Les fictions télé sur des affaires criminelles suscitent de plus en plus de recours en justice
LE MONDE | 11.01.06 | 13h36 • Mis à jour le 11.01.06 | 13h36
Le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a, en partie, donné raison, mardi 10 janvier, à la famille de Maria-Dolorès Rambla face à la société Septembre Production, à propos du téléfilm
Une mère, qui doit être diffusé sur TF1 en 2006. Les producteurs de cette fiction, centrée sur l'affaire Christian Ranucci, reconnu coupable du meurtre de la petite Maria-Dolorès en 1974, et guillotiné le 28 juillet 1976, devront remettre à la famille le scénario et le montage final du téléfilm quatre mois avant sa diffusion.
Au nom du "
respect de sa vie privée", la famille Rambla avait assigné en référé, le 27 décembre 2005, les producteurs d'
Une mère et demandé l'interdiction du tournage. Celui-ci s'étant terminé le 17 décembre, la justice n'a pu donner suite à cette demande. "
Ce délai de quatre mois nous permettra d'examiner le document et, en cas de désaccord sur certains passages, de demander des modifications. Si nous n'arrivions pas à trouver un accord, nous aurions le temps d'introduire un référé", explique Me Philippe Hansenne, en charge du dossier avec Me Henri Juramy, avocat de la famille Rambla.
Jean Nainchrik, le PDG de Septembre Production, semble lui aussi satisfait de cette décision. "
Nous ne donnons pas le scénario aujourd'hui. Les juges et la famile Rambla jugeront le film sur pièce. Notre film n'a pas pour vocation à réhabiliter Christian Ranucci. C'est un plaidoyer contre la peine de mort, un film qui évoque une période importante de notre histoire récente. "
L'affaire Ranucci avait déchaîné les passions dans les années 1970, conduisant le président de la République Valéry Giscard d'Estaing à refuser la grâce pour Christian Ranucci. En 1978, le livre-enquête de Gilles Perrault,
Le pull-over rouge, jetait des doutes sur la culpabilité du condamné. "
Je ne souhaite pas m'inscrire dans la polémique, précise Jean Nainchrik.
Pour les besoins de ce film, nous n'avons contacté ni la famille Rambla, ni la mère de Christian Ranucci afin de rester indépendants." En attendant de savoir si ce téléfilm, avec Catherine Frot dans le rôle de la mère de Ranucci, subira ou non des coupes, cet épisode judiciaire intervient dans un contexte qui voit la télévision s'emparer de plus en plus de faits divers récents et d'affaires criminelles, sous forme de documentaires et de fictions.
En 2005, le téléfilm
Dans la tête du tueur, qui relatait le parcours criminel du tueur en série Francis Heaulme, a captivé 10,3 millions de téléspectateurs sur TF1 selon Médiamétrie. Deux ans avant, c'est
L'Affaire Dominici qui, avec plus de 12 millions de téléspectateurs, a permis à la Une de réaliser l'une des meilleures audiences de l'année. Dans les mois à venir, France 3 devrait diffuser une fiction, en plusieurs parties, consacrée à l'affaire Grégory, et France 2 a confié au scénariste Didier Decoin, l'adaptation sous forme de "fiction du réel" de l'affaire des disparus de Mourmelon. "
Le fait divers donne de grands romans, il peut donner de grandes fictions télévisées", estime Christian Gerin, PDG de 17 Juin Média, société productrice de l'émission "Faites entrer l'accusé", sur France 2.
"PRÉCAUTIONS À PRENDRE"
De "grandes" fictions mais aussi des polémiques. Après avoir réclamé en vain la suspension du téléfilm
Dans la tête du tueur, les avocats de Francis Heaulme ont obtenu qu'un communiqué judiciaire soit diffusé juste avant le film. Certains dialogues accusaient en effet Heaulme du double meurtre de Montigny-lès-Metz, pour lequel Patrick Dills a été recconnu coupable puis innocenté. TF1 a également choisi de ne pas diffuser un docu-fiction sur la tuerie de Nanterre, qui eut lieu en 2002, face au désaccord de certaines familles des victimes. A propos du tournage de
L'Affaire Grégory, Marie-Ange Laroche, la veuve de Bernard Laroche, a elle aussi demandé l'interdiction du prochain film de France 3, qualifiant ce projet d'"
ignoble".
"
C'est un vrai progrès pour la télé française de pouvoir aborder des affaires qui touchent au domaine politique ou judiciaire, estime Jean-Pierre Guérin, président de GMT, producteur de
Dans la tête du tueur. Il y a toutefois des précautions à prendre. Tout dépend de la manière dont on raconte les choses. En préparant un film sur l'affaire de Bruay-en-Artois, l'un des protagonistes a fait valoir son droit à l'oubli pour ne pas être cité. " Le projet est finalement tombé à l'eau.
La frontière entre point de vue et parti pris est parfois ténue. En 2003, TF1 avait choisi de prendre fait et cause pour Gaston Dominici alors que l'enquête n'a jamais permis de désigner avec certitude le ou les auteurs du crime commis en 1952. TF1 avait d'ailleurs alimenté elle-même la polémique en confiant à sa filiale Odyssée la réalisation d'une enquête... démontant la thèse défendu dans le téléfilm. "
C'est vrai qu'en tant que producteurs nous avons une responsabilité, reconnaît Jean Nainchrik.
Mais heureusement que l'on peut aborder des affaires sensibles, sinon on ne parle plus de rien à la télévision ! "
(s.) Guillaume Fraissard et Catherine Bédarida
CHRONOLOGIE
3 JUIN 1974 Enlèvement, à Marseille, de Maria-Dolorès Rambla, 8 ans.
5 JUIN : Christian Ranucci est interpellé. Le corps de la petite fille est retrouvé dans une champignonnière. Ranucci avoue, puis se rétracte au cours de l'instruction.
10 MARS 1976 Christian Ranucci est condamné à mort par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône.
28 JUILLET Il est guillotiné à la prison des Baumettes, après le rejet de sa demande de grâce présidentielle par Valéry Giscard d'Estaing.
1978 L'écrivain Gilles Perrault publie Le pull-over rouge, un livre-enquête qui met en lumière des incohérences dans l'enquête.
Article paru dans l'édition du 12.01.06
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