Castelnau (34). Enquête.
La pharmacienne tuée par le jardinier sur ordre du mari?
Hérault. Jean-Michel Bissonnet est soupçonné d'avoir commandité le meurtre de son épouse.
Le mari de l'ancienne pharmacienne de Castelnau, près de Montpellier, a-t-il commandité le meurtre à coups de fusil de son épouse Bernadette ? Et quel est le mobile de cette affaire étonnante qui va faire l'objet aujourd'hui de multiples auditions dans les cabinets des deux juges d'instruction ?
Après sept mois d'enquête et d'investigations, le double mystère n'est toujours pas dissipé. Pour l'instant, le scénario judiciaire privilégie la responsabilité du mari, Jean Michel Bissonnet, homme d'affaires de 60 ans, qui aurait commandité le meurtre à son jardinier.
Mais lui crie toujours son innocence depuis sa cellule de la maison d'arrêt de Béziers, malgré les aveux de Méziane Belkacem : ce jardinier occasionnel persiste à déclarer que c'est bien « Monsieur Bissonnet » en personne, qui lui a promis 30 000 € en échange de ce geste criminel.
Confondu par les traces de sang et une portion de doigt arrachée par la décharge et abandonnée sur place, le jardinier n'a pas fait mystère de sa responsabilité dans le meurtre.
Amaury D'Harcourt, vicomte bourguignon, 83 ans, à la vie sociale riche en événements et mouvementée, a reconnu lui aussi sa participation à minima : il aurait récupéré le fusil à canons sciés qu'il serait allé jeter dans les eaux du Lez un peu plus loin. L'arme a été récupérée et expertisée. Lui aussi reconnaît en commanditaire potentiel Bissonnet, son ami de trente ans.
Amaury D'Harcourt a beaucoup varié dans ses différentes versions, mais les grandes lignes sont toujours restées les mêmes. Son grand âge et un cœur fatigué, notamment pendant la garde-à-vue en juin dernier, lui valent d'être placé sous contrôle judiciaire, donc en liberté, pour arriver dans un état physique satisfaisant lorsque viendront, à terme les débats judiciaires devant la cour d'assises de l'Hérault.
« Qu'ont-ils à cacher ? »
« Jean Michel Bissonnet, dans ce dossier, n'a jamais menti. Il n'a jamais été pris en défaut. Ce qui n'est pas de cas de D'Harcourt et de Belkacem. Pourquoi mentent-ils sur des éléments importants du déroulement de la soirée du meurtre. Qu'ont-ils encore à cacher ? », questionne Jean Marc Darrigade, le défenseur de Bissonnet, qui épluche sans relâche les différentes pièces pour pointer les microfissures que présente cette enquête, « menée à charge, exclusivement à charge », poursuit-il.
Lui-même et Me Cathala ont déjà dépensé beaucoup d'énergie, sans pour autant ébranler la conviction des enquêteurs de la section de recherche de la gendarmerie de Montpellier et des deux magistrats instructeurs co-saisis de ce dossier complexe. Pour éclairer définitivement les lanternes, un élément nouveau serait le bienvenu. Si possible avant la clôture du dossier d'instruction d'ici quelques semaines.
L'ADN du jardinier au centre des auditions
Dans les cabinets des deux magistrats instructeurs, les trois acteurs présumés de ce drame vont aujourd'hui, une nouvelle fois confronter leurs positions antagonistes et soutenir des scénarios à tiroirs très contradictoires.
Belkacem, le jardinier meurtrier, devra notamment expliquer pourquoi, on ne retrouve pas de sang après sa blessure au doigt ni de trace de poudre dans sa voiture alors qu'il maintient être reparti dans sa super 5 verte jusqu'à Avignon en roulant pendant quatre heures. En donnant comme toujours un luxe de détails.
