L'Ombre de Christian Ranucci
Gilles Perrault
Le 28 juillet 1976, Christian Ranucci, reconnu coupable de l'assassinat de Marie-Dotorès, 8 ans, est guillotiné. Deux ans plus tard, dans son livre Le Pull-over rouge, Gilles Perrault ouvre une contre-enquête et sème le doute. En 2006, il persiste en damant l'innocence du jeune homme, fort d'un complément d'enquête et d'un possible coup de tonnerre : le tueur en série Michel Fourniret se serait trouvé dans les environs de Marseille à la date du crime. Des éléments nouveaux certes, mais bien trop ténus pour espérer une réouverture du -dossier et qui laisseront sur leur faim ceux qui ont lu le célèbre best-seller de Perrault. Restent une enquête bâclée, des familles crucifiées, un pull-over dont on ne connaît pas le propriétaire... Et la sincérité de l'auteur dans son combat pour la réhabilitation de Ranucci. C.G.-H.
Rencontre avec...
Gilles Perrault
Dans Le Pull-over rouge, vous sembliez partagé entre l'innocence et ta culpabilité de Christian ;Ramucci, condamné à mort en 1976 pour le meurtre d'une petite fille. Dans votre dernier livre, vous penchez définitivement en faveur de son innocence...
Le Pull-overrouge était le livre du doute. En 1981, Robert Badinter a initié une enquête complémentaire qui a contredit les thèses de l'accusation. Depuis, je suis convaincu de l'innocence de Ranucci. J'imagine que l'homme au pull-over rouge est tombé sur Ranucci inconscient dans son coupé après une nuit de beuverie. Il a trouvé son couteau et est parti achever la petite Marie-Dolorès. Puis il a installé Ranucci sur la banquette arrière, a dissimulé la voiture et caché le pull à proximité pour établir un lien entre l'enfant et le jeune homme. L'hypothèse de ta culpabilité de Michel Fourniret (voirci-contre) tient dans le sens où ce scénario colle avec son modus operandi. Il a tué une jeune femme sur une plage en imitant la façon de procéder de Francis Heaulme. Il a fait de même, près d'Auxerre, pour faire accuser Emile Louis...
Ce pull qu'on croyait disparu a récemment réapparu au greffe. Selon vous, peul-il révéler son secret ?
A l'époque, on laissait tomber les indices qui ne pouvaient fournir d'empreintes digitales. Aussi, durant 32 ans, a-t-il été conservé sans précaution : exposé à l'air libre, manipulé par les gendarmes, enfilé par Ranucci... Aujourd'hui, on risquerait de trouver une salade d'ADN. Par ailleurs, pour la police, le dossier est clos. La justice française répugne à se remettre en cause. Valéry Giscard d'Estaing a une influence certaine. Il ne pourrait accepter une procédure visant à reconnaître innocent un homme guillotiné sous son mandat.Jusqu'à ce jour, aucun condamné à mort n'a été réhabilité. Pas même Lesurques, dont on connaît l'innocence dans l'affaire du Courrier de Lyon.
En médiatisant l'affaire Ranucci aviez-vous conscience de déclencher une machine de guerre contre ta peine de mort?
Pas immédiatement. Mais, après la parution du livre qui dénonçait une enquête bâclée, la justice ne pouvait plus se concevoir avec un j majuscule. On admettait qu'elle pouvait commettre des erreurs. Sauf que celle-ci a abouti à la
décapitation d'un homme. C'est l'erreur judiciaire qui est l'argument majeur contre la peine de mort. Si Ranucci avait été condamné à perpétuité, sa libération aujourd'hui n'aurait fait aucun doute. Rappelez-vous Patrick Dils : une troisième cour d'assises l'a acquitté après avoir eu la preuve que Francis Heaulme rôdait dans les parages le jour du meurtre des enfants.
Avez-vous eu des nouvelles récentes de. protagonistes de l'affaire ?
La mère de Christian est très mal psychiquement. Le père de Marie-Dolorès me voue une véritable haine, comme si je lui volais l'assassin de sa fille. Jean, qui avait assisté à l'enlèvement de sa sueur, est incarcéré depuis l'année dernière pour le meurtre de sa patronne. Ils sont tous détruits !
Et vous, regrettez-vous d'avoir croisé un jour l'ombre de Christian Ranucci?
Parfois, car cette affaire s'est emparée de moi. Cette nuit, je me suis réveillé à 4 heures et j'ai revécu par la pensée son exécution. je vis ainsi depuis 28 ans avec ce garçon. Au début, il était un jeune frère, puis comme un fils. Aujourd'hui, il aurait l'âge d'être mon petit-fils.
Propos recueillis par Catherine George-Hoyau
Pleine Vie Octobre 2006
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