Que faire des récidivistes ?
Un violeur multirécidiviste bientôt libre
Une trentaine de détenus considérés comme « dangereux » vont bientôt sortir de prison. Un criminel sexuel, condamné à trois reprises dont deux fois dans les Ardennes, s’apprête à retrouver la liberté par le jeu des remises de peine. Que faire de ces détenus en passe de ne plus l’être ?
LE 7 décembre, le Rémois Thierry Vaucher, 38 ans, sera en liberté. La cour d'assises des Ardennes l'avait condamné à quinze ans de réclusion dont huit ans de sûreté en 1999. Avec le jeu des remises de peine, ce détenu modèle aura payé sa dette à la société dans un mois. Sauf que la société n'est pas rassurée et que ses victimes apprendront par la presse, et non par la justice, qu'elles sont susceptibles de croiser à nouveau leur agresseur.
Le parcours judiciaire de Thierry Vaucher est édifiant. Le 19 mai 1992, il est condamné une première fois pour viol à cinq ans de prison dont deux avec sursis. Il a 22 ans. A peine sorti de détention, ce colosse plutôt beau gosse ne peut contrôler ses pulsions. La cour d'assises des Ardennes, le 27 novembre 1995, prononce contre lui une peine de cinq ans d'emprisonnement.
Libéré deux ans plus tard, il prend rendez-vous avec une psychologue dans les Ardennes.
Le matin du 6 mars 1998, il se jette sur sa victime, menace de l'étrangler avant d'abuser d'elle. Il se retrouve ainsi pour la troisième fois devant une cour d'assises qui le sactionne, une fois de plus.
Que faire d'un criminel sexuel récidiviste lâché dans la nature ? La question se pose pour environ 200 détenus. Des cas embarrassants à la fois pour la médecine et pour la justice.
Selon nos informations, Thierry Vaucher fait partie de 32 « criminels particulièrement dangereux », liste établie par la Chancellerie en raison de l'imminence de leur libération. Trente et un hommes et une femme incontrôlables auxquels le gouvernement a tenté d'imposer la rétention de sûreté. Autrement dit un contrôle judiciaire perpétuel, même une fois la peine purgée.
Au début de l'année, le Conseil constitutionnel a validé la création de centres socio-médico-judiciaires pour les criminels dangereux condamnés à au moins 15 ans de prison. Chaque année, un collège d'experts devra se prononcer sur l'opportunité de les libérer ou non à l'issue de leur peine.
La mesure, prise dans le sillage de faits divers retentissants, bouleverse la philosophie de notre justice. Malgré tout le poids du président de la République, les Sages ont censuré les parlementaires en refusant une application rétroactive de la loi. Résultat : Vaucher et tous les criminels condamnés avant la promulgation de la loi Dati échappent aux mesures censées les contrôler, après leur élargissement. Concrètement, la rétention de sûreté, qui a fait tant de bruit, devra attendre. Il faudra quinze ans, soit 2023, pour que les détenus classés dans la catégorie dangereux soit davantage encadrés voire condamnés à l'enfermement perpétuel.
Aujourd'hui, rien n'oblige Thierry Vaucher à suivre une thérapie. La loi qui permet d'instaurer une surveillance pendant cinq ans des délinquants et criminels sexuels à leur sortie de prison était trop récente pour lui être appliquée lors du procès de Charleville-Mézières.
Sa seule contrainte sera de pointer régulièrement au commissariat ou à la gendarmerie de son lieu de résidence. « Il avait juré qu'il suivrait une thérapie après ses deux premières condamnations. Il nous a trahis », aouait un magistrat lors du dernier procès de Vaucher.
Son frère, meurtrier à Reims de la petite Sandrine
Thierry Vaucher doit incessamment recouvrer la liberté. Son frère aîné, Didier, aussi. Le 23 septembre 88, à 21 ans, il a étranglé la petite Sandrine Avrillon, 6 ans, qui habitait le même immeuble que lui dans le quartier Croix-Rouge à Reims. La cour d'assises de la Marne l'a reconnu coupable en 1992 et l'a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de 25 ans. En 2013, Didier Vaucher pourra bénéficier d'une libération conditionnelle.
Les deux frères sont restés très liés. Ils correspondent depuis leur lieu de détention respectif.
