Antonio Ferrara, as des cavales et des pirouettes
Poli mais cabot, Antonio Ferrara, qui passe pour un héros depuis son évasion gonflée de la forteresse de Fresnes, donne du «Madame la présidente» à Janine Drai à la cour d’assises de Paris, mais répond aux questions par des pirouettes et des drôleries. Freluquet, mal rasé, ce petit gabarit d’1,66 m en polo kaki paraît minus comparé à des costauds du box des accusés qui l’ont délivré le 12 mars 2003.
Pizzas. Né à Cassino en Italie voilà trente-cinq ans, le rital qui a grandi à la cité Gabriel de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), avec sa sœur et ses cinq frères, sa mère Helena devenue chef d’équipe de nettoyage et son père Arturo, vendeur ambulant de pizzas, ne «rentre pas dans sa vie de famille». Il dit ignorer la nature des ennuis judiciaires de son paternel. Comme il a un jour dit à une psy que le camion de son père était un «leurre», la présidente se fait suspicieuse. Mais l’accusé ironise : «C’était écrit "Pizzas" en gros dessus, mais il servait des sandwiches. Je dis bien joué, moi. Vous pensiez à autre chose ?» Il n’aborde pas le passé délinquant de quatre de ses frères. Luigi et Claudio «vendent des crevettes dans la même société en Amérique du Sud», mais il n’a plus de nouvelles : «J’ai pas de portable, Mme la présidente», ironise le détenu particulièrement signalé (DPS) de Fleury-Mérogis, bouclé au quartier d’isolement (QI) avec 28 surveillants dévolus «en permanence» à sa petite personne, des parloirs derrière un hygiaphone, du sport dans une salle pour lui tout seul comme les promenades dans une cour couverte : «Le soleil n’a pas touché ma peau depuis cinq ans.» Pas du genre à se plaindre, Antonio Ferrara ne s’étend pas : «Je ne veux pas rentrer dans la victimisation.» Il ne se cherche pas d’excuses dans son enfance. Son père «ne lui a jamais donné de claques». Le braqueur lance, jovial : «Il aurait peut-être dû.»
Quasi analphabète, l’élève italien a été aiguillé en sixième sur une classe pour «enfants en difficulté», a échoué à 14 ans en CAP de plombier, a opté pour «la maçonnerie parce que c’était ça ou la couture», a bossé en intérim, nettoyé des trains, suivi son père en Italie à 17 ans, y a vendu des tableaux et des pastèques. De retour en France trois ans plus tard, Antonio Ferrara commet son premier délit sur le tard, à 21 ans, un «outrage et rébellion» en 1994. «Avant, j’ai été sage», dit-il avant de clore ce chapitre, irrité : «Si vous essayez de me faire dire que, dans mon enfance, j’ai été violenté, torturé ou cravaché, non, il n’y a rien de tout ça, ce n’est pas là que se trouve ce que je suis devenu […]. Franchement, je me demande comment j’en suis arrivé là.» «Nino» livre quelques pistes sur l’engrenage qui l’a propulsé au sommet du grand banditisme. En 1994, le voilà condamné à 6 mois de prison dont 3 avec sursis pour un nouvel «outrage et rébellion avec violence» sur un policier. En 1995, «il y a une razzia dans le quartier pour un trafic de stupéfiants, on a défoncé la porte de ma mère, je n’y étais pas, je me suis mis en cavale»… chez un voisin. Il a eu un non-lieu, comme des potes qui ont fait quatre mois de prison pour rien : «Si j’avais fait ces quatre mois même injustifiés, j’en serais pas là aujourd’hui.»
En 1996, le voilà mêlé à une tentative de meurtre qui lui vaut 8 ans de prison. En«situation irrégulière», le fugitif se «débrouille», «bricole», vole soit-disant «des roues de voiture et des jantes» : «A l’époque, ça me suffit pour vivre, après je suis devenu plus gourmand.» Un vol à main armée en 1997 dans une banque rapporte 20 000 francs. Rattrapé, Ferrara plonge à Fleury-Mérogis, «prétexte un mal aux pieds» pour aller à l’hôpital et s’évade grâce «à trois complices». Il passe quatre années de cavale à «voyager à Paris, dans le sud de la France, en Espagne, en Italie». La présidente : «Avec quel argent ?» Ferrara : «C’est une question qui sent les menottes. Je vous dirais simplement que j’ai bricolé et que je suis un gros bricoleur.»
Paraboles. Interpellé à Athis-Mons le 12 juillet 2002 avec 1 200 euros en pièces, Ferrara se moque gentiment du monde : «Je faisais les parcmètres.» L’avocate générale Anne Obez-Vosgien : «Comme un petit Roumain pour 3 francs six sous, êtes-vous sérieux ?» Ferrara : «Si je veux être honnête, non c’est pas sérieux.» L’avocate générale : «Dans le Sud, vous ne montiez pas plutôt des paraboles ?», allusionà celles qu’il utilise pour concentrer l’effet de souffle quand il fait exploser des fourgons blindés. Antonio Ferrara qui a la réputation d’un artificier hors pair fait mine de croire qu’on lui parle des paraboles télés, et glisse d’un sourire : «Non, je ne suis pas électricien.»
Patricia Tourancheau
Source : Libération
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