S'il n'a pas pris sa voiture, alors qui le conduisait ? Il devra encore expliquer comment on retrouve son ADN sur les deux cartouches du fusil à canons sciés, l'arme du crime repêchée dans le Lez sur les indications d'Amaury D'Harcourt. Jusque-là, il avait soutenu que Bissonnet lui avait remis un fusil déjà chargé, prêt à l'utilisation et qu'il n'avait pas lui-même touché les munitions. D'Harcourt devra encore préciser quel aura été son rôle précis dans cette opération. En juin dernier, il expliquait qu'il s'était borné à récupérer l'arme sans échanger une parole avec le jardinier. En juillet, il avait fini par reconnaître qu'il avait donné des instructions de tir au futur meurtrier. Il n'est pas impossible que les deux juges aient convoqué des témoins collatéraux de cette opération incertaine mais néanmoins meurtrière. Pour confirmer définitivement le rôle de commanditaire de Jean Michel Bissonnet. Ou bien pour opérer une redistribution des rôles.
Source : La Depêche
En complément un article du journal MIDI LIBRE d'aujourd'hui portant sur la personalité des trois protagonistes
Affaire Bissonnet : trois personnalités hors normes
C'est peut-être la dernière fois qu'ils se retrouveront ensemble, avant un éventuel rendez-vous aux assises. Aujourd'hui, les juges d'instruction de Montpellier chargés d'élucider l'assassinat de Bernadette Bissonnet , tuée dans sa luxueuse villa de Castelnau-le-Lez le 11 mars dernier, organisent une nouvelle confrontation entre les trois protagonistes du dossier. Jean-Michel Bissonnet, son mari, qui nie avoir fomenté le crime, Meziane Belkacem, qui a avoué l'avoir commis, et Amaury d'Harcourt, qui dit avoir donné un coup de main. Trois hommes dont la personnalité est aujourd'hui cernée par la justice, les enquêtes menées par les experts venant d'être rendues. L'essentiel de cette instruction criminelle menée tambour battant est bientôt achevée. Au-delà des faits, voici le portrait de ces trois personnages, issus d'univers bien différents, au travers des éléments réunis par les enquêteurs de personnalité.
Jean-Michel Bissonnet, le mari
« C'est un homme probablement plus complexe qu'il n'y paraît, au-delà des apparences et des discours recueillis. » L'enquêteur l'avoue : Jean-Michel Bissonnet n'a pas une personnalité facile à cerner. Jusqu'à l'assassinat de son épouse, le parcours de cet homme de 61 ans, né à Oran où ses parents tenaient un magasin de sport, était pourtant une success- story.
Rentré d'Algérie en 1965, Jean-Michel Bissonnet décroche son bac en 1968, à sa deuxième tentative, redouble sa première année de médecine, avant de travailler en 1970 chez son ami Amaury d'Harcourt, alors employé au château de Chambord, où il élève des sangliers pour les chasses présidentielles.
Etonnante parenthèse racontée à l'enquêteur : « D'Harcourt connaissait beaucoup de monde, il m'emmenait partout. Pour participer à ces chasses où venaient des ministres, des personnalités comme le Président Giscard, il fallait payer 5000 F la journée. D'Harcourt connaissait le recruteur de Mme Claude. Il fallait tester les filles. Moi, j'étais le petit jeune, j'en ai connu quelques-unes. » En 1975, il devient visiteur médical, puis hérite de 500 000 F à la mort de ses parents, crée un premier centre d'affaires à Montpellier, avec 20 bureaux, puis 60. En 1986, il est à la tête de BuroClub, regroupant 28 entrepreneurs sur ce secteur, fonde en 1992 l'entreprise Memoris, stockant les archives de professionnels, et dégage 400 000 € de bénéfices. En 1996, il achète des locaux place Vendôme, à l'Arche de la Défense, revend le tout à un fonds de pension américain. « Hyperorganisé, aimant parler et montrer qu'il a de l'argent », il attire aussi l'intérêt des politiques. Selon lui, Georges Frêche lui propose de rejoindre sa liste de conseillers municipaux. « Il répond au président de Région : "Au vu de nos deux personnalités, je ne peux accepter, car il y en aurait un de trop". » Bernadette, son épouse, était pharmacienne quand il la rencontre en janvier 1978. Il travaille au laboratoire Dolisos, elle est sa première cliente, il l'épouse en octobre. « Un couple uni, modèle, amoureux comme au premier jour » selon les proches. « Je n'ai eu que des rêves avec ma femme », assure-t-il. Jusqu'au crime, dans cette maison qu'il appelait « mon paradis »
