Les meurtres oubliés de la RN20
La liste des crimes de Michel Fourniret va-t-elle s'étendre?
La police soupçonne "l'ogre des Ardennes" d'être l'auteur de quatre crimes non élucidés, ayant tous frappés de jeunes auto-stoppeuses retrouvées près de la Nationale 20, dans les environs d'Etampes. Une région où le tueur en série avait ses habitudes. Il avait même été interrogé à l'époque dans le cadre d'un des meurtres.
Michel Fourniret pourrait cacher d'autres secrets sordides.
Elles se prénommaient Michèle, Sylvie, Christine et Pascale. Domiciliées à Paris au début des années 1980, ces jeunes femmes ne se connaissaient pas. Pourtant, en l'espace de trois ans, une bande d'asphalte les a réunies. Sauvagement assassinées, elles ont toutes été retrouvées le long de la nationale 20, à quelques kilomètres les unes des autres, près d'Etampes (Essonne), au sud de la capitale. Des crimes en série qui n'ont jamais été élucidés.
Selon nos informations, l'Office central de répression des violences aux personnes (OCRVP) veut aujourd'hui savoir si cette serveuse, cette étudiante, cette gardienne d'immeuble et cette chômeuse n'ont pas croisé Michel Fourniret, jugé avec son épouse à partir du 27 mars à Charleville-Mézières (Ardennes) pour sept meurtres de femmes commis entre 1987 et 2001. Mis en examen mardi dernier pour l'assassinat et la disparition de deux autres femmes en 1988 et 1990 dans l'Yonne, le tueur en série présumé sera-t-il également poursuivi pour les crimes de la RN 20? "C'est une hypothèse très intéressante, reconnaît Gilles Leclair, sous-directeur à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Nous cherchons actuellement un biais juridique pour rouvrir ces vieux dossiers prescrits."
Pas de mobile, mais un certain art de la mise en scène
Après les aveux en 2004 de l'ancien ouvrier, les policiers remarquent qu'il a vécu dans les années 1970-1980 à Clairefontaine-en-Yvelines avec sa seconde épouse et ses trois enfants. Le 11 mars 1980, à 50 km de là, "l'étrangleur d'Etampes", "le tueur de blondes" ou "le sadique de la RN 20", selon les titres de la presse de l'époque, entre en scène.
Ce jour-là, le cadavre dénudé de Michèle Couturat, une Charentaise de 17 ans, est retrouvé pendu au bout d'une corde dans un château d'eau au bord de la RN 20, au lieu-dit Mondésir... Selon l'autopsie, cette prostituée occasionnelle à Paris n'a pas été violée, même si du sperme est retrouvé sur son corps. Trois jours avant, elle a été aperçue porte d'Orléans où elle fait souvent du stop pour descendre dans le Sud-Ouest. A l'époque, les policiers sont sidérés par ce crime sans mobile et cette mise en scène gratuite.
Le 25 décembre de la même année, Sylvie Le Helloco, une serveuse bretonne de 20 ans, est découverte nue sous une bâche près d'une aire de stationnement de la RN 20, à 3 km du château d'eau. Là encore, la jeune fille, qui faisait du stop la veille porte de Saint-Cloud pour rentrer en Bretagne, n'a pas subi de violences sexuelles. "Nous ne savons même pas si sa folie [de l'assassin] est d'ordre sexuel ou mystique", avoue alors dans le JDD le commissaire Eddy Kling, du service régional de police judiciaire (SRPJ) de Versailles, à court de pistes.
Fourniret déjà interrogé à l'époque
La série noire reprend le 14 juillet 1982 lorsque Christine Devauchelle, 26 ans, concierge rue Pascal à Paris, est repérée morte, recroquevillée en chien de fusil, à l'orée d'un bosquet d'arbres, près de l'aérodrome de Mondésir. Asphyxiée, la victime n'a pas été violée, elle non plus. "Les enquêteurs ne sont pas loin de croire que le tueur est animé par la haine des jeunes femmes blondes et par du sadisme", écrit alors France Soir. Selon son compagnon, Christine Devauchelle aurait disparu dans la soirée après être sortie boire un café. Les enquêteurs doutent pourtant du scénario approximatif fourni par cet homme réputé violent et alcoolique. Ils pensent tenir le coupable. Le suspect bénéficiera pourtant d'un non-lieu.
Un an plus tard, le dimanche 7 août 1983, une quatrième jeune femme nue est retrouvée dans un champ de Bruyères-le-Châtel, à 3 km de la RN 20, au nord d'Etampes. Pascale Lecam, une Bretonne de 21 ans, a été violée et tuée à coups de pierre et de tournevis. Logée chez sa soeur, avenue Ledru-Rollin, à Paris, où elle avait trouvé un job temporaire de secrétaire, cette étudiante avait, semble-t-il, un rendez-vous le samedi après-midi au pub Saint-Germain, en plein Quartier latin. Les serveurs disent l'avoir aperçue avec un inconnu. Mais en dépit d'une enquête minutieuse, la PJ ne le trouvera pas.