Didier Vaucher, décrit par les experts comme « un dangereux pervers immature », est le frère aîné auquel s'est identifié Thierry. Comme lui, il fait profil bas à son procès. Comme lui, il a choisi, à une époque, l'armée pour compenser une virilité défaillante. Comme lui, il a dans la tête des images de strangulation. Comme lui, il ne souffre d'aucune maladie mentale, selon les experts. Thierry et Didier Vaucher sont des hommes ordinaires, dotés d'une intelligence située dans la moyenne.
Ils sont décrits comme de « dangereux pervers immatures ». Des hommes qui assouvissaient, grâce au minitel rose, aux films pornographiques et aux des poupées gonflables, des fantasmes à bon compte, des parts de rêve bon marché.
Lors de son dernier procès, Thierry Vaucher avait réclamé une castration chimique : « Chez moi,, il y a deux personnalités », avait-il avoué. Mais les experts mettent en doute sa réelle volonté de se soigner. Il n'est pas simple, pour un pervers, de renoncer au plaisir.
DEBAT
Des soins insuffisants en détention
Michel Fourniret, Jean-Paul Leconte, Jean-Luc Blanche… notre région a payé un effroyable tribut aux meurtriers et violeurs en série.
Quelles solutions existe-t-il aujourd'hui pour le suivi des criminels sexuels en fin de peine ? Le docteur Roland Coutanceau, l'un des meilleurs spécialistes des délinquants sexuels, insiste sur l'importance de la prise en charge en prison : « Des techniques de groupe se mettent en place, notamment à la prison de Caen. L'androcure (la camisole chimique) est un autre outil efficace, à condition que le patient soit demandeur. Le bracelet électronique permet également une surveillance, une fois la personne libérée. Cela me paraît néanmoins moins dissuasif que l'accompagnement social où l'on se rend au domicile pour rappeler au détenu en libération conditionnelle qu'il est surveillé. »
Les associations de victimes militent depuis toujours pour un meilleur contrôle des criminels sexuels remis en liberté. Elles ne sont pas étrangères à la loi sur la rétention de sûreté.
« Si cette loi avait existé, on aurait évité au moins huit victimes de Fourniret », rappelle Dahina Le Guennan, présidente de l'association Vies (Victimes en série), elle-même agressée par Fourniret. Jean-Pierre Escarfail, président de l'Apacs, père d'une jeune fille assassinée par Guy Georges, refuse de parler de « perpétuité déguisée ». « Il s'agit de soigner des gens. Et cela peut évidemment durer longtemps. »
Les associations se battent avec virulence contre des réductions de peines automatiques alors que certains bénéficiaires n'ont aucune volonté de se soigner ou de s'amender. Et puisque la rétention de sûreté ne sera pas effective avant plusieurs années, les associations se raccrochent à l'amélioration de la prise charges des criminels en milieu carcéral. Une obligation rappelée avec fermeté par le Conseil Constitutionnel.
.«Il faudra des moyens considérables », tempère Thierry Cordelette, représentant régional UFAP, le principal syndicat des surveillants de prison : « Cette loi est une immense hypocrisie. C'est un désaveu des magistrats et des psychiatres qui accordent des libérations conditionnelles à des détenus dangereux. Que les condamnés effectuent déjà leur peine jusqu'au bout. Ensuite, comment expliquer à une personne libérée que vous la retenez alors que sa condamnation a été levée ? Ce sera ingérable pour les surveillants. »
Autre polémique : l'évaluation de la dangerosité. Jean-Philippe Vicentini, procureur de la République à Cambrai, maître de conférence à l'Université de Reims s'en étonne : « Depuis toujours des médecins statuent sur la dangerosité en permettant aux préfets d'autoriser des internements d'office. Pourquoi ces mêmes médecins ne seraient-ils pas capables d'évaluer les criminels sexuels ? »
L'AVIS D'UN DEPUTE
Nicolas Dhuicq : « Une loi juste » L'avis d'un député
Député UMP de l'Aube et psychiatre des hôpitaux, Nicolas Dhuicq a milité pour la rétention de sûreté malgré la controverse provoquée à gauche comme à droite.
Selon l'élu, cette loi est « juste », même s'il regrette que le Conseil constitutionnel ait repoussé son application en 2023.
