Bonjour,
J’ai lu la plupart de vos interventions. J’ai un peu réfléchi et échafaudé (pardon du sinistre jeu de mots) une théorie qui concilie les arguments des uns et des autres. Cette théorie tient compte du passé de Christian Ranucci, et en particulier de son absence de comportement violent ou à caractère sexuel déviant dans le passé, de son désir d’une vie meilleure, de son emploi du temps avant l’enlèvement, des témoignages de Monsieur Spinelli, de Jean Rambla, de Monsieur Rosanno, de Monsieur Martinez, des époux Aubert, de Monsieur Guozzano, de Madame Mattei (tous ont dit la vérité et aucun ne s’est trompé), des circonstances de l’enlèvement, de l’accident et du meurtre, des trous de mémoire de Ranucci, de son incapacité à refaire les gestes du meurtrier lors de la reconstitution, de son étrange comportement au procès, des raisons pour lesquelles il a toujours clamé son innocence, des véritables raisons qui l’ont poussé à écrire un livre, de la piste suivie par le chien, des blessures aux mains, des voitures (Simca et Peugeot), du pull-over rouge, du cheveu dans la voiture, du pantalon, du plan des lieux dessiné par lui, des biscuits LU, du couteau, mais aussi des phrases « bizarres » prononcées par Ranucci, telles que « il me le paiera », « ça ne peut être que moi », « ils sont fous ».
Selon moi, Christian Ranucci est coupable … et innocent à la fois. Innocent de l’enlèvement et du meurtre de Marie-Dolorès Rambla, mais coupable de complicité d’enlèvement, de complicité de meurtre, de non-assistance à personne en danger, de délit de fuite …
Je vous présente cette théorie, inédite à ma connaissance et qui a le mérite de remettre ensemble la plupart des pièces du puzzle. Cette théorie a été élaborée en une nuit, sans aucun document, elle n’est donc pas parfaite et je remercie par avance les personnes sur ce forum qui se sont penchées sur cette affaire depuis des années, et qui possèdent la connaissance des faits et des éléments que je ne possède pas, soit d’y apporter des améliorations, voire de la balayer du revers de la main, s’il s’avère que la valise est trop grande pour l’édredon.
Ranucci est attiré par l’argent facile. Son rêve est, notamment, de posséder une Mercedes blanche et d’avoir suffisamment d’argent pour permettre à sa mère de s’extraire de sa modeste condition. Au cours de son service militaire, il rencontre un homme (appelons-le homme au pull over-rouge) qui partage sa rage de ne pas devoir être obligé de travailler toute sa vie pour enfin mener une vie décente. L’idée leur vient d’enlever un enfant. Pas un gosse de riches, bien entendu (trop surveillé, trop « médiatisé », comme on dit maintenant), mais un de ses enfants qui jouent au pied de leur immeuble et sont faciles à aborder par des gens comme eux. L’idée est la suivante : on enlève l’enfant: une fille de préférence (plus docile qu’un garçon), assez âgée pour jouer dehors sans ses parents mais pas assez pour être capable de se débattre, on la retient pendant quelques jours, on demande une rançon aux parents (qui finiront certainement par trouver quelqu’un pour les aider a payer la rançon s’ils ne peuvent le faire eux-mêmes) et on libère l’enfant quelques jours plus tard. Ni vu ni connu. Ensuite, la belle vie. homme au pull over-rouge compte quitter le pays immédiatement après le versement de la rançon. Le fait qu’il sera reconnu par l’enfant ne lui posera donc pas de problème. Mais il ne peut pas faire le coup tout seul : en particulier, comment conduire seul la voiture jusqu'à la planque après l’enlèvement, tout en s’occupant de la gosse, surtout si elle se met à se débattre? Et si on reconnaît sa Simca 1100 et que des barrages sont dressés le long des routes après l’enlèvement ? Les deux hommes décident donc que le rôle de Ranucci sera d’accompagner homme au pull over-rouge jusqu’au lieu de l’enlèvement, de faire le guet un peu en retrait du lieu de l’enlèvement proprement dit (à l’endroit où il sera effectivement aperçu plus tard par Monsieur Rosanno). homme au pull over-rouge, lui, se rend sur les lieux avec sa Simca, enlève l’enfant, la ligote, la bâillonne, lui met un bandeau sur les yeux (pour qu’elle ne puisse pas donner une description précise de Ranucci lorsqu’elle sera relâchée quelques jours plus tard contre rançon), va planquer la Simca et ensuite rejoint Ranucci et sa Peugeot pour emmener la gosse à la planque. La présence d’une deuxième voiture est estimée essentielle par le duo des ravisseurs, au cas ou la Simca serait repérée pendant l’enlèvement et des barrages de police qui seraient mis en place si ça tourne mal. Il faut donc attendre que Ranucci revienne du service militaire, s’achète une voiture et passe son permis pour passer a l’action. Ce qu’il fait. Sitôt son permis de conduire obtenu, Ranucci recontacte homme au pull over-rouge : on peut passer à l’action. Dans l’esprit de Ranucci, l’opération est pratiquement sans risque pour lui. Comme ni lui ni sa voiture ne participeront a l’enlèvement proprement dit, il n’y a aucune raison pour qu’on le reconnaisse, ni qu’on l’implique dans l’affaire. Son rôle se borne à celui de chauffeur : il conduira la voiture et ensuite rentrera chez lui comme si de rien n’était. Le plan a été étudié dans ses moindres détails depuis des mois. Quant à homme au pull over-rouge, lui, il « s’exerce » quelques jours avant l’enlèvement à mettre au point sa technique du « petit chien noir » et d’étudier la réaction d’un voisinage (voir notamment le témoignage de Madame Mattei) lorsque quelqu’un comme lui s’approche d’un enfant. Il constate combien une telle opération est aisée. Le succès de ces petites expériences le rassure, et rassurent Ranucci.
