Je ne vois pas ce qu'il y aurait de décevant dans la résolution de ce débat parlementaire. M. Fenech a oublié un point très important : ceux qui jugent sont des juristes, pas des scientifiques.
Encore heureux car la Justice se rend par l'interprétation des éléments apportés, entre autres, par la science et non pas grâce à un modèle scientifique qui vous sortirait le nom du coupable après y avoir introduit quelques indices et tourné la manivelle. Aucune loi physique ne peut, à elle seule, condamner ou innocenter qui que ce soit, ni même l'ADN d'un suspect retrouvé sur le lieu d'un crime. Il faut prouver que cet ADN n'a pu être déposé que par le suspect, comme le montre plusieurs affaires où le coupable avait volontairement déposé l'ADN d'un autre pour brouiller les pistes. Les criminels apprennent, eux aussi.
Ou bien, il va falloir commencer à inventer des combinaisons parfaitement étanches, à la mode si possible, pour être sûrs de contrôler notre propre ADN en toutes circonstances. Avec un masque filtrant la respiration et un circuit fermé pour les déjections. Pas question de faire ça autre part que chez soi, et encore, muni d'un jerrycan d'eau de Javel.
Citation :
Quant à ma divergence avec Alain Tourret, elle n’épouse guère les clivages traditionnels. Robert Badinter comme Michèle Alliot-Marie, anciens gardes des Sceaux, sont tous les deux hostiles à la révision in defavorem, tandis qu’au sein même de notre Commission les avis sont partagés. Il convient donc que chacun d’entre nous se prononce sur le sujet selon ses propres convictions. Je dois dire, par honnêteté intellectuelle, que je me suis rallié dans un premier temps à l’avis dominant selon lequel on ne peut revenir sur une décision d’acquittement. Or une récente affaire a démontré que, vingt-sept ans après la commission des faits, une expertise ADN pouvait remettre en question une telle décision, manifestement entachée d’erreur. J’ajoute que, si la majorité des personnalités auditionnées a rejeté le principe de la révision in defavorem, conformément à notre tradition et pour préserver la paix sociale, plusieurs hauts magistrats ainsi que le syndicat FO-magistrats et l’Institut pour la justice se sont prononcés en sens contraire. Une pétition lancée par cet institut en faveur de la révision d’un acquittement ou d’une relaxe a d’ailleurs recueilli plus de 80 000 signatures en quelques jours.
D'autre part, les arguments opposés sont parfaitement clairs et expliquent ce que nous, non-juristes, avons beaucoup de mal à comprendre : la dissymétrie entre la culpabilité et l'innocence. La Justice n'est pas un tournoi à armes égales entre les victimes et les bourreaux, c'est toute la société qui juge et condamne ces derniers pour ce qu'ils ont faits aux premiers.
Citation :
M. le rapporteur. Chacun comprendra que je ne répondrai que sur le problème des acquittements. Permettez-moi de citer les propos tenus par MM. Fenech et Geoffroy en décembre 2013. « L’acquittement [déclarait alors le premier] est un vrai sujet. Je ne crois pas souhaitable de revenir sur les décisions d’acquittement ». Et Guy Geoffroy de réagir ainsi : « Je souhaiterais faire une remarque sur la question du caractère définitif des jugements d’acquittement. Je rejoins ce qu’ont dit nos deux rapporteurs – et je les remercie pour la clarté et la force de leurs convictions [au sujet du refus de remettre en cause les décisions d’acquittement]. J’ai toujours considéré que la décision d’acquittement était le corollaire – et même le corollaire puissant – du principe fondamental de la présomption d’innocence. Remettre en cause, après une décision d’acquittement devenue définitive, l’idée que la personne ait été acquittée est, d’une certaine manière, une remise en cause de l’existence même du principe de présomption d’innocence. »
Vous auriez changé d’avis en quelques semaines, mes chers collègues, sous la seule influence d’un fait divers ? En matière de justice, prenons garde aux faits divers. Plusieurs d’entre vous ont semblé dire que ce monsieur était forcément coupable, ce qui est très incertain : rien ne démontre pour l’instant qu’il l’est, ses avocats ayant fourni différentes explications.
Plus généralement, je tiens à rappeler quelques principes essentiels.
D’abord, il n’existe pas de symétrie entre la culpabilité et l’innocence, entre un innocent en prison et un coupable en liberté. Ceux qui essaient de montrer le contraire se trompent !
Ensuite, c’est une erreur fondamentale d’établir un parallèle entre les décisions d’acquittement et les ordonnances du juge d’instruction, qui, dépourvues de l’autorité de la chose jugée réservée aux seules décisions de juridiction, peuvent être remises en cause par une réouverture de la procédure pour charges nouvelles.
« Il m’est insupportable, disait en substance Georges Fenech, de savoir qu’un coupable peut être en liberté ». Mais c’est le système français de la prescription qui le permet ! C’est lui que vous devez abandonner si vous voulez vous montrer cohérents. En effet, pourquoi se limiter aux quelques années ou aux quelques mois restants en l’occurrence avant l’extinction de la prescription ? Nous ne serions d’ailleurs pas le premier pays à renoncer à ce système.
Mais c’est aussi le principe d’opportunité des poursuites que vous abandonnez en soutenant que tous les coupables ou présumés coupables doivent être poursuivis, conformément au principe anglo-saxon de légalité des poursuites ; et cela, je n’en veux pas !
C’est enfin notre système inquisitoire permettant d’instruire à charge et à décharge que vous remettez en cause.
Bref, par le biais de cet amendement, ce sont les fondements mêmes de notre droit que l’on propose de modifier. Pourquoi pas ? Encore faut-il en avoir conscience. Tel est l’avis de Mme la garde des Sceaux, qui me soutient totalement sur ce point.
Allons plus loin : même lorsque le condamné est décédé, il est possible de saisir à nouveau la cour de révision pour décharger la mémoire du mort – c’est le cas Seznec. Si l’on découvre de nouvelles charges contre une personne acquittée puis décédée, condamnerez-vous son cadavre ? C’est le système russe, celui qui a permis de condamner, après sa mort en détention, un avocat qui s’était élevé contre M. Poutine. Voilà jusqu’où l’on irait !
Je le répète, il ne saurait y avoir de symétrie. En tentant d’en établir une, c’est tout notre système que vous remettez en cause. Tel est l’avis de Robert Badinter, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme présidée par Christine Lazerges, laquelle a rendu un rapport très complet sur le sujet, de Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, de la très grande majorité des syndicats de magistrats et de la plupart des personnes que nous avons entendues.