Le rapprochement et les fouilles du 5 juin
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Comment les Aubert et Martinez ont-ils pu faire un rapprochement entre le fuyard de l'accident et l'enlèvement à Marseille d'une fillette si l'on considère comme très probable que le crime eut lieu avant l'accident ?
La réponse est dans l'ambiance qui entoure la disparition de la petite dans Marseille et ses alentours. Les journaux l'affichent tous en grands titres. La description du ravisseur est le plus souvent, un jeune bien vêtu en voiture grise.
Citation :
Si les Aubert, avec tous les éléments dont ils ont connaissance à la Pomme ne se manifestent pas, plus personne ne le fait jamais nulle part.
Ils auraient connaissance d'une voiture grise, venant de Marseille à une heure compatible avec l'enlèvement, conduite par un individu jeune qui provoque un accident et commet un délit de fuite et il ne leur viendrait pas à l'esprit de se dire que peut-être ...
Il peut être ajouté aux précédentes remarques, que dans le journal, le jeune est bien vêtu. C'est une remarque importante dans le contexte de l'époque. Un jeune bien habillé c'était un minet. Aubert ne sait pas comment est habillé le conducteur, mais la voiture qu'il voit est une voiture de minet. Il le sait d'autant plus qu'il travaille dans le secteur de l'automobile.
Cette remarque est valable aussi pour Martinez.
Qu'a pu être le chemin de pensée de Martinez pour en arriver à appeler la Gendarmerie et dire qu'il pourrait y avoir un enfant ?
Supposons qu'il écoute la radio, qui serait la première info qu'il entendrait, le jour même de l'accident si ça se trouve, ou le lendemain de bonne heure. Il apprend qu'une fillette est enlevée par un jeune à une heure proche de l'heure de son accident, la voiture est grise. Alors il sursaute un peu. Mais il entend Simca, et il se dit, non ça peut pas être ça. Mais toute la journée il va se tracasser.
Le 4 et 5 il ouvre le journal et ça recommence, il sursaute encore. Mais il lit Le Provençal et il n'y a plus de Simca, la voiture est juste grise, eh bien il se dit mince. Les journalistes de la radio ne se seraient-ils pas gourés, par hasard ? Il n'a pas besoin d'agrandir un photo de l'arrière d'une 304 pour se rendre compte qu'elle ressemble à une Simca 1100, non, sinon qu'il se dit : s'ils se trompent de marque de voiture, ça peut très bien être le jeune con de la Pomme. Il téléphone aux gendarmes. Pourquoi aux gendarmes ? D'abord parce qu'il connait ceux du coin depuis la veille, c'est là où il a eu l'accident et aussi qu'on appelle plus facilement à une gendarmerie qu'à l'Évêché si on peut l'éviter, je crois.
Qu'est-ce qu'il va leur dire ? Peut-être une chose dans le genre :
- Je ne suis pas sûr mais vous feriez mieux de vérifier parce que c'est pas normal qu'il se soit sauvé.
- oui mais Monsieur, nous on cherche une fillette, vous l'avez vue ?
- Moi non, mais elle pouvait bien y être, j'ai pas bien vu l'intérieur de la voiture. Par contre l'autre, Aubert, il l'a peut être vue. Moi je ne peux pas savoir je suis resté planté au carrefour.
Comme résultat on a, au final, un PV de gendarmerie qui relate : le témoin déclare qu'un enfant pourrait se trouver à bord.
L'incidence de la presse est valable aussi pour expliquer le rapprochement que fait Guazzone. Ce dernier n'a seulement eu besoin de voir qu'un jeune avec une voiture grise accidentée et un comportement bizarre. Il s'est mis à pique-niquer dans sa galerie avec sa voiture. Ce n'est même pas un voleur, pourtant Guazzone le trouvera tout de suite bizarre. C'est un jeune bien habillé avec une voiture grise. Il lit la même chose quelque part et, malgré avoir entendu parler de Simca à la radio, il pense qu'il est possible que certains journalistes se trompent donc il appelle la gendarmerie.
Le rapprochement que tous, Aubert, Martinez et Guazzone font, est souvent utilisé à charge comme ne pouvant être une coïncidence, Aubert aurait forcément vu et parlé d'une fillette quelque part. Mais Guazzone n'a pas vu de fillette, ce qui prouve que le rapprochement est possible seulement en voyant un jeune et une voiture grise ayant un comportement louche. Ce qui prouve que Martinez et Aubert n'ont besoin ni de voir, ni d'entendre ou d'entendre parler d'un enfant pour faire ce rapprochement, eux aussi.
