien, un peu soupe au lait, sympathique, devenait soudain un citoyen comme tant d’autres. Il ne pouvait plus lutter. Plus rien à faire pour ramener le bonheur, levé du côté de la rue d’Albe. Il s’est effondré, est resté prostré pendant une longue minute, puis a hurlé :
« Non, ce n’est pas possible, ce n’est pas vrai »
Depuis quarante-huit heures Maria-Dolores était devenue sa fille, comme elle était devenue la notre.
Il ne restait plus qu’à suivre le long chemin de crois de Pierre Rambla. Atroces moments où l’on veut encore espérer. Entre des sanglots, un long râle qui n’en fini pas de mourir étouffé dans un mouchoir qu’il porte à sa bouche. Pierre interroge soudain en alerte :
« Les chaussures Monsieur le Commissaire, les chaussures, comment sont-elles à Et ils vous ont dit si l’enfant portait des chaussettes blanches à Oh non, pourquoi à moi, non, non….. »
Avant de prendre la route du désespoir, le petit convoi des voitures de police, traverse la ville en trombe. On a pas fini de regretter tout ce temps qu’il faut consacrer aux formalités de justice avant de se rendre sur les lieux.
Avec un homme prostré au fond d’une berline. Et qui ne comprend pas à
« Pourquoi tant tarder avant de voir Marie à Je le sais maintenant c’est elle. Qu’est-ce que je fais dans cette voiture, ici, à attendre à »
La caravane a bloqué la rue Fortia devant le Palais de justice. Derrière, on s’impatiente un peu, puis on en vient aux injures : « Ta g.. con ! »
Les gens ont compris qu’il doit se passer quelque chose de pas commun, pour que l’injure lancée par un policier en civil, recueille l’approbation générale.
Tunnel, autoroute, Gardanne et cette route qui n’en fini pas vers Trets, vers Peypin. C’est une route qui parle de vacances. Elle court dans les vignes, les pinèdes. Elle chante avec les cigales sur les rimes de Trenet. Ah ! comme les gens doivent vivre heureux ici ! Elle file comme un rêve vert et jaune.
Un rêve. Jusqu’à la petite place de Peypin. Il y a un fourgon de gendarmerie bleu. C’est fini. Le rêve est passé. Enfui soudain derrière l’estafette qui nous mène au sommet d’une côte sur la Nationale 96.
C’est là. Avant que la berline ne s’arrête sur le bas côté, Pierre Rambla a hurlé. Un long hurlement, celui de ces bêtes qui vont mourir.
Ici, au hasard de notre qu^te se reconstitue l’affreux scénario.
« Un accident quelques centaines de mètres plus haut. Un délit de fuite. Un témoin qui ratrappe le fuyard. Celui-ci, un homme jeune, il est entré dans le bois dense qui longe la route, avec un paquet volumineux sous le bras. Le témoin est retourné sur les lieux de l’accident, puis est descendu à nouveau à l’endroit où l’homme s’était arrêté. Bizarre, l’homme et sa voiture ont disparu…. »
Comme un incroyable puzzle, la géométrie du crime s’inscrit sur ce tableau rupestre, inconciliable avec la mort.
Comment ici ?
Au fil des minutes puis des quart d’heure, l’attroupement s’est nourri des journalistes, des habitants de l’Auberge Neuve, montés par petits groupes, à l’appel de ce tocsin courant d’une villa à l’autre, d’un cabanon à une ferme.
« Là-haut vers La Pomme, on a trouvé la petite, la fille du boulanger. Elle est morte. Un crime de sadique…. »
La dernière voiture était une petite fourgonnette, d’où est sorti un solide gaillard, vêtu d’une chemise à carreaux. Soucieux de discrétion, mais peut-il longtemps cacher la confession qui a déjà éclairé l’enquête.
Il s’appelle Gazzone et il n’est pas bavard. Un capitaine de gendarmerie nous dira par la suite que cet homme a discuté avec le meurtrier, il l’a même dépanné.
C’est un fantastique épisode d’un drame hors série. Gazzone raconte : « J’ai trouvé le jeune homme dans la champignonnière où M. Raoue m’avait conduit. Sa voiture embourbée dans le couloir menant à la mine. J eme suis demandé comment il avait pu atterrir à cet endroit qui est tout de même assez inaccessible pour une personne ne connaissant pas les lieux. Il m’a dit qu’il avait eu un petit accident, qu’il cherchait un endroit pour pique-niquer et qu’il pensait joindre l’utile à l’agréable, en redressant son aile froissée dans un endroit calme, au moment du déjeuner. Je l’ai aidé avec mon tracteur, à sortir du trou, puis nous avons parlé pendant quelques minutes. Des banalités. Au retour, nous sommes passés devant la maison occupée par M. Raous et l’homme s’y est arrêté longuement.
« Il est arrivé par le fond du chemin, raconte Mme Raous.Il avait l’air parfaitement honnéte. Il m’a raconté qu’il était bloqué depuis 11 heures du matin sur la route en bas, à cause de son accident. Je lui ai proposé une tasse de thé qu’il a accepté avec empressement. Il n’était pas du tout nerveux. Puis, il est parti en nous remerciant… »
Reparti vers Nice, vers ce croisement où peut être Marie était encore en vie, avant l’accident. Vers ce raidillon ensoleillé de la 96.
Là, maintenant ,calé sur le fauteuil arrière de la berline, je dis les mots stupides, inutiles que l’on dit aux autres, quand le drame vous touche, mais ne vous fauche pas.
« Courage Pierre….. courage… »
Des mots imbéciles, je le sais… Des mots contre un enfant. A quoi bon à Et lui a des mots aussi, qui coupent ses sanglots, lui rappelle un bonheur d’hier, infini.
« Elle savait bien que j’étais malade, mais je voulais travailler, car j’ai vraiment besoin d’argent. Nous ne sommes pas riches, vous savez. Alors Marie-Dolores, m’a dit la semaine passée : « il faut que tu t’arrêtes de travailler, papa. Bientôt je serai grande et je pourrai gagner de l’argent et je te donnerai cet argent et tu te reposeras… »
« Du courage M. Rambla, il faut y aller. »
Le brave Porte et ce bon géant de Brignone ont pris Pierre par les aisselles - ils n’avaient jamais fait un travail aussi atroce – les deux policiers qui en ont vu pourtant pas mal, étaient aussi anéantis que le père.
Ils ont ouvert le battant d’un fourgon de marins-pompiers. J’ai entendu à nouveau un long hurlement.
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