Au début, tout se passe comme prévu. Les compères se donnent rendez-vous à Marseille le dimanche 02 juin pour mettre au point les derniers détails : l’aménagement de la planque, la demande de rançon, des vivres pour l’enfant, (des biscuits LU, notamment) ….. L’enlèvement est prévu pour le lendemain, lundi 03 juin. Ranucci rentrera chez lui à Nice juste après avoir déposé l’enfant à la planque.
C’est effectivement ce qui se passe : l’enlèvement, la séquestration de l’enfant, l’échange de voitures (qui prend un peu de temps), tout se passe merveilleusement bien et le trio se dirige vers la planque prévue.
Au carrefour de la Pomme, il y a donc trois personnes dans la Peugeot de Ranucci: Ranucci au volant, et homme au pull over-rouge qui cache l’enfant en se couchant sur elle pour ne pas être vu des autres automobilistes. Surtout qu’on aborde un carrefour où on rejoint une route à forte circulation, avec en particulier un camion qui approche et dont le conducteur dispose d’une vue plongeante sur les occupants de la Peugeot.
Ensuite c’est l’accident. Les Martinez aperçoivent Ranucci au volant de la Peugeot et une forme indéterminée à la droite du conducteur (homme au pull over-rouge couché sur l’enfant). Il faut fuir au plus vite. Pas question évidemment de faire un constat à l’amiable avec une enfant ligotée et bâillonnée ! Comble de malchance, sous le choc, le bandeau de Marie-Dolorès lui a glissé des yeux. Elle aperçoit distinctement le visage de Ranucci. Comme l’aile de la voiture accidentée frotte sur une roue, il faut s’arrêter quelques centaines de mètres plus loin. Soudain, une voiture approche (les Aubert). Il faut déguerpir au plus vite. Ranucci s’enfuit le premier dans les buissons. homme au pull over-rouge met un peu plus de temps à le suivre, ralenti par l’enfant. Arrivés sur les lieux, les Aubert n’aperçoivent donc qu’homme au pull over-rouge et l’enfant. Madame Aubert entend vaguement Ranucci, de sa voix juvénile étranglée par l’émotion, demander à homme au pull over-rouge « Qu’est-ce qu’on fait » ? homme au pull over-rouge lui chuchote : « Retiens-les, j’éloigne la gamine ». Il faut a tout prix éviter que les Aubert suivent le trio dans les fourrés. Ranucci se charge donc d’occuper les Aubert (« Oui, j’arrive ») pendant que homme au pull over-rouge éloigne l’enfant. Par chance, les Aubert n’insistent pas. Ils s’en vont sans demander leur reste. Ranucci est très en colère contre homme au pull over-rouge. Il se sent grugé par lui ("il me paiera cela, et le reste", dira-t’il plus tard dans la journée à Guazzone, en pensant a homme au pull over-rouge): rien ne s’est passée comme prévu : les Aubert ont aperçu l’enfant et certainement relevé le numéro de plaque minéralogique de sa Peugeot. Dans quelques minutes, des barrages seront dressés sur toutes les routes. Il faut cacher la voiture dans un endroit le plus discret possible : la champignonnière. Que faire de la petite, à présent ? Il n’y a plus qu’une solution, il faut s’en débarrasser. Comme elle connaît à présent le visage de Ranucci, elle ne manquerait pas de le décrire si elle vit. homme au pull over-rouge s’empare du couteau qui se trouve dans la voiture de Ranucci et accomplit sa terrible besogne pendant que Ranucci va cacher la Peugeot au fond de la champignonnière. Ranucci n’assiste pas au meurtre lui-même, ce qui explique pour quoi il est incapable de refaire les gestes du meurtrier durant la restitution. Après avoir caché la voiture, Ranucci retrouve homme au pull over-rouge. Il l’aide à dissimuler le corps sous des ronces, qui l’écorchent aux mains. En transportant l’enfant, un peu de sang de Marie-Dolorès tache le pantalon de Ranucci. Aucun des deux complices ne s’en aperçoit. Ils reviennent à la champignonnière. La voiture est enlisée. Ils ne parviennent pas à la désembourber. Pas question de la laisser là : si les gendarmes la retrouvent et la saisissent, ils ne manqueront pas de découvrir des indices (cheveux, empreintes, …) prouvant la présence de l’enfant dans la voiture. L’intérieur de la voiture a besoin d’être complètement nettoyé, ce qui est impossible au fond de cette