Quant aux Aubert, Le méridional du 6 juin 1974 écrivait :
Citation :
Témoignage des Aubert :
Après avoir pris en chasse le coupé Peugeot et vu le conducteur détalé dans les fourrés, Monsieur lui a crié :
"Monsieur ! Monsieur ! ce n'est rien. Il n'y a que des tôles froissées. Il suffit de faire une déclaration d'assurance. Allons, monsieur, ce n'est pas une histoire... seulement des toles froissées." Comme l'homme ne lui répondit pas, il repartir en grommelant contre les conducteurs du dimanche.
"J'ai vu, devait-il dire plus tard aux gendarmes d'Aubagne, l'homme sortir de sa 304 grise. Il tenait dans ses bras une forme blanche. J'ai cru qu'il s'agissait d'un paquet dont il voulait se débarrasser en cachette. Mais jamais je ne me serais douté qu'il s'agissait d'un enfant ! D'ailleurs, j'interpelais l'homme plusieurs fois."
Il semble évident, comme il le fut pour les assistants à l'audience du procès, F. Pottecher, entres autres, que leurs témoignages incertains et évoluants jusqu'à la contradiction furent le résultat de la pression exercée sur eux par l'enquête. Rien ne permettait d'affirmer si le crime était antérieur ou postérieur à l'accident mais l'enquête assumera que l'accident fut la cause indirecte du crime. Ce sera la thèse de l'accusation par la suite. C'est la pression de cette incohérence qui aurait produit l'évolution de leurs témoignages.
Ceci explique aussi les fouilles du 5 juin ne parviendront à trouver le cadavre qu'au bout de plus de deux heures. Le capitaine Gras ne fera pas appel à A. Aubert pour lui donner des précisions quant à l'endroit exact où il avait interpellé le fuyard, probablement parce que le gendarme savait déjà que le toulonnais ne pourrait guère l'aider. Au contraire de cela, il ordonnera un ratissage de la bordure nord de la route depuis le carrefour de La Pomme en descendant vers Valdonne.
Comment ce ratissage a pu être réalisé dans la pratique?
Suivant ce qui est écrit dans les PV de Gras, il n'y a pas beaucoup à inventer:
- la première ligne droite à partir du carrefour se fouille rapidement en longeant la route car le fuyard aurait pu lancer quelque chose
- après le premier virage impossible de continuer de cette manière. Il faut déployer les gendarmes le long de la route avec un intervalle de 4 ou 5 m entre chacun, puis les faire avancer perpendiculairement à la route dans le maquis une centaine de mètres, puis marche arrière, retour à la route et recommencer plus loin, vers Marseille, à partir du dernier homme.
En calculant une vingtaine de gendarmes, ils couvrent une centaine de mètres à chaque fois, donc ils recommenceront l'opération 6 ou 7 fois pour arriver au lieu de la découverte du corps. A un quart d'heure par phase on a les deux heures approximativement qu'ils ont mis pour arriver sur le lieu exact.
Par contre s'il vont directement sur le lieu ou même 100 ou 200 m avant, plus rien ne colle. Ils ne peuvent par tarder deux heures à trouver la chaussure et le cadavre.
Le ratissage débute à 14 heures et termine à 15 heures 45 par la découverte, à 620 mètres du carrefour, du cadavre de la fillette enlevée deux jours avant. A ce moment une conviction est acquise : le chauffeur de la 304, transportant l'enfant, a brulé le stop provoquant l'accident puis a tué la victime par peur d'être découvert. En conséquence, dès le début de l'enquête, plusieurs incohérences étaient posées. En premier lieu que le scénario qui pourrait accuser Ranucci avec moins d'incohérence est délaissé arbitrairement. Tous les faits sont placés, par Gras, dans les quelques minutes qui suivent l'accident, Alessandra en hérite ainsi que du suspect déjà arrêté.
L'accusation nait au moment de la découverte du cadavre de la fillette enlevée le 3 juin. Le scénario qui sera retenu, fera de Aubert le témoin principal, datera l'heure de la mort en fonction de l'accident, quelques minutes après celui-ci. Le télégramme prévenant le Préfet est envoyé et parle de fillette, découvrant ainsi le scénario que l'enquête pense retenir car Aubert n'est pas présent, la gendarmerie n'ayant jamais pensé qu'il ait pu en voir autant que ce que voudrait la Police.. Aubert apprendra des enquêteurs qu'il aurait vu une fillette.