Le mystère du «fantôme de Heilbronn» élucidé!
La criminelle la plus recherchée d’Allemagne n’existe vraisemblablement pas. En cause: des cotons-tiges de tests ADN contaminés
C’était le fantôme le plus recherché d’Allemagne. On avait retrouvé ses traces ADN sur les lieux de plus d’une quarantaine de crimes et agressions dans le sud du pays, et même en Autriche et en France. Le «fantôme de Heilbronn», comme l’avait surnommé la presse, était soupçonné d’avoir mortellement touché une jeune policière de 22 ans à Heilbronn, au nord de Stuttgart, en avril 2007, et d’avoir grièvement blessé son coéquipier.
Selon le profil ADN, ce devait être une femme. Mais, comme tous les fantômes, celui de Heilbronn n’existe pas. C’est aujourd’hui une panne assez mortifiante pour la police allemande, nettement surclassée par les Experts des séries télévisées. Pendant des mois, elle se serait laissée abuser par des bâtonnets de coton vraisemblablement contaminés, a révélé le magazine Stern.
Le ministre de la Justice du Bade-Wurtemberg, Ulrich Goll, a admis jeudi que les empreintes génétiques relevées ces derniers mois sur une dizaine de lieux de crime dans la région ne provenaient sans doute pas de la même tueuse en série, mais vraisemblablement de cotons-tiges contaminés, employés pour prélever les indices biologiques. C’est, selon lui, l’hypothèse la plus plausible.
«Cela n’aurait jamais dû se passer, les enquêteurs n’y sont cependant pour rien. Ils ne pouvaient savoir que les bâtonnets recelaient déjà des traces ADN», a admis le ministre. Les laboratoires de la police criminelle de Stuttgart vont examiner maintenant si les empreintes génétiques correspondent effectivement à celles d’une des employées de l’entreprise qui livre les cotons. Il pourrait s’agir d’une firme de Hambourg qui fournit également du matériel aux polices autrichienne et française, selon Bild Zeitung. Même si les cotons-tiges sont stérilisés, cela n’exclut pas pour autant une contamination par de l’ADN indésirable en cours d’emballage ou de production, expliquait jeudi un biochimiste.
«Si c’est vrai, alors c’est une histoire très pénible», a admis le président du syndicat de la police, Josef Schneider, à la télévision. L’an dernier, les laboratoires de la police criminelle de Stuttgart avaient analysé plusieurs échantillons de cotons-tiges pour éliminer cette probabilité, sans trouver trace de contamination. Mais, à la mi-mars de cette année, le Ministère public de Saarbrück avait été très étonné de découvrir des empreintes du «fantôme de Heilbronn» dans du matériel génétique destiné à comparer l’ADN d’un corps retrouvé calciné avec celui d’un requérant d’asile déclaré disparu depuis 2002. Or la présence du «fantôme» était techniquement impossible.
Depuis l’assassinat de leur jeune collègue de Heilbronn, les policiers allemands avaient lancé une véritable «chasse à la femme» à travers tout le pays. Car les analyses ADN étaient formelles: les empreintes génétiques étaient bien celles d’une femme. La commission d’enquête spéciale de Stuttgart, forte d’une trentaine d’enquêteurs, l’avait baptisée «Uh-We-Pe», pour unbekannte weibliche Person (personne inconnue de sexe féminin). Cette conclusion troublait pourtant fortement les enquêteurs, car à plusieurs endroits où l’on avait retrouvé les mêmes empreintes, des témoins avaient tracé le portrait-robot d’un homme. En remontant dans l’histoire, on avait retrouvé des traces identiques dans des agressions de 1993!
On évoquait une criminelle très mobile, frappant aussi bien en Autriche qu’en Alsace, fréquentant les milieux de la drogue et âgée de 20 à 50 ans. Mais en réalité personne n’avait jamais vu son visage. La dernière fois où les policiers scientifiques avaient cru retrouver la même empreinte génétique, c’était en automne dernier, dans un appartement de Stuttgart où un homme d’une trentaine d’années en avait agressé un autre. Mais hormis les traces d’ADN, aucun lien évident avec le prétendu «fantôme de Heilbronn». Depuis des mois, les enquêteurs doutaient de plus en plus de son existence, mais sans pouvoir prouver la contamination des indices.
Il n’empêche: avec une récompense de 300 000 euros à la clé, c’était la «criminelle» la plus recherchée d’Allemagne. C’est aujourd’hui, pour la police allemande, l’échec le plus humiliant.$
Source: Yves Petignat, Le Temps (Genève)
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