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LA COUR D’ASSISES : UNE FOIRE AUX MONSTRES
Les débats sur le maintien ou la suppression de la juridiction populaire, outre qu’ils s’enlisent pour la plupart dans une sempiternelle redite, ratent vraisemblablement l’essentiel. Car ce qu’il y aurait lieu de poser avant tout comme question, c’est la raison pour laquelle, malgré ses considérables inconvénients, cette procédure continue d’avoir la cote auprès de juristes pourtant distingués qui tiennent en général le grand public dans une totale déconsidération en matière de jugement. Autrement dit, il est intrigant de voir nombre de professionnels du droit prendre la défense du tout-venant afin qu’il conserve ses prérogatives dans le cadre de la procédure criminelle en même temps qu’ils font preuve de la plus grande méfiance, pour ne pas dire souvent le mépris le plus vif, à l’égard du commun lorsque celui-ci prétend dire son mot en matière de justice. Tout se passe donc comme si le monde judiciaire (au sens large) se rendait compte de la vitalité de l’enjeu consistant à maintenir, envers et contre tout, ce lien ténu entre justice et public, au risque, en le rompant, de perdre brusquement une bonne part de la légitimité qu’elle conservait encore. Dans cette hypothèse, que je me propose d’étayer, l’institution du jury servirait d’alibi à la justice pénale en lui permettant de garder aux yeux du public un crédit suffisant pour se maintenir en place dans un statu quo quasi intégral.
Répétons-le encore une fois pour éviter toute méprise sur le sens du propos : les vives réticences, voire la franche résistance d’une proportion important de juristes à l’égard d’une modification radicale de la cour d’assises trouvent selon moi leur source dans une motivation (peut-être inconsciente) voyant dans le jury un renfort inespéré pour que la justice continue d’être auréolée d’un nombre de vertus suffisant à se survivre. Mon raisonnement à l’appui de cette thèse s’articule sur deux constats, à mes yeux hors de doute. Primo, la procédure criminelle, quoi qu’on en dise, est bien en deçà des garanties d’une bonne justice qu’en théorie tout au moins offre la procédure correctionnelle. Secundo, ne sont examinées en fait par la cour d’assises que des affaires d’un certain type, propres à lui faire jouer le rôle publicitaire qu’on attend d’elle. Pour faire bref, on pourrait d’ailleurs dire que le passage du tribunal correctionnel à la cour d’assises est celui du procès public au procès publicitaire. Ou, dans un registre plus imagé, celui de la scène théâtrale à la piste du cirque.
Je maintiens qu’en tant qu’accusé, je récuserais à la cour d’assises le droit de me juger, et donc celui de me condamner s’il échet, sans indiquer les motifs ayant présidé à sa décision et sans que, par conséquent, je sois mis en mesure de les critiquer, voire les contredire. Il s’agit d’un des droits les plus fondamentaux dont jouisse un prévenu en règle générale. N’est-il pas dès lors surprenant (ou, comme on le verra, significatif) que les accusés en soient privés et qu’ils doivent leur condamnation, le cas échéant, non pas à l’effet de preuves rapportées contre eux, donc de faits raisonnablement établis, mais à celui d’opinions émises à leur sujet, donc d’intuitions sentimentalement nourries ?
Or, pour que la fiction de la représentation soit complète (selon laquelle ce n’est pas le jury qui juge, mais, à travers lui, « le peuple souverain »), non seulement la décision des jurés sera-t-elle exempte de tout motif, mais encore sera-t-elle sans appel. A nouveau, on ne manquera pas de manifester son ahurissement à propos du recul que représente l’absence de double degré de juridiction, garantie reconnue par tous les juristes comme essentielle lorsqu’il s’agit d’affaires correctionnelles ou de simple police. Mais le paradoxe en vertu duquel celui qui est accusé d’assassinat ne jouit pas de droits équivalents à celui qui dépasse une ligne blanche continue n’est qu’apparent. En effet, cet état de choses découle inévitablement du recours à de simples citoyens (lesquels, en bonne logique « fictionnelle » s’équivalent tous). Par conséquent, instituer un droit d’appel contre la décision du jury équivaudrait à ruiner le mythe. Un juge peut s’être trompé : comment admettre que le peuple lui-même, personnifié par ses représentants, ait versé dans l’erreur ?
Comme on est donc bien tenu de l’admettre, c’est le fait d’adjoindre des juges amateurs au processus de décision qui entraîne la mise au rancart de certains des droits de défense parmi les plus essentiels. Toutes les justifications de pareil état de choses se heurteraient tôt ou tard à cette objection : comment admettre que plusieurs des principaux acquis en matière de justice pénale soient d’application générale, en vertu précisément de leur caractère incontournable, à l’exception des crimes de sang pourtant susceptibles d’entraîner l’infliction des peines les plus lourdes ?
Or, poser cette question, c’est d’une certaine manière y répondre. Et je consacrerai la suite de mon propos à l’approfondissement de cette réponse.
Pour le dire brièvement, la cour d’assises se révèle être pour notre système de justice pénale (incarnée par des juristes ayant en commun l’amour du droit – et l’horreur du fait) un sacrifice nécessaire. C’est la part qu’il faut bien allouer au public si l’on attend qu’il accrédite tout ce qui, par ailleurs, se fait en son nom sans qu’il y soit associé. En termes plus péjoratifs : c’est le hochet qui tient l’enfant sage.