Amaury d'Harcourt, l'ami
« Sa personnalité est insaisissable. Personne, ni lui-même, ne la connaît réellement. » La formule est de sa fille, et résume bien l'incroyable personnage qu'est le vicomte Amaury d'Harcourt. Né en 1925, il a grandi dans le château familial de Saint- Eusoge (Yonne). « La famille d'Harcourt symbolisait l'élite de l'aristocratie, celle qui avait encore une grande fortune », estime sa première épouse. « A Saint-Eusoge, on vivait comme au Moyen-Age. Une vie de cour, réglementée, balisée (...), étanche aux modernismes suspects. Ici, les lois républicaines n'avaient pas effleuré les coutumes ancestrales pour lesquelles n'existe que le droit du sang. »
Passionné de chasse, le vicomte s'engage en 1944 dans les FFI, au 2e bataillon de choc De Lattre de Tassigny, puis part en 1947 au Congo Brazzaville, où il vit cinq ans. Il y est représentant en pastis, patron d'une usine de briquetterie, créateur de deux maisons de disques de musique africaine. « Il n'a réussi qu'une seule chose dans sa vie, c'est de se ruiner », précise sa première femme, qui dit « n'avoir été pour lui qu'un trophée de chasse. C'est un dragueur impénitent. » En 1970, il se remarie, après avoir vécu un an à New York, « invité par un peintre surréaliste ». Il achète le hameau de Sainte-Lucie, en Lozère, où il crée le Parc du Gévaudan, qu'il sera contraint de revendre « après avoir ouvert un restaurant trop luxueux pour le public local ».
Pour sa troisième épouse : « Ayant lui- même élevé des loups, des ours, c'est un homme solitaire et silencieux. » Après la Lozère, le vicomte met le cap sur Chambord, où il devient conseiller des chasses présidentielles, sélectionne le gibier, se déplace dans les pays de l'Est. Dans les années 80, il adhère à Invitation à la vie (Ivi), une association considérée comme une secte en France. « Pour lui, c'était bien, car c'était un vivier de femmes », raconte sa fille. « Il est rapidement monté en grade, son nom dans la secte était Soleil d'Emeraude. » Il est responsable d'Ivi en Scandinavie, puis en Australie, à Tahiti. « Il a toujours vécu en dehors des réalités », conclut sa fille.
Meziane Belkacem, le jardinier
A 51 ans, c'est une tout autre trajectoire qu'affiche Meziane Belkacem. Une enfance en Algérie, dans la campagne kabyle, où, délaissé par ses parents, il garde jusqu'à ses 16 ans les troupeaux des grands-parents, cueille les olives, travaille à la ferme, dort dans le foin.
Il souffre de l'isolement, surtout lorsque sa soeur se marie, à l'âge de 14 ans. « Je n'avais personne à qui me confier. » A 20 ans, il vient rejoindre son père en France, qui ne le reconnaît pas à son arrivée : Meziane reste une semaine à l'aéroport, à l'attendre. Il se marie avec une femme que son père lui présente, et dont il aura un premier enfant, travaille comme ouvrier dans plusieurs entreprises de la région parisienne. Il divorce en 1989, se remarie trois ans plus tard, là encore avec une jeune femme présentée par son père.
Ils auront quatre enfants, et viennent s'installer à Béziers. Il travaille ensuite dans différentes entreprises comme agent d'entretien, tente de créer sa société en 1999, qu'il ferme un an plus tard. « Il était serviable, docile, toujours disponible, il ne rétorquait jamais », dit l'un de ses collègues.
Très travailleur, habile de ses mains, Meziane Belkacem est embauché à partir de 2003, en saison, par une société gardoise qui produit du gazon sur plaque. C'est ainsi qu'il rencontre Jean-Michel Bissonnet, venu se plaindre de ce qu'il avait acheté. Meziane Belkacem va arracher le chiendent, se propose pour d'autres travaux. « On m'a toujours dit : si tu veux réussir, fréquente des gens qui réussissent », explique-t-il, insistant sur la confiance accordée par ce dernier. « Pour la première fois, j'avais l'impression d'avoir un ami. »
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