Outreau : il ne manquait plus que l'article 434-7
Le jour où la justice décide de rouvrir le dossier de la mort du petit Grégory, on apprend que trois avocats parisiens relancent également le douloureux catalogue des séquelles de l'affaire d'Outreau. Mais si on comprend bien l'espoir qui tient les époux Villemin, on perçoit plus mal l'intérêt du jeune Kevin, le fils aîné de Myriam Badaoui.
Celui-ci pourra dire que la vie ne l'a pas épargné. Né d'un autre père, il n'a pas jamais reçu le moindre des élans dont Thierry Delay était parfois capable avec ses autres fils. Bien au contraire, il a même été battu.
Auprès de sa mère, c'était différent, mais on se souvient de cette phrase glaçante, qu'il a lâchée avec une sorte de détachement, devant la cour d'assises de Saint-Omer : « Quand on jouait ensemble, ma mère trichait. Toutes les mères font ça, mais elles le font pour laisser gagner leurs enfants. Ma mère, elle, trichait pour me battre. » Aujourd'hui que sa mère est en prison, que ses frères grandissent comme ils peuvent dans des structures éclatées, Kevin est seul. Sans le sou, sans repères, sans boulot et sans famille. Et pendant qu'il se débat dans cette vie bancale dont il hérite au moment d'entrer dans l'âge adulte, le vacarme de l'affaire d'Outreau s'estompe. Ce n'est pas que la justice ait tiré de considérables enseignements de la catastrophe, mais ceux qu'elle avait injustement maltraités pansent leurs douleurs à l'abri, au moins.
Or voilà que trois avocats ont déposé, au nom de Kevin, une plainte contre Yves Bot, l'ancien procureur général de la cour d'appel de Paris. Rien que ça. « Mon client est resté sur sa faim », dit Me Jean-Christophe Boyer, que personne n'a jamais vu dans cette affaire. Si c'est une question de faim... C'est vrai, M. Bot avait choqué tout le monde, au soir du réquisitoire du procès en appel, à Paris. En donnant une conférence de presse dans la salle d'audience, à la veille du verdict, pour présenter les regrets du parquet général, il était allé bien au-delà de son rôle.
Il avait peut-être également violé l'article 434-7 du code de procédure pénale. En gros, celui-ci interdit les commentaires susceptibles d'exercer des pressions sur le jury avant que celui-ci ne rende son verdict.
Me Boyer s'appuie sur ce texte pour déposer sa plainte et sur le fait que son client « comme soixante millions de Français, était devant son téléviseur ce soir-là ». Et après avoir ruminé son trouble pendant trois ans, fatigué sans doute d'avoir tourné l'article 434-7 dans tous les sens, Kevin s'est dit soudain : « Tout cela n'a pas été réalisé dans les règles de l'art ! » Le voilà donc, assisté de trois avocats téméraires, engagé dans une lutte avec l'un des plus hauts magistrats de France. « Parce qu'une partie civile a droit au respect jusqu'au bout ! C'est même tout le peuple français qui n'a pas été respecté, puisque la justice est rendue en son nom ! » Kevin se bat donc pour la France.
Mais lui a-t-on dit, à ce gamin perdu, que tout cela avait été évoqué, dénoncé, dès novembre 2005, et même ensuite, devant la commission parlementaire ? Et qu'une fois tout cela purgé, on avait communément admis qu'il était adroit, honnête, de ne pas en faire plus, pour que chacun puisse passer à autre chose. Et se reconstruire... •
Source : La Voix du Nord
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