Qu’est-ce qui autorise à pose une affirmation aussi scandaleuse ? Quand on y regarde de plus près, on ne peut pas manquer d’admettre que la focalisation du public sur les seuls crimes de sang (induite par le battage fait autour des procès d’assises comme par les règles mêmes qui en régissent le fonctionnement et en accroissent le caractère spectaculaire) a quelque chose de surfait. Je veux dire que l’importance y accordée est hors de proportion avec ce qu’ils mériteraient et permet probablement de détourner l’attention de l’opinion publique de ce qui en justifierait davantage de sa part.
En ce qui concerne la procédure tout d’abord, il serait commode de faire la démonstration que les règles spécifiques à la procédure d’assises contribuent à « soigner le spectacle ». Tous les ingrédients propres à augmenter la tension dramatique y sont utilisés (jusqu’au fait qu’à Bruxelles, tous les rideaux de la salle sont invariablement tirés, comme si l’incursion de la lumière du jour, distrayant du débat, risquait d’ôter à la scène un peu de sa densité). Tous les artifices décoratifs participent également de la même vocation de la cour à faire culminer un état de tension dont l’arrêt sera seul à pouvoir subitement apporter délivrance sur le mode christique du « tout est accompli ».
Pour des raisons qui touchent également à l’intervention de juges profanes, la procédure criminelle tient donc, par la force des choses, du procès-spectacle. Le long défilé, parfois interminable, des témoins amenés à « mimer leur propre rôle dans les faits (comme l’audition des policiers, experts et autres intervenants à l’instruction contraints de rejouer « en temps réel » chacun des rebondissements de l’instruction) s’il trouve sa raison d’être dans la nécessité, pour le jury, de se faire une conviction sur base de ce qu’il aura vu et entendu, a surtout pour effet premier de « mettre des images sur des mots » et de rendre l’opération de juger beaucoup moins désincarnée et donc bien davantage sensationnelle. Outre que les procès d’assises bénéficient donc d’une première médiatisation par l’irruption des citoyens sur la scène du jugement, ces procès auront aussi, en règle générale, les faveurs de la grande presse puisque la façon même dont ils se déroulent est propice à ménager de multiples « effets » (qui ne sont pas « de manche ») dont le procès traditionnel est dépourvu.
Quant à ce qu’on y juge, ainsi que le titre du présent article le laissait suggérer, il est question ici, au-delà du problème de la culpabilité, d’affaires qui émotionnent le public, le remplissent d’effroi ou de scandale et sont, évidemment chargées d’un énorme poids symbolique. Plus symbolique, cependant, que réel, lorsqu’on analyse froidement la situation : les crimes de sang sont commis en nombre à peu près constant depuis des décennies. Ils sont élucidés dans une très grande proportion de cas et leurs auteurs découverts. Le plus souvent, il s’agit d’actes mus par des ressorts primitifs (colère, vengeance, panique, etc) et commis par des personnalités assez frustes, voire « borderline ». Enfin, dans une très grande majorité de cas, il s’agit d’actions commises dans un contexte déterminé non susceptible de récidive, par un individu ayant instinctivement réagi sur-le-champ par le plus mauvais choix.
Ce qui précède n’a rien à voir avec une « criminologie de bazar » mais, sous réserve des nuances que le lecteur averti ne manquera pas d’y apporter, doit convaincre de la mise sur pied de la procédure d’assises, avec tous les désavantages qui lui sont corrélatifs et dont j’ai rappelé quelques-uns, ne se justifie ni par la complexité d’une affaire, ni par le fait que l’accusé, en vertu de son idiosyncrasie, mériterait un « traitement à part ». Quasiment tous les meurtriers que j’ai rencontrés depuis ma prestation de serment étaient, en un mot, des « misérables », soit des gens très ordinaires auxquels la vie courante n’avait guère octroyé d’avantages, en particulier sur le plan de l’intelligence, et pris dans un engrenage dont ils n’ont pas été capables de sortir en faisant bon usage de leur liberté à un moment déterminé. Je ne vois pas là ce qui légitime une procédure d’exception à leur sujet.
Isoler un type d’infraction déterminé parce qu’il est de nature à frapper les imaginations et lui réserver un sort exceptionnel par le biais d’une sorte de procédure « cinq étoiles » pour que l’issue du procès imprègne durablement les mémoires, qu’est-ce en effet sinon le bon usage du crime à des fins édifiantes ? Tenir en haleine un jury, le public des audiences et, par l’entremise de la presse, l’ensemble de l’opinion pendant des jours entiers, avec un luxe de détails plus ou moins scabreux, plus ou moins macabres, et dans une véritable débauche de rites (quand on les compare à la misère correctionnelle) se révélerait in fine n’être qu’une tromperie tendant tout à la fois à rassurer les honnêtes gens par le caractère exemplaire de la peine, conforter leur foi dans les vertus de la justice grâce à la contribution d’une douzaine de particuliers dont ils eussent pu faire partie et renforcer leur conviction que rien ne vient plus durablement que l’instinct sanguinaire troubler la paix sociale et l’ordre public : où la répression de la violence individuelle permet donc de faire l’économie d’une réflexion sur toutes les formes de violence sociale qui en sont la racine.
On a déjà souvent répété que la cour d’assises était la vitrine de notre justice. L’expression me paraît parfaitement adéquate si l’on veut bien conserver intacte sa charge cynique, la vitrine ayant souvent l’attrait du leurre pour des passants avides de rêve. _________________ My soul is painted like the wings of butterflies
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