Je me suis intéressé à l’affaire Ranucci il y a un an, en découvrant ce forum, et j’ai lu dans la foulée les livres de Gilles Perrault et ceux de Gérard Bouladou. Je me permets donc aujourd'hui quelques réflexions de néophyte. Sans doute sont-elles inutiles, car le dossier a été remué dans tous les sens, y compris par des membres du forum qui se sont rendus sur les lieux mêmes. Et aucun fait nouveau décisif n’en est sorti.
Je ne vois pas comment Christian Ranucci pourrait être innocent. A eux seuls, son attitude vis-à-vis du couteau, notamment lors de la reconstitution, et le plan dessiné pendant sa garde à vue, rendent un tel scénario à peu près impossible à imaginer en l’absence d’une machination de type Dreyfus. Le désir policier banal de boucler rapidement une affaire médiatisée n’aurait à mon sens pas suffi. Je donne acte aux partisans de l’innocence que ce n’est pas impossible : il est cependant peu probable qu’une manœuvre aussi délicate soit restée totalement opaque pendant trente-huit ans.
Il n’est pas non plus impossible qu’une explication simple ait échappé à la sagacité universelle durant la même période. Celle qui vérifierait l’hypothèse de Perrault, ou une autre, totalement inédite. Mais c’est encore moins envisageable.
Bref, le rasoir d’Occam penche clairement pour la culpabilité. Il reste un léger doute, qui s'insinue sournoisement dans les trous du dossier et dans la conscience que j'ai des limites de mon jugement et de mon imagination. Assez pour devoir peser dans mon intime conviction si j’avais été juré à Aix ? S’agissant de la peine de mort, certainement. Assez pour l’acquitter ? Permettez-moi de botter en touche.
Pour le reste, l’instruction a été conduite à charge et avec une légèreté certaine, ne serait-ce que par l’absence de reconstitution de l’enlèvement. Les lacunes ont été analysées en détail sur ce forum, et sont globalement reconnues par Bouladou et Perrault.
Au procès, la dernière prise de parole du procureur général est pour le moins étrange. Plus encore, le fait qu’il révèle des pièces non communiquées à la défense auparavant et qui ne prouvent rien. Ce n’est pas ainsi qu’on mène, dans l’esprit, un procès d’assises. Lorsque Badinter, plaidant pour Roger Bontems, prévoit de citer des pièces annulées lors de la procédure, il prévient avant, il est sanctionné après. Disons que la discourtoisie d’Armand Viala est inhabituelle, et qu’elle entraîne ipso facto, sinon l’illégalité, du moins l’inégalité.
La défense aurait dû en bénéficier. Et je n’ai jamais compris pourquoi, s’agissant du moyen d’inscription en faux, le président de la Cour de cassation décide seul et sans avoir à motiver. Je ne sais ce que la CEDH penserait d’un cas similaire aujourd’hui, son avis serait bien intéressant à entendre… Il est clair enfin que, depuis la garde à vue jusqu'à la non-décision de Valéry Giscard d'Estaing, le processus a pris en compte la passion populaire. C'était sans doute inévitable ; ce n'est jamais souhaitable.
Sur le fond, il me reste quand même un doute. Même s’il est assez proche de celui de Descartes, il faut bien lui donner une place. Ce que fait le cardinal de Rohan dans l’affaire du Collier est presque aussi inimaginable que la gesticulation de l’homme au pull-over rouge. Mais là, c’est prouvé et acté. Hélas, un juré ne fonde pas une conviction sur des exceptions historiques.
Au-delà des problèmes purement juridiques, les historiens consulteront longtemps le dossier pour nuancer le libéralisme de Giscard, analyser les étapes de l’abolition de la peine de mort, éclairer le parcours de Maître Collard ou étudier le rôle des médias dans la sphère judiciaire. A moins de quarante ans de distance, on peut encore conclure en disant que c’est une triste affaire : l’assassinat, la fausse dépêche AFP, l’exécution, et, plus encore peut-être, le crime du fils Rambla.
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