champignonnière. homme au pull over-rouge et Ranucci décident donc de partir chacun de son côté, Ranucci pour chercher du secours, homme au pull over-rouge en empruntant le chemin suivi plus tard par le chien policier. homme au pull over-rouge disparaît à jamais, probablement à l’étranger, d’autant plus échaudé par l’aventure qu’il apprendra par la suite l’exécution de Ranucci. Avant de se séparer, ils ont décidé également de laisser le pull-over de homme au pull over-rouge dans la champignonnière, pour déjouer les soupçons au cas où Ranucci serait inquiété. homme au pull over-rouge confie à Ranucci qu’il s’est débarrassé du couteau quelque part dans le tas de fumier. Ranucci cherche de l’aide pour sortir la voiture de la champignonnière, en s’efforçant de rester le plus naturel possible et rentre chez lui, après avoir un peu traîné dans les parages pour être certain que les barrages de gendarmerie sont levés sur les routes.. Selon lui, une fois la voiture nettoyée, les chances sont nulles que des témoins le reconnaissent s’il est arrêté, puisqu’il n’a assisté ni à l’enlèvement proprement dit, ni au meurtre. Si on l’arrête, il lui suffira de nier. Il doit simplement faire comme si rien ne s’était passé, rentrer chez sa mère et reprendre son travail normalement le lendemain. C’est ce qu’il fait.
Lors de son arrestation, qui n’est qu’une demi-surprise pour lui, il s’en tient tout d’abord à ce qui était prévu. Il nie tout ce qui concerne l’enlèvement et le meurtre de l’enfant. Dans son esprit, on ne pourra jamais prouver qu’il est l’auteur de l’un et l’autre, puisqu’il n’est l’auteur ni de l’un, ni de l’autre. Ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Dans quelques heures, il rentrera chez lui. Les policiers insistent cependant. « Avoue, Ranucci, des témoins t’ont vu ». Il sait qu’ils bluffent, puisque ce n’est pas lui qui a enlevé l’enfant. Il résiste. Les policiers se font plus insistants. « Avoue, Ranucci. Nous sommes prêts à croire qu’il s’agit d’un accident. Tu n’as pas voulu tuer la petite. Tu as paniqué après l’accident, on ne retiendra pas la préméditation. Ce n’est pas comme si tu avais prémédité ton geste pendant des mois, là, ce serait vraiment grave …. ». Or, il a prémédité son geste pendant des mois, ce qu’on ne manquera pas de lui reprocher si il livre le nom de son complice. Il doit donc tenir et ne parler de homme au pull over-rouge à aucun prix. Arrivent alors les époux Aubert. Leurs souvenirs sont confus : ils ont aperçu un Ranucci à lunettes au volant de la voiture en doublant celle des Martinez, mais n’ont vu personne d’autre dans la voiture vu que homme au pull over-rouge se cachait en dissimulant l’enfant sous lui et quelques secondes plus tard homme au pull over-rouge quittant la même voiture avec un enfant. La logique les a forcé à croire que le conducteur qu’ils viennent de voir et l’individu qu’ils ont devant eux sont une seule et même personne, mais leurs sens leur indiquent le contraire. Les Aubert sont donc mis en présence de Ranucci. Ce n’est que lorsque Madame Aubert lui fait prendre conscience de l’horreur du crime et lui déclare l’avoir reconnu, lui, Ranucci, dans les buissons, que Ranucci craque. Il avoue tout, sauf ce qu’il ne sait pas (les détails du meurtre lui-même) ni tout ce qui pourrait inculper homme au pull over-rouge (la préméditation, leur emploi du temps commun de la veille et de la nuit passée). S’il avoue que tout était prémédité, il sait qu’il risque gros. Par contre, dessiner le plan du lieu de l’enlèvement ne lui pose pas de problème particulier : il connaît les lieux, repérés la veille du rapt en compagnie de homme au pull over-rouge et qu’il a eu tout le loisir d’observer le matin du 03 depuis son poste d’observation légèrement éloigné de l’endroit où homme au pull over-rouge enlevait l’enfant. De plus, il sait que personne ne l’y a vu enlever l’enfant, pour la simple raison qu’il n’a pas enlevé Marie-Dolorès. Au contraire, plus on trouvera de personnes qui auront vu homme au pull over-rouge enlever la petite, plus ces témoins disculperont Ranucci. Le couteau? Ce couteau aussi peut disculper Ranucci. Si on le