Citation :
"Pour ma part, je pense qu'il faut considérer l'effet de la prison. Cela fait deux ans qu'il est à l'isolement. Il ne voit que sa mère, ses avocats et les gardiens."
Bonjour Gihel, et merci pour votre réponse, mais je crois que vous ne répondez qu'à une partie secondaire de mon intervention. Mon étonnement, mon interrogation et donc la question que je pose porte bien plus sur le rôle des avocats, l'organisation de la défense, que sur l'attitude de Christian Ranucci. Il me semble que sur l'attitude de Ranucci, Gilles Perrault apporte de nombreux éléments d'appréciation qui sont tout à fait convaincants. En revanche, on a l'impression que la stratégie de défense commune se limite à savoir si l'on plaidera coupable ou innocent. Il est plusieurs fois répété dans le pull over rouge que Ranucci est resté comme étranger à son procès. Ce qui m'étonne, c'est qu'on n'a pas l'impression que les avocats aient réussi à intégrer Ranucci dans une stratégie de défense commune. Lorsque Ranucci délire et s'imagine qu'il va sortir libre de son procès, je m'étonne que les avocats ne lui rappellent pas qu'il encourt la peine capitale. Il me semble que les avocats auraient dû préparer Ranucci à faire face à ses accusateurs mais j'ai l'impression qu'ils ne l'ont pas fait ou pas suffisament.
De la défense de Ranucci je retire une impression d'impréparation et le sentiment d'une défense en ordre dispersé quand la situation exigeait plutôt d'avancer en ordre groupé. Mais, comme je ne saurais me contenter d'impressions, qui pourraient s'avérer totalement fausses, je posais la question de l'organisation de la défense.
Vous, Gihel (ou d'autres), qui connaissez bien le dossier, avez vous lu quelque information venant des avocats qui donne à connaître une stratégie de défense commune en y intégrant Ranucci?
a+
Ils étaient dispersé puisque Fraticelli recommandait de plaider la culpabilité et les circonstances atténuantes, tandis que Lombard optait pour l'innocence. Ce que dit Perrault de l'épisode des pièces balancées par l'avocat général après les plaidoiries est sidérant, n'importe quel avocat pète la figure à l'avocat général, là ils ne font rien, ils se disent : on tient la cassation, on va pouvoir recommencer dans de meilleures circonstances. Malheureusement la cour de cassation doit savoir que cette affaire est pourrie au dernier degré, donc ordre est reçu de ne pas casser par tous les moyens, même en s'asseyant sur le droit.
C'est vrai qu'ils ne sont pas prêts : ils n'ont pas vraiment enquêté eux-mêmes (différence avec le système anglo-saxon), ils n'ont pas les journaux du 4 et du 5 qui évoquent les témoins que les policiers, puis les juges ont escamoté, etc. etc. Tout repose sur Mme Mattéi et M. Martel et M. X, or le problème c'est qu'ils ne peuvent interroger les témoins qu'ils font citer qu'avec l'agrément du président. Le président va refuser. Le président, il a des ordres : le faire condamner à mort pour qu'on ne sache pas les entourloupes du dossier.
A mon avis Lombard mesure le rapport de force qui est absolument en sa défaveur : la presse, elle ne connaît rien à ce dossier ou si peu, elle suit. Il a essayé de la faire plier en recevant les journalistes à dîner, tous lui ont dit : plaidez la culpabilité, il est cuit. Les autorités policières et judiciaires, il sait très bien qu'elles ont refusé d'ouvrir ce dossier, et que le président des assises est complice de tout cela. Il lui reste quoi ? Quelques éléments qu'il a soulevé : les contradictions des Aubert, au point que Pottecher s'écrie : "mais c'est pas possible des témoins comme cela." La seule chose que Lombard ne peut pas dire c'est celle-ci : les Aubert sont subornés par les policiers.
Il sait bien que la découverte du couteau échappe à toutes les règles que Gérard B. brandit en d'autres occasions : quand un criminel évoque une arme cachée, on l'amène sur les lieux pour qu'il indique lui-même l'endroit, donc il sait bien qu'il y a derrière un trucage. Mais lequel ? Il sait bien que toute l'institution est mouillée. Mais un avocat n'attaque jamais les institutions de front. Il existe à ce niveau une solidarité.
Donc, ils ne sont pas prêts, ils n'ont pas enquêté comme il fallait, des pièces fondamentales leur échappent et en plus, parmi eux, un type leur dit : prenez la stratégie du parquet : coupable, et essayez les circonstances atténuantes (que de toute façon on ne vous accordera pas puisque l'affaire fait trop de bruit).
Lombard savait qu'il avait perdu avant même d'entrer dans l'enceinte du palais.
Maintenant, Ranucci aurait eu comme avocat Pollak, là c'eut été différent, ou Maître Floriot, ils auraient enquêté, ils auraient pesté, ils auraient argumenté dans le détail. Mais ce n'était pas l'esprit de Lombard, Lombard c'est le panache, le coup d'estoc, l'arme de la procédure (et il choisit d'affronter la cour de cassation par le biais d'une attaque extrêmement dure : l'inscription en faux), or dans cette affaire, il fallait la lourde charrue de Floriot : oui mais Monsieur le Président, vous comprenez, il n'y a qu'un malheur, c'est que la petite fille, nous dit le médecin légiste est couverte de griffures aux jambes. Alors donc elle ne pouvait pas descendre de la voiture, elle avait couru ou bien on l'a transporté en la tirant dans les ronces. Alors M. le président, nous devons en conclure que la voiture ne pouvait pas se trouver à cet endroit que nous dit l'accusation.
M. Le président , mon client nous dit aujourd'hui qu'il s'est endormi au volant après l'accident, c'est donc qu'il n'est pas sorti de la voiture, or s'il était sorti de la voiture il se serait aperçu que la portière était bloquée; mais dans les aveux il ne dit rien de cela, donc il faut considérer qu'il n'est pas sorti et qu'il ne dit pas la vérité lorsqu'il raconte au milieu de la nuit qu'il a soulevé une barrière. Donc les paroles de mon client en garde-à-vue ne sont pas recevables du tout Messieurs les jurés, et ainsi les aveux ne racontent pas la vérité.
M. Ranucci m'a dit par ailleurs qu'il avait traîné dans les bars de la place de l'opéra, je suis allé moi-même dans les bars qu'il m'a indiqué et un serveur se souvenait de lui. etc. etc. pendant 4 heures.
Mais Floriot était unique, et les institutions, il n'en avait pas peur, il se situait toujours sur le terrain pratique.