Citation :
Non GIHEL cela ne se passe pas comme vous le dites. Et c'est là votre faiblesse, c'est que vous ne savez pas comment cela se passe. GRIVEL n'a pas suggéré le plan à CR. D'abord parce qu'il est incapable de le faire. Il sait ce que risque CR et ne va pas s'amuser à ça.
Ce n'est peut-être pas si évident que vous le dites. Dans le reportage du droit de savoir, Pierre Grivel indique que Ranucci lui aurait demandé ce qu'il risquait. Il prétend lui avoir répondu : au pis-aller, la peine de mort.
Et Ranucci de répondre, toujours selon le policier : la peine de mort pour ça ? Oh non, je risque 10 ans et j'en ferai 5 ou 6.
Au pis-aller dit-il. Ben non, ce n'est pas au pis-aller : l'enlèvement, l'assassinat sont à l'époque punis de mort. Et Ranucci n'ayant jamais eu maille à partir avec la justice ne peut pas connaître le système des libérations conditionnelles. On a d'ailleurs l'impression plutôt d'un dialogue avec un truand chevronné qui a l'habitude de négocier ses condamnations et de les évaluer. Après 19h d'interrogatoire et 4 heures d'aveux, je ne crois pas que Ranucci fût en mesure d'évaluer qu'il jouait sa tête et négocier avec un policier 6 ans de prison.
Car évidemment, Pierre Grivel ne nous dit pas ce qu'il a répondu à Ranucci : au pis aller la peine de mort, au mieux perpet. Ben oui. C'était le tarif, il ne faut pas rêver.
Et donc, prenant conscience qu'il risquait perpet au mieux et au pis-aller la peine de mort, il n'a pas accepté de faire des aveux sans avocats devant la juge.
Oh pardon je me trompe, il a fait des aveux sans avocat devant la juge. Donc il ne savait pas qu'il risquait la mort, ni perpet au mieux. Donc Grivel ne lui a rien dit sur ce qu'il risquait véritablement, contrairement à ce qu'il avance un peu imprudemment.
C'est d'ailleurs le problème. Je pense que personne ne se doutait que cela irait aussi loin.
Donc vous me dites que soudain, Ranucci a eu l'idée de demander un crayon et du papier pour dire, je vais vous faire un schéma pour vous expliquer comment je m'y suis pris pour enlever la fillette. Déjà, vu l'état de fatigue, je ne sais pas comment ç'était...
Cela va donner cela :
je me suis garé le dos aux trois garages. Mince sur le plan ne figurent pas les trois garages.
Car j'avais remarqué les enfants qui jouaient. J'ai usé de la technique du chien noir que j'avais rodé les jours précédents, j'ai dis au gamin d'aller le chercher dans la résidence, du côté où il y a la cour, que je vous dessine.
Mince, sur le plan ne figure pas la cour... Raté.
Il a remonté la rue : ah ouf, on a la rue qui monte !
Et le muret ? Ben il n'a qu'un intérêt tout relatif le muret. Il est trop court pour séparer quoi que ce soit.
Et l'herbe sur le bord de la route ? Aucun intérêt non plus dans la séquence des évènements.
Et pendant ce temps là j'ai fait monter la gamine, j'avais mis mon véhicule dans le bon sens pour aller tout de suite sur la rocade afin qu'elle ne puisse pas s'échapper. Ah mince il n'y a pas la rocade sur le plan, on ne peut pourtant pas la rater, on ne voit qu'elle. Raté.
Ce plan est statique, il ne révèle rien d'une méthode, d'un enchaînement d'évènements et pour cela, il ne peut pas servir à grand chose.
Donc en cela il n'est pas probant, d'autant qu'il ne révèle rien qui ne soit connu des enquêteurs.
Citation :
Les pressions ne consistent pas à dire aux policiers : trouvez quelqu'un même si ce n'est pas le bon. Les pressions c'est ! "Trouvez moi le coupable et vite !"
Le problème se pose quand on interprète le second message en le transformant en le premier message. Ben vous vouliez le coupable, on a celui-là qui est parfaitement présentable. Il fera l'affaire.
Vérifier ? Oh, il a avoué alors plus la peine.
Citation :
CR a avoué sans contrainte. Je ne dis pas que la garde à vue a été facile. Lorsqu'il avoue il y'a six personnes dans le bureau. Et ce ne sont pas six personnes qui ont trouvé un petit gars qui passait par là. C'est un petit gars dont on leur a dit qu'il avait été vu sortant de la 304 et entrainant une fillette dans les fourrés. On a cherché à l'endroit où il avait été vu et on a trouvé ce que l'on cherchait : le corps de la fillette.
