L'autre chose que l'on découvre, c'est que les avocats ont constamment caché la vérité à Christian Ranucci. Ils ont fait comme si la justice française ne tuait pas. Comme si on pouvait arranger... Et lorsque l'on demande dans l'émission "Faites entrer l'accusé" à Maître le Forsonney s'il a réellement prévenu Ranucci des risques qu'il encourrait. On se dit finalement que sa réponse ne reflète que partiellement la vérité. Non, bien sûr, il ne lui a pas vraiment dit, parce que sinon, il fallait s'opposer si violemment aux institutions... Alors on a adouci... bêtement.
En fait, si l'on analyse, c'est d'abord eux qui n'ont pas pris la mesure de ce qui menaçait Christian Ranucci. Il est plus lucide qu'eux par certains côtés.
Qu'on en juge sur ce passage : "Ranucci, explique Me Fraticelli, était un homme absent des réalités. Il avait sa vérité et il se souciait peu de savoir si elle était acceptable par les autres." Dans le quartier des condamnés à mort, on est gagné par la folie. Le condamné est seul, il radote. Ranucci ne pensait qu'à sortir de prison, avec le tapis rouge déroulé sous ses pieds, et des indemnités qu'il avait calculées en dollars. "Non seulement je veux qu'on proclame mon innocence, disait-il, mais en plus, je veux deux billets d'avion pour le Venezuela!"
Ce n'était pas une grace présidentielle qu'il attendait mais la réhabilitation, tout simplement. La veille de l'exécution, l'aumonier de Baumettes, le père Migault, reçoit un coup de téléphone du procureur général qui voulait s'assurer de l'endroit où il serait éventuellement joignable les jours prochains. Cet appel a mis le prêtre en alerte. Il file à la prison pour avoir Ranucci, qu'il trouve, comme d'habitude, en train de discourir sur sa libération, qu'il tient pour certaine.
Il dit au Père Migault : "une fois libre, je pars pour l'étranger, la France est tellement pourrie..."
Son délire a duré des mois et personne n'a essayé de le raisonner ou seulement de lui expliquer que le seul pouvoir du président de la République était de le gracier, et que pour être reconnu innocent il faudrait la révision de son procès.
"Pourquoi l'aurais-je fait ? Confie Maître Lombard. Au contraire, lorsqu'il réclamait deux billets d'avion pour le Vénézuela, je lui disais : "Demande des premières..."
Je n'avais pas le droit de lui enlever ses illusions qui lui permettaient de supporter le supplice de l'attente. Lorsqu'on supprime le mensonge, on supprime l'espoir."
Voilà bien un drôle de discours que tient Maître Lombard à Michel Gonod en février 1981. Finalement l'avocat ne défend pas son client, comme dans les procès staliniens, il est là pour entretenir le mensonge. Tout cela est révélateur.
Le mensonge c'est l'espoir, on se croirait chez Orwell. Et maître Lombard ne s'en rend même pas compte...
Il aurait fallu du courage pour dire la vérité à Ranucci, mais évidemment, contrairement à ce que prétend Lombard, il était capable de l'entendre. Un prisonnier est toujours capable de recevoir la vérité quand elle est dite correctement.
C'est à lui-même que ment Maître Lombard, bien entendu. Pour n'avoir pas vraiment défendu Ranucci, ou peut-être sur le mode du jeu ou du dédain.
S'ils avaient été intelligents, ses avocats, ils auraient pu comprendre que derrière tout ce désir de fuir, ces billets d'avion et ce Venezuela-Shangri-La, il y avait la rencontre malheureuse que Ranucci fit avec son père le matin du 3 juin. Mais il fallait être habité par la cause de ce jeune homme et obtenir sa confiance.
Les avocats peuvent effectivement aujourd'hui avoir beaucoup de regret, notamment celui de n'avoir pas compris, d'avoir entretenu un horrible et inutile mensonge et finalement dénié la mort.
Ah oui, il peut vous hanter longtemps, Ranucci...
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