Entretien
Dernière mise à jour: 29 septembre 2004

 

 

Gilles PERRAULT

 

C'est son livre, "le pull-over rouge", publié en 1978, qui permit de relancer l'affaire Ranucci.

Gilles Perrault fut en effet le premier à souligner les imprécisions ayant entouré l'affaire et à révéler l'importance de certains éléments méjugés par l'enquête et l'instruction.

Que l'on accepte ou non les conclusions de sa contre-enquête, il faut à tout le moins lui accorder l'immense mérite d'avoir préservé ce dossier d'un oubli définitif et contribué à ce qu'il devienne le symbole de l'ignominie de la peine de mort.




- C'est Jean-Denis Bredin qui vous a incité à vous intéresser de plus près à l'affaire. Comment vous a-t-il convaincu d'entreprendre une véritable contre-enquête et était-ce votre but initial?

A vrai dire, non. Jean-Denis Bredin est quelqu'un que j'aime et que je respecte beaucoup. Il m'avait parlé de l'affaire en me disant, avec son goût prononcé de la litote, qu'il y avait eu dans ce dossier des choses peu convenables.
Je n'avais personnellement pas suivi l'affaire Ranucci. Son exécution m'avait évidemment choqué, mais je n'avais aucune raison de douter de sa culpabilité. Je pensais en effet que l'on ne prononçait une condamnation à mort que sur la base d'un dossier béton. C'est donc dans cet état d'esprit que je suis parti à Marseille pour y faire un tour, rien de plus.

Ma première visite a été bien sûr pour la famille Rambla que j'ai pu rencontrer grâce à l'intervention de Gilbert Collard. Je tenais beaucoup à les voir. Depuis l'exécution de Ranucci, l'excitation générale était retombée et le soutien et les encouragements, qu'ils avaient reçu au moment de l'affaire, s'étaient raréfiés. Je me souviens d'un autre Monsieur Rambla qui se retrouvait ainsi que sa famille, justice ayant été rendue pour eux, avec le malheur inconsolable de la perte de leur fille.

Ma seconde rencontre a, en vérité, été déterminante. Eugène Spinelli avait assisté à l'enlèvement de Maria-Dolorès, sans se douter qu'il s'agissait d'un enlèvement puisqu'il avait vu une petite fille monter de son plein gré dans une voiture. Et cet homme haïssait les assassins d'enfants. Je crois que si on lui en avait donné un, il aurait été capable de le tuer lui-même. J'ai vu un homme bouleversé, presque torturé. Je le reverrai toujours, il était là et me disait: "Monsieur, ce n'était pas un coupé Peugeot, mais une Simca."

- N'avait-il vraiment aucun doute sur la voiture du ravisseur?

Aucun. Il ajoutait: "je peux me tromper sur tout, mais cela fait vingt ans que je travaille dans la carrosserie. Ce n'était pas un coupé Peugeot. Un coupé a deux portes. C'était une Simca 1100, j'en suis sûr. Elle a quatre portes."
Vous savez, je pourrais personnellement confondre un coupé Peugeot et une Simca 1100, mais pas deux couvertures de maisons d'édition. Je ne confondrai jamais une couverture Gallimard blanche à liseré rouge avec une couverture Grasset, parce que c'est mon métier. Pour Eugène Spinelli, cette certitude est du même ordre.
Je vous disais que cet homme était torturé. L'enlèvement et le meurtre de Maria-Dolorès l'avaient tellement bouleversé qu'il aurait préféré avoir vu un coupé Peugeot et que tout soit en ordre. Malheureusement non, le ravisseur de la petite fille avait bien une Simca 1100. Par conséquent, si ce n'était pas la voiture de Ranucci, c'est que ce n'était pas lui qui avait enlevé la fillette.
Et là je me suis dit que quelque chose n'allait pas dans cette affaire. Dans un enlèvement d'enfant, les témoins sont rares. Or, nous avions là un témoin crédible, sans la moindre complaisance à l'égard des ravisseurs et assassins d'enfants, qui donc partageait la colère et la fureur collective de la cité. Et pourtant ce témoin a été écarté par la police et par le magistrat instructeur. La police a tenté de lui faire signer un procès-verbal qui lui faisait dire le contraire de ses propos, ou à tout le moins en atténuer la portée; la juge d'instruction n'a, de son côté, même pas convoqué ni entendu Eugène Spinelli, pas plus qu'elle n'a voulu reconstituer la scène de l'enlèvement de la fillette.

Tout ceci m'interpella. J'étais arrivé à Marseille, très sceptique, par devoir et par égard pour Jean-Denis Bredin et bien disposé à repartir trois jours plus tard, mais là l'évidence s'imposait à moi: Ranucci était peut-être l'assassin mais il ne pouvait en tout cas avoir enlevé Maria-Dolorès. Cette évidence était d'ailleurs confortée par les déclarations du petit Jean Rambla qui avait parlé lui aussi d'une Simca devant les journalistes.

- Quel crédit peut-on apporter au témoignage de Jean Rambla?

Jean Rambla était tout jeune à l'époque, il avait six ans. Il pouvait se tromper, bien sûr. Je n'attache pas d'importance excessive à la parole d'un enfant de cet âge, mais son témoignage confirme celui du garagiste, à mes yeux indubitable. Car, une fois de plus, à l'instar de Spinelli pour les voitures, nous avons tous des secteurs où nous ne pouvons nous tromper. En vérité, Eugène Spinelli a été mon chemin de Damas qui m'a fait prendre conscience que tout n'était pas aussi clair dans ce dossier.
Pour revenir au petit Jean, rappelons tout de même qu'on l'a amené dans la cour de l'Evêché tout à côté du coupé Peugeot et qu'il n'a pas reconnu la voiture aperçue dans la cité.

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