Citation :
Comment se fait-il qu'à l'instar de l'affaire Patrick Henry, Ranucci n'ait pas eu un non à la question "Il y a t'il eu préméditation?"
Ranucci, tout au long de l'instruction, a toujours dit qu'il voulait emmener l'enfant faire un tour et avait l'intention de la ramener sans lui faire le moindre mal.
Même d'après l'accusation l'acte fait suite à un mouvement de panique, dans ces cas là la prémédiation me semble douteuse.
C'est qu'effectivement, on a posé sans doute plusieurs questions au jury : mais les premières sont celles-ci : l'accusé est-il coupable d'avoir enlevé Marie-Dolorès Rambla dans les circonstances x, et l'accusé est-il coupable d'avoir tué Marie-Dolorès.
Ensuite vient une deuxième question, au cas ou les jurés répondent oui aux deux premières, puisque les deux crimes sont punis de mort : doit-on accorder à l'accusé les circonstances atténuantes. Si on le jury refuse, c'est la mort.
Si vous voulez, l'absence de préméditation est sans aucun doute une circonstance atténuante, mais les circonstances atténuantes débordent largement la seule question de la préméditation.
Je regardais pour trouver des arguments les jugements du tribunal pénal international de la Haye pour les crimes commis en Yougoslavie. Quand on compare la qualité des décisions de ce tribunal, dont tout est justifié, pesé, analysé, où les juges indiquent ce qu'ils ont retenu de l'accusation, de la défense, quel poids ils ont accordé à chaque argument, eh bien quand on compare cette minutie avec les décisions non motivées des cours d'assises françaises, eh bien on se dit que la justice criminelle française c'est tout simplement de la merde. Ca ne vaut rien à côté. Et ce ne sont pas les zozotements de Philippe Bilger qui me feront changer d'avis.
D'abord le tribunal de la Haye rappelle la mission première qui motive son existence : la vérité. Parce que l'ONU a proclamé la constitution de ce tribunal sous cette épigraphe : la vérité sur les crimes en Yougoslavie, ce sera la paix.
Or la vérité : ce devrait être la principale motivation des cours d'assises, force est de constater qu'on en est très très loin. La motivation du président Antona, ce n'est pas la vérité, c'est conforter un dossier d'instruction et une enquête bidons. Il n'est plus de justice possible.
Son devoir bien évidemment, dès que surgit le témoin Mattéi, c'était d'interrompre les audiences et demander aussitôt un supplément d'information. Il en allait de la vie d'un homme. Force est de constater qu'il n'en a rien été, et qu'il s'agissait donc d'une justice préhistorique, une justice paresseuse et indigente, digne d'une république bananière. Ce n'est pas l'exigence d'une république moderne.
La motivation de la cour d'assises d'Aix-en-Provence, d'abord on ne peut pas la connaître puisqu'il s'agit d'une justice du secret, donc une justice fatalement totalitaire. Une justice démocratique, c'est une justice qui se justifie, qui MOTIVE ses décisions et qui présente ses motivations. A partir du moment où l'on vous oppose le secret des délibérations, on assimile la justice criminelle à une loterie, tout simplement.
Donc on a refusé les circonstances atténuantes. C'est-à-dire qu'on n'en a trouvé strictement aucune.
Mais est-ce qu'on a cherché véritablement ?
Ben vous ne saurez pas : tout est secret, tout est totalitaire, tout est affaire de religion. On demande aux jurés d'avoir une religion. On n'est pas si loin des crocodiles qui traversent ou non le marigot et délivrent par là-même une sentence.
Vous dites en quelque sorte : il y avait une circonstance atténuante évidente : l'absence de préméditation.
Ben nous allons jouer à un jury, qui n'est pas celui d'Aix, qui lui était un jury de vengeance, un jury de violence, un jury d'incurie, un jury sans réflexion : eh bien un vrai jury va peser une à une toutes les circonstances atténuantes possibles, et si nous étions dans un pays moderne, dans un pays démocratique, dans un pays intelligent, eh bien ce serait écrit dans le jugement, et le jugement permettrait de comprendre comment le jury est arrivé à la sentence.
Mais vous avez certainement remarqué, aucun parti politique n'ose proposer une réforme des assises digne de ce nom, digne de notre temps, une justice qu nous éloigne de la barbarie, ben oui c'est que ces gens là n'ont plus grand chose à voir avec la vertu, ou bien la volonté sans doute.
Quel est donc le degré de préméditation, si l'on imagine qu'il est coupable, ce qui est excessivement problématique par ailleurs ?
- l'enlèvement est prémédité. Mais selon l'accusation, en fait, il ne l'est qu'à un degré faible, puisque l'accusation retient le fait que Ranucci aurait enlevé Marie-Dolorès "pour se promener", pour avoir de la compagnie, qu'il n'aurait pas organisé cet enlèvement et qu'il aurait trouvé le coup du chien au dernier moment, ça lui serait passé par la tête après qu'il eut cherché un copain de régiment. Il aurait donc pris par hasard la rocade du jarret et il se serait trouvé par hasard à l'endroit du meurtre.
Donc effectivement la préméditation selon l'accusation même est faible.
