voici un article paru dans la presse nationale (le Monde) -enfin une reconnaissance!-
d'avant hier. bel article, je vous le mets ci-dessous:
Nécrologie
Jean-François Le Forsonney, avocat
LE MONDE | 25.01.10 | 16h33 • Mis à jour le 25.01.10 | 16h33
L'avocat Jean-François Le Forsonney est décédé brutalement, le 21 décembre 2009, à l'âge de 60 ans. Son nom est inséparable de celui de Christian Ranucci, le dernier condamné à mort exécuté en France, dont il a assuré la défense en 1976. Né à Rabat (Maroc) le 5 juillet 1949, il venait tout juste de s'inscrire au barreau de Marseille, lorsqu'éclate l'affaire de l'enlèvement et de la mort de la petite Marie-Dolorès Rambla, dans la cité Sainte-Agnès.
Jeune stagiaire au cabinet de l'avocat pénaliste Paul Lombard, Jean-François Le Forsonney est poussé par son patron à
accepter de défendre Christian Ranucci. "Vous débutez. Personne ne vous connaît, ça vous protège, et lui avec, de
l'hystérie générale", luit dit Paul Lombard en lui promettant de venir en renfort un peu plus tard. Il est donc commis
d'office par Christian Ranucci. Le procès s'ouvre le 9 mars 1976 devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, à Aix-
en-Provence, dans un climat de violence terrible liée à la proximité de l'assassinat du petit Philippe Bertrand par
Patrick Henry à Troyes. Après trois jours d'audience, Christian Ranucci est condamné à la peine de mort.
L'affaire Ranucci
Le 28 juillet 1976, à l'aube, Me Le Forsonney entre dans la cellule de leur client pour lui annoncer que son dernier
recours en grâce a été rejeté et que la peine va être exécutée. Christian Ranucci a 24 ans, son avocat, 27. Dans un
livre publié en 2004, Le Fantôme de Ranucci (Michel Lafon), Me Le Forsonney a fait un récit terrible de ces quelques
minutes dans la prison des Baumettes, du réveil brutal de Christian Ranucci, du cortège qui emprunte les souterrains de
la prison pour le mener jusqu'à "l'exécuteur en chef des arrêts criminels", le nom officiel du bourreau. "Une table,
deux chaises en vis-à-vis. A gauche, sur une autre table, un crucifix, une bouteille de rhum, un verre, un cendrier et
une boîte d'allumettes. Ils l'ont assis. J'ai pris place devant lui (...). Pendant que je lui parlais, ils ont commencé
à lui attacher les jambes et les poignets (...). A coups de ciseaux gigantesques, ils ont échancré le col du pyjama.
J'étais sidéré par ce que je voyais. Un poulet allant à l'abattoir..." Les derniers mots de Christian Ranucci, après
avoir lu la lettre que sa mère lui avait adressée via ses avocats, seront pour dire à Paul Lombard et à Jean-François
Le Forsonney, "Réhabilitez-moi !"
Au lendemain de cette épreuve, il décide d'abandonner la défense pénale. "J'ai voulu m'abstraire dans le droit,
m'éloigner du fait et surtout du fait divers", disait-il. Jean-François Le Forsonney monte donc son propre cabinet et
se spécialise en "droit emmerdant", civil et social, même si, régulièrement, le pénal le rattrape quand des clients
attirés par sa notoriété viennent frapper à sa porte.
Toujours inscrit au barreau de Marseille, il ouvre un cabinet à Paris, en 1991. C'est à l'actuel patron de Radio
France, Jean-Luc Hees, qu'il avait défendu lors de son licenciement de France Inter en 2004, que Jean-François Le
Forsonney doit ensuite une solide clientèle de journalistes en conflit avec leur employeur. Il comptait également
Raymond Devos (1922-2006) parmi ses clients. Avec son confère et ami Guillaume Le Foyer de Costil, il s'est occupé de
la défense des intérêts de ses héritiers après le décès de l'humoriste.
Mais jusqu'au bout, l'affaire Ranucci aura pesé sur sa vie. Fidèle à son engagement, Jean-François Le Forsonney,
rejoint par Jean-Denis Bredin et Daniel Soulez-Larivière, sera présent à chaque étape des demandes de révision de la
condamnation de Christian Ranucci. En vain.
"Mon premier désir de jeune avocat, au lendemain de cette affaire, aura été de vieillir. Avoir des cheveux gris,
prendre du bide s'il le faut et un peu d'autorité. Tirer profit d'un regard qui a vu des choses que tout le monde n'a
pas vu , écrivait celui qui avait rencontré tout de suite l'ultime impasse de ce métier avant d'avoir pu en discerner
la finalité."
Pascale Robert-Diard