retrouve, on ne manquera pas d’y relever les empreintes de homme au pull over-rouge, ce qui innocentera Ranucci du meurtre. La garde a vue est terminée. Il a réussi. Il n’a pas parlé de homme au pull over-rouge. D’une certaine manière, il est soulagé. Lorsqu’il rencontre son avocat pour la première fois, il lui dit « ça ne peut être que moi », signifiant par là qu’il a réussi a convaincre les enquêteurs que le meurtrier a agi seul. Dans l’esprit de Ranucci, tout ne s’est donc pas passé si mal après tout: le couteau et l’examen du corps de l’enfant et de la scène du crime finiront par l’innocenter en révélant les empreintes de quelqu’un d’autre, les témoins ne pourront le reconnaître (et pour cause), il peut donc s’attendre raisonnablement a un acquittement au bénéfice du doute. Il a déjà préparé sa réponse lorsqu’on ne manquera pas de lui annoncer un jour ou l’autre : « Nous venons d’analyser les empreintes sur le couteau, Monsieur Ranucci. Elles ne correspondent pas aux vôtres. Vous êtes libre. Veuillez accepter les excuses de la France ». C’est la raison du comportement arrogant qu’il va adopter tout au long se son procès. Tous ces « ploucs » ne peuvent rien contre lui. Ils ne peuvent prouver sa participation ni a l’enlèvement, ni au meurtre. Malheureusement, ça ne se passe pas comme prévu. Ces crétins de policiers n’ont retrouvé d’empreintes ni sur le couteau ni sur la scène du crime (ni ses propres empreintes bien entendu, mais pas celles de homme au pull over-rouge non plus), ces idiots de témoins ne sont certains de rien, les témoins du rapt ne sont même pas présents au procès, à part ces imbéciles d’Aubert qui sont incapables de se rendre compte que c’est homme au pull over-rouge et non Ranucci qu’ils ont aperçu dans les buissons, la prestation de Madame Mattei est déplorable … Comble de malchance, la fausse piste lancée par l’abandon volontaire du pull-over rouge dans la champignonnière a fait pschitt, malgré le fait que, grâce aux indications de homme au pull over-rouge, il avait réussi a en savoir plus sur les « répétitions » qu’avait fait homme au pull over-rouge en rôdant sa technique du petit chien peu de jours avant le drame, à retrouver Madame Mattei et à la mettre en contact avec sa propre mère, Madame Mathon. Le procès tourne mal. Ranucci est de plus en plus en colère contre la justice, incapable de suivre la piste de homme au pull over-rouge et capable d’envoyer un innocent comme lui à la guillotine. Il espère cependant être acquitté au bénéfice du doute, en l’absence de preuves. Il est au contraire condamné à la peine capitale « Ils sont fous », s’exclame-t’il. Entre sa condamnation et son exécution, il n’aura de cesse d’essayer, en vain, de faire relancer l’enquête vers la piste homme au pull over-rouge tout en s’abstenant de divulguer sa propre participation aux événements. Il ne peut pas faire autrement : s’il avoue la vérité telle qu’il la connaît, c’est la certitude pour lui de finir ses jours en prison, voire d’être guillotiné. On lui a suffisamment répété que l’enlèvement d’enfant en lui seul, auquel il avouerait avoir participé, est passible en soi de la peine de mort. Il est vraisemblable qu’il ne dira d’ailleurs jamais la vérité, ni à ses avocats, ni même à sa propre mère. Elle aurait trop de chagrin. Il en reste donc à sa version absurdement incomplète. Il écrit même un livre, destiné certes à relancer l’enquête dans le sens d’une preuve matérielle qui accuserait homme au pull over-rouge (et qui l’innocenterait par voie de conséquence), mais qui est avant tout un témoignage de fidélité et un message de désespoir destiné à homme au pull over-rouge, dont il attend un signe. « Tu vois, je ne t’accuse pas; en échange, fais parvenir un signe aux enquêteurs : une lettre anonyme, quelque chose qui prouve que ce n’est pas moi qui ai commis ce meurtre… ». Ce signe ne viendra jamais. Jusqu'à la dernière minute, il croit que son innocence d’un crime qu’il n’a pas commis, ou du moins l’absence de preuves matérielles, lui vaudra au moins la grâce présidentielle. Elle ne viendra pas non plus…
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