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chapitre 3 : l'accident
Citation :
Christian Ranucci, nous l'avons dit, connaît mal Mar-seille. C'est une ville immense, avec une juxtaposition de quartiers desservis par des rues souvent étroites, tout un réseau compliqué dans lequel il est facile de se perdre quand on n'en a pas l'habitude. Rechercher l'adresse de Benvenutti pose des problèmes. Il ne possède pas de plan. Il n'est jamais allé chez lui. Il faudrait qu'il se renseigne auprès des passants. Tout cela l'assomme. Au bout d'un moment, il n'a plus tellement envie de voir son ami. A quoi bon ? C'est déjà si loin, tout ça ...
Il gare sa voiture dans une rue dont il ne relève pas le nom. Deux enfants jouent sur le trottoir à proximité. Un garçon et une fillette. Il s'approche. Il leur parle, les interroge sur ce qu'ils font. Ils répondent de bonne grâce, pas du tout effrayés, car Christian a l'air gentil. Il s'exprime avec douceur. C'est un jeune homme sympathique qui inspire confiance d'emblée. L'idée vient alors à Christian Ranucci d'emmener la petite fille se promener avec lui. Seule. Il trouve un strata-gème pour éloigner le garçon: l'inviter à rechercher un animal qu'il aurait soi-disant perdu dans le coin. L'enfant le croit et fait ce qu'il demande.
Après qu'il se soit éloigné, Ranucci bavarde un moment avec sa soeur, Marie-Dolorès Rambla, à qui il propose une petite balade en voiture. Peut-être se sent-elle flattée de monter dans ce beau véhicule. Elle est désoeuvrée. Il fait beau. Il n'y a presque personne sur la route. Ce sera agréable.
Elle accepte de le suivre sans trop se faire prier. Il est facile d'abuser de la confiance d'un enfant, de profiter de sa naïveté. A supposer qu'à l'instant où il enmmène la fillette aucune mauvaise intention n'ait encore germé dans son esprit, la démarche de Ranucci reste pour le moins ambi-guë. Ses commentaires seront embarrassés.
« Je ne peux pas expliquer pour quelle raison j'ai préféré emmener la petite fille plutôt que le petit garçon déclarera--t-il. Mais j'affirme qu'en agissant de la sorte, je n'avais pas de mauvaises intentions à l'égard de la fillette »
Il allèguera aussi qu'il envisageait de la ramener chez elle en fin d'après-midi. Cela fait une longue absence pour une gamine. Mais Ranucci ne donnera aucune explication acceptable des motifs qui l'ont poussé à agir de la sorte.
Cela même ne laisse pas d'être un comportement sus-pect. Car, ne l'oublions pas, il s'agit d'une mineure. Il a éloigné sciemment son petit frère et s'est gardé de prévenir quiconque de ce projet de promenade. C'eût été pourtant facile: ils habitaient là et la mère, Mme Rambla, était en train de travailler dans sa cuisine, la fenêtre ouverte. Il suffisait d'appeler. Craignait-il un refus de sa part ? Ne nous enlisons pas dans l'angélisme. Je suis plutôt disposé à croire qu'il préparait son coup et qu'il avait trouvé un contexte favorable pour le réaliser.
On ne saurait donc retenir sa version des faits. D'autant que, comme le souligne le rapport du commissaire Gérard Alessandra, la découverte de deux couteaux et d'un fouet dans la malle de sa voiture permet de présumer quel sort pouvait être réservé à la victime même si l'on n'a pas de preuves qu'il s'en soit servi avant le meurtre. Ces instru-ments ne sont pas d'une présence courante dans la voiture d'un honnête conducteur.
Christian Ranucci ne se souvient pas du nom de la rue où il a enlevé la fillette. Il garde toutefois en mémoire la configuration des lieux. Au cours de son audition devant les services de police, il sera capable d'en tracer le plan, à la demande de l'inspecteur divisionnaire Bantos de la PJ de Marseille, venu en observateur à la Sûreté Urbaine.
Ce croquis, malgré la maladresse du trait - ne s'impro-vise pas dessinateur qui veut -, correspond bien au plan de la cité Sainte-Agnès où s'est perpétré le rapt.
Personne ne lui a tenu la main pour le faire. Personne n'a soufflé à l'inculpé, par quelque indication que ce soit, comment se remémorer l'endroit lequel est excentré par rapport au coeur de la ville et n'est pas des plus fréquentés. Or, Ranucci affirme ne pas connaître Marseille. Sur ce chapitre, on peut le croire. A moins de concevoir qu'une exactitude aussi troublante puisse être le fruit du hasard ou de l'imagination, il n'est pas douteux que Ranucci se trouvait effectivement là où il a dit. Enoncé des faits, plans et témoignages, aveux se recoupent ici ou concordent.
Christian Ranucci quitte donc Marseille avec Marie--Dolorès Rambla à son bord. Il roule quelques kilomètres, puis s'arrête sur le bord de la route pour fumer une cigarette.
Il bavarde, selon ses propres termes, « de choses et d'autres » avec la petite fille. Il lui demande si elle va à l'école, comment ça se passe, si elle a des amis, ce que font ses parents, si elle a d'autres frères et soeurs. Le contenu de cette conversation rapportée n'a pas en soi grand intérêt. Selon ses dires, Marie-Dolorès répond gentiment à ses questions, sans manifester aucune crainte à son égard. Elle est gaie. Elle est insouciante du tragique destin qui l'attend.
Ils descendent de voiture pour faire quelques pas. Quelle est la signification de cette très étrange conversa-tion ? Combien de temps dure-t-elle ? Qu'est-ce que Ranucci en attend ? Est-ce qu'il prépare sa victime ou est-ce qu'il hésite encore sur ce qu'il va en faire ? Quoi qu'il en soit, on peut supposer qu'il a réussi à mettre la fillette en confiance parce qu'elle n'appelle personne à son secours et ne tente pas de lui échapper.
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"ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort."