Deux disparues et un éternel accusé
- Il est toujours ponctuel, un peu avant 9 heures. Monte lentement les marches du palais de justice de Metz, le buste raide. Arrivé en haut, il a toujours les mêmes gestes : dos au mur, bras croisés, jambes écartées, il sort une cigarette de sa poche, souffle longuement la fumée. Voici bientôt deux semaines que Jacques Maire, un maçon de 54 ans, comparaît devant la cour d'assises de la Moselle. Il est accusé de deux meurtres de jeunes femmes commis il y a plus de vingt ans, en 1983 et en 1987. Si son flegme est étonnant, son parcours judiciaire est carrément inédit. Jacques Maire en est à son troisième procès d'assises pour les mêmes faits.
Il a déjà été condamné deux fois : à 15 ans de prison en 2004, à 20 ans en 2006. La véritable prouesse - grâce à l'habileté de ses avocats et à une erreur de procédure - tient dans son temps passé derrière les barreaux : "seulement" 28 mois malgré ces lourds verdicts. Pour les familles des victimes, qui l'accueillent en criant "assassin", l'épreuve est terrible. Que Jacques Maire soit coupable ou innocent, "c'est de toute façon un véritable gâchis", lâche un des avocats de la partie civile.
Ilôts. Jour après jour depuis l'ouverture des débats le 6 octobre, les quarante-cinq témoins s'excusent de leur amnésie. "C'est que ça fait si longtemps, Madame la Présidente." Celui-ci qui aurait entendu Maire parler d'une pelle "pour aller déterrer les cadavres", ne se souvient plus de rien. Celle-là qui, alors en visite chez sa sœur, disait avoir vu Maire avec la deuxième victime le soir du meurtre, n'était finalement pas ce soir-là chez sa sœur. La présidente s'accroche patiemment aux rares îlots de cohérence. Dans ce délitement de souvenirs, Jacques Maire est finalement le seul à ne pas varier. Attentif, aux aguets, imperturbable.
"Je sais que c'est difficile à accepter pour les parties civiles, mais je suis innocent", répète-t-il de sa voix de rocaille. A chaque pause, il ressort pour fumer. Répond aux journalistes quelques mots au compte-gouttes. Son calme ? Il a "confiance en la justice". Les accusations portées contre lui, les nombreuses lettres anonymes le dénonçant ? "Des jalousies." Apparemment, à Dombasle, la petite ville de Meurthe-et-Moselle où il habite à nouveau après l'avoir un temps quittée, les hommes ont tous une raison de lui en vouloir. "Soit je suis sorti avec leur femme, soit je me suis bagarré avec eux", dit-il sans se troubler. A l'époque des faits, on le surnomme "le caïd de Dombasle". Au bar, le Kallyste, à la boîte de nuit le Madison, il fait le coup de poing tous les soirs. Cela, les témoins s'en souviennent. "Un bagarreur", "un gangster", "un coureur de jupons".
Une réputation qui n'en fait pas un meurtrier, rebondit la défense, soulignant l'existence d'un "contexte local" particulier. Lors de l'enquête, quarante et un fusils 22 long rifle, l'arme du deuxième crime, ont été retrouvés chez les habitants. Et dix-sept Dombaslois ont été suspectés. Deux d'entre eux ont d'ailleurs été condamnés dans d'autres affaires de meurtre.
Plus le procès avance, plus le dossier Jacques Maire semble vide. La première affaire, qui date de 1983, concerne une jeune femme de 20 ans, Odile Busset. Le 15 mars en fin de journée, elle dépose son enfant chez sa mère, et annonce qu'elle va faire la fête au Madison. La mise en examen de Jacques Maire, en 1995, douze ans plus tard, repose essentiellement sur le témoignage d'une amie d'Odile, Akima, qui dit l'avoir vue monter dans la voiture de Maire ce soir-là. A la barre lundi 13, elle affiche de surprenants arguments. "Je suis curieuse de nature, et je suis un peu voyante. Donc j'ai reconnu la voiture." La présidente respire un grand coup. "Vous avez vu la voiture, où bien c'est dans le cadre de votre voyance ?" "Je l'ai vue. Et j'ai vu aussi deux types qui s'accroupissaient à l'arrière comme des coussins. Je me suis dit là, il va se passer quelque chose, comme dans un film." Deux minutes plus tard, elle innocente Maire. Puis l'accuse à nouveau. Le corps d'Odile Busset n'a jamais été retrouvé.
Décharge. La deuxième affaire remonte à 1987. Le 31 janvier, le cadavre de Nelly Haderer, 22 ans, est découvert dans une décharge de Saint-Nicolas-de-Port, non loin de Dombasle. Sa tête, ses bras, une de ses jambes, son visage et ses mains ont été découpés. Un premier légiste affirme qu'un tel massacre ne peut être l'œuvre que d'un "professionnel, désosseur ou boucher". Des témoins affirment alors que Jacques Maire a travaillé "dans une boucherie en Allemagne". D'autres auraient vu la jeune femme monter dans la voiture de Maire quelques heures avant sa disparition. Aujourd'hui, ils n'en sont plus certains.
Parmi les journalistes présents aux deux premiers procès de Jacques Maire, à Nancy puis à Epinal, tous disent leur "stupéfaction" d'avoir vu l'homme condamné. En 2004, c'est une décision du juge des libertés qui lui permet de ressortir pour attendre son appel. En 2006, c'est une erreur de la greffière, qui oublie de signer 32 pages du procès-verbal. L'audience de 2008 devrait être la dernière. Le verdict est attendu demain.
Source : Libéstrasbourg
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