La séquence n'est peut-être pas exactement celle que vous décrivez. Qu'il avoue sans contrainte, j'en suis persuadé, c'est le propre des aveux, lorsqu'on avoue, il n'y a plus de contraintes. C'est lorsqu'on refuse qu'il y a des contraintes. Comme disait Dils, j'ai avoué pour qu'on me laisse tranquille. C'est un peu normal.
On a cherché à tout hasard là où il a été vu, et on a trouvé le corps de la fillette, parce qu'on a fait une battue, à tout hasard. Hasard qui s'est révélé payant.
On ne fouille pas parce qu'on est sûr qu'on va la retrouver, on fouille parce qu'on pense qu'elle pourrait peut-être s'y trouver.
Citation :
Ce gars a les traces du meurtre sur son pantalon. Comme il ne sait plus quoi dire, il raconte que c'est de la boue.
Et c'est d'ailleurs une séquence très curieuse de l'interrogatoire. Il serait si simple de lui mettre le pantalon sous les yeux pour le contredire : il y a de la boue certes, y compris sur l'arrière, mais il y a du sang aussi. Pourquoi on ne le lui montre pas pour le confondre ? C'est à n'y rien comprendre.
Citation :
Il raconte qu'il n'est jamais allé à Marseille parce qu'il sait ce qu'il a fait à Marseille.
Autre séquence curieuse de l'interrogatoire, les enquêteurs lui laissent dire qu'il a passé la nuit à Salernes et ne rétabliront jamais la vérité.
Citation :
Il a sur ses mains les traces des piqures qu'il ne pouvait se faire que sur le Lieu du crime en recouvrant le corps de MD pas devant la champignonnière. La végétation de la champi n'a pas changé et si vous êtes sincères, vous conviendrez que l'ormeau est à portée de main. Pas besoin de se bousiller les mains pour le récupérer. Les ronces, il faut les chercher et il faut être fou pour les attraper à pleines mains et les mettre sous les roues.(il n'y en avait pas sous les roues)
De même qu'il faut être fou pour recouvrir le corps de piquants alors qu'on trouve sur place du laurier, des branches de pins bien plus couvrantes que l'argeras.
Citation :
Il dessine le schéma sans contrainte. Il indique où se trouve le couteau et on trouve le couteau à cet endroit.
Il correspond au signalement de celui qui a enlevé, sa voiture correspond. Tout correspond.
Aux lunettes près, à la marque de voiture près tout de même, ce qui n'est pas insignifiant.
En fait tout correspond, mais rien de correspond. Le paradoxe pour vous, c'est que l'affaire est bouclée, en même temps, elle ne l'est pas. C'est la tragédie, aussitôt un livre publié certifiant la culpabilité, il faut recommencer. C'est Sisiphe.
Elle ne l'est pas justement parce que pour que tout corresponde, c'est compliqué, on est obligé de rogner les bords, on est obligé de comprimer certaines choses. Oh je ne dis pas, en procédant de la sorte, on parvient à se rassurer : il était bien sur les lieux, c'est bien la 304 que les Aubert ont vu, il avoue, etc...
Mais le scénario est curieux, pourquoi aller là, dans cette entrée de chemin là, la deuxième, alors que la première est tellement plus visible ?
pourquoi remonter jusqu'au terre-plein, pourquoi faire demi-tour et rentrer dans un tunnel qu'on ne connaît pas, si malaisé, si sombre, si peu hospitalier ?
Tout d'un coup le scénario si simple ne colle plus, la cuirasse présente ses défauts. Si on se débarasse du couteau en l'enfonçant dans la tourbe, on se débarasse aussi des affaires tachées de sang. Pourquoi garder le pantalon ?
Quelque chose ne va pas. C'était si simple, et ça devient compliqué.
C'est pour cela que les avocats ont une excuse tout de même, une excuse que n'ont pas les juges ou l'avocat général. Ranucci ne contestait pas au début sa culpabilité. Le Forsonney dit tout de même qu'il voyait un jeune homme qui ne se défendait que sur l'accessoire, et qui reconnaissait les faits. Qu'il n'arrivait pas à s'opposer à une sorte d'opinion générale : de toute façon, il est coupable, c'est une évidence.
Il ne faut jamais oublier : les évidences sont trompeuses bien souvent.
Et ce n'est que bien plus tard, une fois l'instruction close, qu'ils s'apercevront que le scénario ne colle vraiment pas. Mais à ce moment là, ils sont seuls. Et c'est perdu, on ne rattrape pas une instruction ratée.