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Anne me demande de donner quelques précisions supplémentaires sur l'expérience de juré.
Bien volontiers.
D'autant que je suis en contact avec un groupe d'aumôniers de prison, et que, par mon intermédiaire, ils invitent au mois de juin un président de cour d'assises (que je connais par d'autres actvités associatives, pas à cause de mon rôle passé de juré). Je suis donc revenu "au coeur du sujet".
Je vous remercie pour ces informations, Davy. Je les trouver extrêmement précieuses et intéressantes.
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- Sur l'accès au dossier: non, les jurés n'y ont pas accès, ni avant, ni pendant. Un dossier d'assises est d'ailleurs énorme, et je ne sais si les magistrats eux-mêmes ont le temps de le lire avant. Ce sera d'ailleurs une question qui sera posée à la réunion d'aumôniers que j'évoque ci-dessus.
Je me demande s'il ne serait pas juste de communiquer le dossier à ceux qui le réclament. Je suppose que, si les dossiers sont à ce point volumineux, rares seraient ceux qui auraient la patience de les assimiler complètement. Mais j'imagine qu'il y en aurait souvent au moins un en moyenne qui en lirait au moins une partie et pourrait de temps à autre détecter une anomalie ou une énormité.
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De plus, la procédure est censée être "orale": c'est d'après les débats que magistrats et jurés doivent juger "en leur âme et conscience". C'est le contraire de ce qui se passe, par exemple, devant la justice administrative, où tout repose sur les conclusions écrites déposées par les parties.
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Ensuite, on ne peut, théoriquement, pendant le délibéré, se référer au dossier, demander au président de ressortir une pièce, etc.
La notion d' "âme et conscience" exclut en principe que l'on revienne sur les éléments écrits. Au procès de Ranucci, un "bon juré" (je pense au film "Douze hommes en colère", et au personnage joué par Henry Fonda) aurait pu insister auprès de M. Antona en disant: "Oui, mais ressortez-nous les pièces relatives au pull-over rouge".
Il était en droit de ne pas accepter.
Et c'est là que ça coince, je trouve. Cela devrait être obligatoire et ne pas dépendre du bon vouloir / de l'arbitraire du président. Les débats ne peuvent suffire à départager le vrai du faux dans ce que disent les parties en présence.
Pour reprendre l'exemple du procès Ranucci, je pense qu'une jurée consciencieuse et humaniste telle Madame Donanini aurait pu être ce "bon juré" dont vous parlez si elle s'était su habilitée à demander de revenir sur un point
Citation :
- Pour les questions posées aux témoins, non, les jurés ne peuvent théoriquement pas, sauf à faire passer un petit papier au président ou à l'un des assesseurs lui demandant de poser telle ou telle question. Ensuite, les magistrats acceptent ou refusent. J'ai pu (une fois) poser une question à un témoin (un assistant social, sur les chances de réinsertion de l'accusé à sa sortie de prison); à ma grande surprise, la présidente, ayant reçu mon petit mot, a dit au témoin : "Ne partez pas tout de suite, Monsieur, l'un des jurés a une question pour vous".
Même remarque que ci-dessus, cette demande d'information d'un juré ne devrait pas dépendre de l'humeur d'un président. En l'occurrence, vous avez eu la chance de tomber sur une présidente conscienceuse, mais vous auriez pu tout aussi bien tomber sur quelqu'un d'hostile à l'accusé, ou mal luné parce qu'il avait mal dormi, ou pressé de rentrer chez lui pour manger.
Citation :
Si j'avais été juré au procès de Christian Ranucci,
1) J'espère que j'aurais saisi les contradictions du dossier et essayé de les faire toucher du doigt à mes collègues (mais je n'aurais pas eu lu Gilles Perrault, pour cause...)
2) Je n'aurais évidemment pas voté la peine de mort, même si je l'avais pensé coupable
3) j'aurais sans doute, la mort dans l'âme, voté les circonstances atténuantes, pour le sauver de la guillotine, même le pensant innocent.
Je me suis moi aussi souvent et honnêtement interrogée pour savoir ce que j'aurais fait si j'avais été juré au procès Ranucci.
Je ne peux moi aussi qu'espérer que j'aurais été assez perspicace pour capter des points discordants et douter, mais sincèrement, je n'en suis pas sûre du tout. Je pense plus probable que je l'aurais cru coupable (sans préméditation) mais aurais penché, comme le dit Jean-François Le Forsonney, pour un coupable sincèrement persuadé qu'il était innocent (amnésie due à l'alcool - et peut-être à la drogue-, trou noir).
Mais enfin, je ne sais pas. Tout aurait dépendu peut-être de la manière dont l'embrouillamini Aubert aurait été présenté. Je me suis toujours demandé comment un témoignage pareil avait pu passer et j'aurais bien voulu que quelqu'un ayant assisté au procès me l'explique.
Je suis du moins convaincue à 300 % que je n'aurais en aucun cas voté la mort, quel que soit le cas de figure, car j'ai toujours, d'aussi loin que je me souvienne, été violemment opposée à la peine capitale.
Je suis donc certaine que, pour les mêmes raisons que vous, j'aurais voté les circonstances atténuantes.