Concernant le meurtre : l'accusation retient le fait que le meurtre résulterait d'un affolement, de l'accident, que l'accusé perdait la raison au moment où le meurtre était commis, en quelque sorte dans un état second, un meurtre commis sans motivation, donc sans intention véritable, l'emotion débordant la raison, ce qui là encore indique un degré extrêmement faible de préméditation.
Effectivement, le très faible degré de préméditation, tel qu'il est reconnu par l'accusation elle-même, indique sans nul doute qu'il existait des circonstances atténuantes.
En ne les retenant pas que fait le jury ? En fait il retient les aveux, mais il retient en même temps les constatations. Or elles ne concordent absolument pas.
Si on examine les constatations : elles indiquent un grand degré de préméditation : la personne a repéré cet endroit, sans nul doute plusieurs jours à l'avance, la personne avait une intention sexuelle, la personne a planifié soigneusement l'enlèvement, la personne savait où elle se dirigeait et ce qu'elle voulait faire à la petite fille.
De même le meurtre indique une rage folle, il indique que le geste a été réitéré 15 fois, sans compter les coups de pierre, ce qui exclut par le fait l'idée même que le meurtre ne serait pas prémédité. Il y avait une intention claire de tuer.
Ainsi on peut déduire du secret des délibérations que le jury a mélangé deux choses absolument incompatibles :
il a fondé la culpabilité sur les aveux, et seulement sur eux, ce que confirme Madame Donadini à M6 : en disant : puisqu'il l'a lui-même reconnu, pourquoi revenir là-dessus, et il a fondé la peine sur les constatations qui disent le contraire des aveux.
Mais il y avait sans aucun doute d'autres circonstances atténuantes : d'abord le fait que Ranucci n'avait jamais été condamné auparavant et qu'il avait mené une existence parfaitement normale jusqu'à présent. Ceci pouvait être retenu comme une circonstance atténuante. Le meurtre étant en quelque sorte un très grave accident de parcours.
Seulement, le commissaire Alessandra, en traitant Ranucci de monstre, indiquait par là-même au jury qu'il convenait de rejeter la personnalité et la vie antérieure de l'accusé comme circonstance atténuante, en suggérant que sous la personnalité, se cachait un monstre, sous entendu, qu'il ne pouvait plus s'amender et qu'il avait perpétré auparavant d'autres méfaits, à nous inconnus.
un tribunal moderne aurait indiqué dans son jugement qu'il refusait la circonstance atténuante pour ce motif que les psychiatres et le commissaire Alessandra avaient détecté une personnalité monstrueuse.
On pouvait aussi considérer que la jeunesse de l'accusé jouait comme circonstance atténuante : il ne maîtrisait pas ses pulsions, il ne se rendait pas compte des choses pour ne pas avoir une expérience très grande de la vie.
Mais là encore, le jury mélange deux éléments : il y a la personnalité de l'accusé telle qu'elle leur apparaît : quelqu'un qui sait où il est et ce qu'il veut, et ce qui apparaîtrait dans le dossier. Du coup le jury refuse cette circonstance atténuante aussi.
En revanche le jury, et en nous le disant, M. Blaty rompt le secret des délibérations - et voyez, cela ne semble pas du tout choquant, ce qui prouve que ce secret est un crétinerie supplémentaire de la procédure française - le jury donc a sans doute trouvé une circonstance aggravante qui a sans doute annulé dans son esprit les autres circonstances atténuantes qu'il aurait pu retenir : le comportement de l'accusé.
L'accusé ne reconnaît pas son crime. Or pour juger de cette circonstance aggravante, il y a un préalable. L'accusé est-il bien coupable ? Autrement dit : n'y a-t-il pas le moindre doute sur sa culpabilité. Or ces doutes existent et l'avocat de la défense les a tous cités : la façon rocambolesque dont on retrouve le couteau, le fait invraisemblable qu'on retrouve un pantalon dans le coffre, ce qui ne veut rien dire, le fait que le garagiste ne reconnaisse pas la voiture, ni Jean Rambla. Tous ces éléments, le jury se devait de les prendre en compte puisqu'il doit prendre en compte et les arguments de l'accusation et les arguments de la défense. Comme il ne le fait pas, et qu'il pense qu'il est au-dessus des arguments de la défense, ça ne peut que mal se terminer.
Je ne peux considérer l'attitude de l'accusé, qu'au regard des preuves que le dossier rapporte. Or toutes ces preuves sont problématiques.
Donc en ne considérant pas les arguments de la défense concernant la culpabilité, le jury ne pouvait définir correctement le sens de l'attitude de l'accusé. De même devait-il combiner l'attitude de l'accusé, circonstance aggravante, avec sa jeunesse, son manque d'expérience, circonstances atténuantes.
Pour moi, il ne fait aucun doute, si tout ceci était écrit et faisait partie du jugement, vous comprenez que cela forcerait les juges à la rigueur et que les jugements seraient beaucoup moins contestables et contestés.
Donc ceci explique la raison pour laquelle personne ne le propose véritablement parmi la classe politique et pourquoi la france est en fait un pays très en retard, un pays qui ne reconnaît en fait les droits de l'homme que contraint et forcé.