« La loi est là pour protéger les plus faibles. Or, une vingtaine d'individus chaque année sont de grands prédateurs. Ils ne sont ni fous, ni malades, ni délirants. Ils ne peuvent donc pas être soignés et l'organisation de leur personnalité les rend dangereux dès qu'ils sont en liberté. Je le répète, il ne s'agit pas de juger les fous mais de protéger la société contre des multirécidivistes responsables de leurs actes.
Le Conseil constitutionnel a fait son travail. Il nous complique la tâche mais la loi, même si elle ne s'applique que dans 15 ans pour les premiers cas, a le mérite d'exister. Le premier centre socio-médico-judiciaire pour le suivi de ces détenus doit ouvrir à Fresnes d'ici deux ou trois ans. » Par crainte de se tromper ou par confort, les psychiatres ne seront-ils pas tentés de s'opposer à toute libération ? « La culture psychiatrique française n'est pas de laisser par confort les détenus en prison », rétorque Nicolas Dhuicq qui admet, en revanche, un manque de « psychiatres d'expérience » capables d'évaluer la dangerosité d'un détenu.
Contre les principes de notre justice
La rétention de sûreté cristallise les critiques chez les ténors du barreau. Florilèges.
Pour Jean-Denis Bredin, la rétention est un reniement de notre démocratie : « C'est une loi sinistre. Un être humain, tenu pour dangereux, restera « retenu » sans infraction, sans jugement, sans peine prononcée, parce qu'il est « dangereux », auteur virtuel d'infractions éventuelles. C'est un droit nouveau, inspiré par la passion, par la peur. Peut-on demander à des juges de placer en rétention des êtres humains auxquels aucun crime n'est imputé, de peur qu'un jour, peut-être, ils en commettent un ?
Me Thierry Lévy : « Cette loi sape les bases de notre système pénal qui repose sur la notion de responsabilité de ses actes, de faute et de réhabilitation. Or, cette mesure est applicable en dehors de toute faute. Il est quasiment impossible de déterminer la dangerosité. Gateau, le meurtrier de Nelly Cremel, qui a poussé Sarkozy à imaginer cette loi, n'est pas dangereux selon les experts. »
Me Robert Badinter : « Que devient la présomption d'innocence quand on est le présumé coupable potentiel d'un crime virtuel ? Il faut utiliser le temps de l'emprisonnement aux traitement des criminels. Ile ne faut pas que la prison soit un temps mort. Mais cela demande un investissement important. »
L'AVIS D'UN AVOCAT
Me Chemla : « On pouvait se passer de cette loi »
Vous avez défendu de grands criminels. Et en même temps vous militez dans l'association Victimes en série (Vies) pour l'amélioration des droits des victimes. Que pensez-vous de la rétention de sûreté ?
GERARD CHEMLA : « La réponse commune pour neutraliser les grands criminels est l'exclusion sociale. Dans la réponse pénale, il y a la composante sanction et la composante réinsertion. Il faut évidemment que les conditions de détention répondent à un environnement social, éducatif, médical normal pour que la personne ne sorte pas pire qu'elle n'est entrée.
Et puis, il y a quelques cas de détenus, qui ne sont ni malades, ni aliénés, qui sont définitivement dangereux, essentiellement de grands pervers. Ils ne souffrent pas, n'ont aucune maladie mentale et n'ont pas d'autres envies que de réitérer les actes. Pour eux, la sortie est très compliquée à envisager. Les associations de victimes attendent évidemment une réponse de la société. »
La rétention de sûreté est-elle la solution ?
« Infliger une peine après la peine est contraire à nos principes. Qu'on applique déjà les peines prononcées tout en assurant une vraie préparation de la sortie de prison. Cela aurait évité une nouvelle loi
Aujourd'hui, les peines sont de plus en plus longues et les détenus de moins en moins suivis. Or, pour certains, l'accompagnement doit se poursuivre au-delà de la peine.
Qu'on développe les bracelets électroniques, qu'on tranche une bonne fois pour toutes l'efficacité ou non de la camisole chimique. »»
Est-on capable aujourd'hui d'évaluer la dangerosité d'un homme ?
Il y a un manque évident de compétences en la matière. Il n'y a aucune étude sérieuse sur la dangerosité et ses critères, aucune base de données. Sur quels fondements décider qu'untel relève du centre socio-médico-judiciaire qui ne sera ni une prison, ni un hôpital… ? Les mesures prises au-delà de la peine de prison sont par nature dangereuses. Cela fait penser au goulag. »
« Il n'y a aucune étude sérieuse sur la dangerosité
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