Quelques mois plus tard, elle va pourtant interroger un suspect très intéressant. Son nom: Michel Fourniret. Age: 42 ans. Domicile: maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. En effet, cet Ardennais, qui conçoit des machines pour les cordonniers, a été interpellé le 23 mars 1984 après avoir agressé sexuellement une automobiliste de 20 ans à Ormoy (Essonne), à une trentaine de kilomètres de Mondésir... Armé d'un vieux 6,35 mm et d'une fausse fiole de vitriol, il a fait croire à sa victime qu'il était un voleur en cavale. Il lui a alors demandé si elle était vierge et lui a ordonné de se déshabiller. Mais la jeune femme a pu s'enfuir et le faire arrêter par les gendarmes. Michel Fourniret leur a aussitôt avoué quatorze agressions similaires commises entre 1977 et 1984 dans l'Essonne, les Yvelines et l'Eure-et-Loir: étrange attitude, comme s'il voulait focaliser l'attention sur ces seules affaires. Lesquelles lui vaudront d'être condamné en 1987 à sept ans de prison, dont deux avec sursis.
Pas de preuve à l'époque
Selon nos informations, Michel Fourniret a été placé en garde à vue le 1er juin 1984 dans le cadre du meurtre de Michèle Couturat. Une Peugeot 504 a été aperçue près du château d'eau, ce qui est attesté par des empreintes de pneus. Le suspect, propriétaire d'un véhicule similaire, a admis travailler dans la région, fréquenter un garage d'Etampes et s'intéresser aux auto-stoppeuses. Ne disposant d'aucune preuve irréfutable, les enquêteurs l'ont ramené dans sa cellule après deux petites heures d'audition. Il est vrai qu'à l'époque il ne présente pas le profil d'un meurtrier: certaines jeunes femmes qu'il a agressées ont déclaré l'avoir fait détaler en repoussant ses assauts.
Vingt-cinq ans après, la connaissance du parcours criminel de l'Ardennais permet pourtant de s'interroger sur différents indices. Le profil des victimes de la RN 20 cadre avec celui des jeunes femmes tuées à partir de 1987. Décrit comme un psychopathe obnubilé par la domination, la manipulation et le plaisir de tuer, Michel Fourniret ne parvenait que rarement à violer ses "proies". Michèle Couturat est retrouvée près d'un transformateur, tout comme sa première victime connue, Isabelle Laville, dans l'Yonne en 1987. Et le noeud de la corde à laquelle elle est pendue est très sophistiqué - Fourniret est expert en la matière. Christine Devauchelle a reçu des coups de tournevis, Natacha Danais a, elle, été poignardée avec un outil de cordonnier en novembre 1990 en Loire-Atlantique. Enfin, la série criminelle de la RN 20 cesse en août 1983, huit mois avant son incarcération.
Désireuse de ressusciter certains "cold cases", la DCPJ voudrait aujourd'hui retrouver d'éventuels scellés judiciaires et peut-être des ADN suspects. "Cette affaire nous a durablement marqués et savoir l'assassin en liberté est insupportable", conclut Gilles Leclair, qui, en tant qu'ancien chef de la Crim' de Versailles, a enquêté sur les "meurtres de la RN 20". "Si, aujourd'hui, on pouvait offrir la vérité aux parents des victimes, cela pourrait peut-être un peu apaiser leur douleur."
Les zones d'ombre d'une équipée criminelle
Notre collaborateur Jean-Pierre Vergès, qui révèle ici la piste de quatre meurtres oubliés dont bien des indices montrent qu'ils pourraient être imputés à Michel Fourniret, publie mercredi un livre-enquête consacré à l'"ogre des Ardennes" et à son épouse. Il y retrace l'équipée meurtrière de ce couple singulier, lui froid prédateur, elle épouse soumise qui va le seconder dans sa "chasse" aux jeunes filles vierges, ses proies obsessionnelles. Il sonde la psychologie effrayante du tueur, monstre d'égocentrisme et manipulateur né, et explore les zones d'ombre de son parcours criminel. Une question revient avec insistance: comment le couple Fourniret a-t-il pu tuer en toute impunité pendant quinze ans? Il y a fallu bien des insuffisances judiciaires, couronnées d'un épisode jusqu'ici demeuré secret de la guerre entre police et gendarmerie.
Pierre-Laurent Mazars
SOURCE : LE JDD
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