Qui protège le docteur Dieter Krombach ? - Pourquoi un médecin allemand reconnu coupable du meurtre d'une jeune Française échappe-t-il depuis douze ans à la justice ? Un très haut magistrat a été entendu dans cette affaire.
La démarche aurait pu paraître abracadabrantesque. Mais, lorsque André Bamberski, un retraité de 70 ans, porte plainte en août 2002, à Versailles, pour «corruption des autorités judiciaires françaises et menaces ou actes d'intimidation sur ces mêmes autorités» ainsi que pour «entrave aux recherches et à l'arrestation de l'auteur d'un crime», il a la certitude de ne pas se tromper. Et ses arguments sont pris suffisamment au sérieux pour que la plainte soit déclarée recevable. C'est dans ce cadre que l'actuel procureur général de Paris, Laurent Le Mesle, l'un des plus hauts magistrats du pays, a été entendu comme témoin, le 30 octobre.
Selon André Bamberski, des magistrats français ont participé à la «protection» d'un médecin allemand, Dieter Krombach, condamné à quinze ans de réclusion criminelle par la cour d'assises de Paris, en mars 1995, pour le meurtre en Allemagne d'une adolescente française. La victime, Kalinka, avait 14 ans. C'était la fille d'André Bamberski. Lors du procès, l'accusé était en Allemagne. L'enquête locale sur la mort de Kalinka ayant abouti à un non-lieu, il coulait des jours tranquilles dans une bourgade proche de la frontière autrichienne.
Après le verdict français, André Bamberski décide de se lancer sur ses traces. Il sait qu'en Allemagne le médecin ne risque ni l'arrestation ni l'extradition. En revanche, s'il met un pied à l'étranger, il peut tomber sous le coup d'un mandat d'arrêt international, lié à sa condamnation en France. Or, le 7 janvier 2000, Krombach s'aventure en Autriche. Interpellé, il est libéré, le 2 février, sans qu'une procédure d'extradition vers la France ait été envisagée. Du 26 décembre 2002 au 2 janvier 2003, nouvel épisode très troublant: il passe des vacances en Egypte. Les autorités françaises en sont avisées, mais ne réagissent pas. En 2006, le ministère de l'Intérieur plaide auprès d'André Bamberski «une mauvaise appréciation de l'information».
Entre-temps, ce dernier a découvert l'existence d'une note de Laurent Le Mesle en date du 30 mars 1995, soit aussitôt après le verdict parisien. Alors sous-directeur de la justice criminelle à la chancellerie, le magistrat écrit au procureur général de Paris: «Je vous serais très obligé de ne pas procéder à l'exécution de cet arrêt sans m'en avoir au préalable rendu compte.»
Une bienveillance étrange... et constante - Le père de Kalinka n'a aucun doute: pour lui, le ministère de la Justice fait barrage contre une arrestation du médecin allemand. Ce sentiment est encore conforté quand il trouve trace d'interventions répétées d'un diplomate de l'ambassade d'Allemagne à Paris auprès de la chancellerie et du parquet général.
Lors de son audition du 30 octobre, Laurent Le Mesle a contesté cette interprétation. «La volonté était d'informer les autorités allemandes avant que la diffusion de l'ordonnance de prise de corps n'intervienne», a-t-il déclaré. Et d'ajouter: «Il y avait un mécontentement des autorités allemandes par rapport à la condamnation de Krombach.» Celles-ci estiment en effet que Krombach, mis hors de cause dans l'enquête allemande, ne peut être poursuivi en France pour les mêmes faits.
Outre-Rhin, la justice montre une bienveillance constante à l'égard du médecin. En 1997, il endort une patiente de 16 ans et la viole. Sa condamnation? Deux ans de prison avec sursis et deux ans d'interdiction d'exercice de la médecine. En juillet 2007, il est jugé pour 29 escroqueries. La sanction? Vingt-huit mois de prison. André Bamberski se demande encore pourquoi cet homme est protégé. - Pascal Ceaux , L'Express - 02.01.2008
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