La découverte du couteau « sur les indications de Ranucci » est certainement le point essentiel qui a conduit les jurés à prononcer la condamnation.
Même s’il peut y avoir des doutes, sur les autres points, sur celui là, à partir du moment où il devient évident que Ranucci a éprouvé le besoin de se séparer de son couteau et de le cacher pas très loin du Lieu du crime, donc peu après les faits, il n’y a plus de place pour le doute.
L’avocat général Viala aurait d’ailleurs qualifié cet élément de « reine des preuve » et le juge Michel, quand il a repris le dossier, aurait fait savoir qu’il croyait à la culpabilité de Ranucci, à cause de cet élément.
Nous voyons a travers les articles de journaux du moment des faits, que pour les journalistes et donc pour l’opinion publique, c’est sur les indications que Ranucci a pu donner lors des aveux qu’il a passés devant les policiers, que les gendarmes se sont rendus vers la champignonnière et qu’ils ont retrouvé le couteau.
Ce n’est qu’en 1978, avec le livre de Perrault, qu’il a été connu que la recherche de ce couteau n’avait pas été une simple formalité.
Les recherches qui curieusement n’ont pas débutées aux abords de la champignonnière, ont durées fort longtemps.
Manifestement, avec les seules indications contenues dans les aveux passés devant les policiers, il n’était pas possible de trouver le couteau. C’est d’ailleurs ce qui c’est passé.
Dans l’après midi du 5 juin Ranucci passe aux aveux. Vers 17h il signe sa déposition, puis il passe un moment avec sa mère devant laquelle il réitère ses aveux. Il est ensuite présenté au médecin pour la visite médicale de fin de garde à vue, puis conduit chez Melle Di Marino au Palais de Justice. Il est autour de 18h. Il en ressortira « peu après 19 heures. »(K. Oswald), pour être conduit à la prison des Baumettes. Les recherches commencent à 17h30 et le couteau est retrouvé à 19h25. (19h29 pour Gérard Bouladou, page 34)
Gérard Bouladou nous explique comment les recherches se sont passées.
Dans l’émission Le droit de savoir, il a dit :
Il y avait beaucoup de morceaux de métal, dans ce tas de tourbe et la poêle à frire n’arrêtait pas de sonner. Donc les gendarmes ont eu beaucoup de mal à trouver le couteau et au bout d’une heure et demi, ils ont du commencer à se décourager un petit peu. Ils ont téléphoné avec un radiotéléphone à l’Evêché et là, on est allé demander des précisions à Ranucci.
Dans son livre (page 134), il écrit :
À un certain moment - c'est monsieur Guazzone qui nous le racontera - les gendarmes qui commençaient à se décourager, reçurent un appel par radio¬téléphone de l'Évêché, leur précisant l'endroit exact où se trouvait le couteau. Un des policiers, mis au courant que les gendarmes avaient des difficultés à trouver le couteau pour les raisons évoquées plus haut, se refit préciser par Ranucci un détail qu'il avait donné lors de son audition, mais qui n'avait pas été porté au procès-verbal. Ranucci avait indiqué qu'il avait jeté le couteau à côté d'un petit édifice en pierre qui se trouvait contre le tas de tourbe. Les gendarmes se rendirent aussitôt sur ce point précis et trouvèrent le couteau après quelques minutes, bien enfoncé dans le sol, nous verrons pourquoi plus loin.
Dans le même livre (page 283) Henri Gazzone raconte :
H. G. - Ah ben, le couteau, il l'a caché. Alors là, les gendarmes ont cherché pendant longtemps parce que, comme c'était une champignon¬nière, il y avait des gros tas de fumier et ils avaient encore (pourquoi encore.!) la poêle à frire, vous savez, pour chercher la ferraille. Ils ont ramassé un tas de ferraille. Puis le soir, les gendarmes étaient en rapport par radiotéléphone avec lui à l'Évêché. C'est lui qui a dit: « Voilà, vous faites tant de pas à droite, tant de pas à gauche et c'est là. » Et ils sont tombés pile sur le couteau, sur les indications de Ranucci ! Comment voulez-vous jeter un couteau si vous n'êtes pas coupable?
Plus de trente ans après, Henri Gazzone croit toujours qu’à l’autre bout du radiotéléphone, à l’Evêché, il y avait Ranucci. Gérard Bouladou, lui, dit tantôt que c’est les gendarmes qui ont appelé l’Evêché, tantôt que c’est un policier qui a appelé les gendarmes.
Une version encore différente vient de nous être donnée par le Capitaine Gras, dans la réponse qu’il a faite à Jpasc95 à propos de la recherche du couteau : « Ce ne sont pas les policiers qui m’ont signalé la ( ?), mais j’avais envoyé un adjudant adjoint qui interrogeait aussi Ranucci à la police ».
Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas Ranucci lui-même qui a renseigné les gendarmes sur le terrain.
Cette présence d’un gendarme à l’Evêché, Gilles Perrault en parle dès 1978. Dans le pull-over rouge, il écrit (page 86) :
Le capitaine de gendarmerie Maurice Gras reste en liaison avec l’Evêché ; l’un de ses gradés est sur place et le tient au courant de la progression de l’enquête. Il est donc informé des aveux dès le début de l’après-midi.
Le fait, qu’un gendarme ai été détaché à l’Evêché dans la journée du 6 juin, a totalement échappé à Gérard Bouladou.
Quoiqu’il en soit, au moment ou se passe la conversation radiotéléphonique donc Henri Gazzone a été le témoin, Ranucci n’est plus à l’Evêché, mais dans le bureau de Melle Di Marino, ou en route vers la prison.
Ce n’est pas dans le bureau de la juge qu’il a pu donner des renseignements complémentaires pour plusieurs raisons. En principe, on ne dérange pas, un juge qui est en instruction. Ensuite, je vois mal un policier venir interrompre l’instruction en cours, pour demander des précisions à Ranucci, pour aider les gendarmes qui ne trouvent pas le couteau, alors que Melle Di Marino ne sait pas que les gendarmes sont en train de chercher (erreur Opinel). Enfin, si malgré tout, cela avait été le cas, nous en trouverions trace dans le PV de première comparution.
C’est donc pendant les transferts que Ranucci a pu être questionné. Encore faut-il qu’un policier se soit trouvé à ses côtés durant ces moments.
Et un policier, il y en avait un. Du moins c’est ce que nous dit Gérard Bouladou (page 37) :
Menotté à l'enquêteur Pierre Grivel, Christian Ranucci pénètre dans le cabinet de Mlle Di Marino.
Donc, menotté à Ranucci, on peut donc s’attendre obligatoirement, à ce que Pierre Grivel dise qu’il a été témoin, lorsque Ranucci a donné les informations précises qui ont permis de retrouver le couteau.
Or cela il ne le dit pas. Toujours dans le livre de Gérard Bouladou (Page 293) : MON ENTREVUE AVEC MONSIEUR GRIVEL
Moi, j'étais menotté à lui et il m'a traîné sur vingt mètres presque, pour montrer l'endroit. S'il ne le dit pas dans son audition où il est, le couteau, il serait en train de rouiller, on ne l'aurait jamais retrouvé.
Voilà, nous ne savons pas qui a transmis l’information qui a permis de retrouver le couteau, en tout cas elle ne vient pas de Ranucci. Mais le gendarme détaché à l’Evêché doit pouvoir le dire , lui, qui lui a donné cette information.
Le fait que le couteau a été retrouvé sur des indications qui ne viennent pas de Ranucci est un élément inconnu des jurés au moment du procès.
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