C'est
son livre, "le pull-over rouge", publié en
1978, qui permit de relancer l'affaire
Ranucci.
Gilles
Perrault fut en effet le premier à souligner les
imprécisions ayant entouré l'affaire
et à révéler l'importance de certains éléments méjugés
par l'enquête et l'instruction.
Que
l'on accepte ou non les conclusions de sa contre-enquête,
il faut à tout le moins lui accorder l'immense mérite d'avoir préservé
ce dossier d'un oubli définitif et contribué à ce qu'il
devienne
le symbole de l'ignominie de la peine de mort.
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-
C'est Jean-Denis Bredin qui vous a incité à vous
intéresser de plus près à l'affaire. Comment
vous a-t-il convaincu d'entreprendre une véritable contre-enquête
et était-ce votre but initial?
A
vrai dire, non. Jean-Denis Bredin est quelqu'un que j'aime
et que je respecte beaucoup. Il m'avait parlé de
l'affaire en me disant, avec son goût prononcé de
la litote, qu'il y avait eu dans ce dossier des choses
peu convenables.
Je n'avais personnellement pas suivi l'affaire Ranucci. Son exécution
m'avait évidemment choqué, mais je n'avais aucune raison de douter
de sa culpabilité. Je pensais en effet que l'on ne prononçait une
condamnation à mort que sur la base d'un dossier béton. C'est donc
dans cet état d'esprit que je suis parti à Marseille pour y faire
un tour, rien de plus.
Ma première visite a été bien sûr
pour la famille Rambla que j'ai pu rencontrer grâce à l'intervention
de Gilbert Collard. Je tenais beaucoup à les voir.
Depuis l'exécution de Ranucci, l'excitation générale était
retombée et le soutien et les encouragements, qu'ils
avaient reçu au moment de l'affaire, s'étaient
raréfiés. Je me souviens d'un autre Monsieur
Rambla qui se retrouvait ainsi que sa famille, justice ayant été rendue
pour eux, avec le malheur inconsolable de la perte de leur
fille.
Ma seconde rencontre a, en vérité, été déterminante.
Eugène Spinelli avait assisté à l'enlèvement
de Maria-Dolorès, sans se douter qu'il s'agissait
d'un enlèvement puisqu'il avait vu une petite fille
monter de son plein gré dans une voiture. Et cet homme
haïssait les assassins d'enfants. Je crois que si on
lui en avait donné un, il aurait été capable
de le tuer lui-même. J'ai vu un homme bouleversé,
presque torturé. Je le reverrai toujours, il était
là et me disait: "Monsieur, ce n'était
pas un coupé Peugeot, mais une Simca."
- N'avait-il
vraiment aucun doute sur la voiture du ravisseur?
Aucun. Il ajoutait: "je peux me tromper
sur tout, mais cela fait vingt ans que je travaille dans
la carrosserie. Ce n'était pas un coupé Peugeot.
Un coupé a deux portes. C'était une Simca
1100, j'en suis sûr. Elle a quatre portes."
Vous savez, je pourrais personnellement confondre un coupé Peugeot
et une Simca 1100, mais pas deux couvertures de maisons
d'édition. Je ne confondrai jamais une couverture
Gallimard blanche à liseré rouge avec une
couverture Grasset, parce que c'est mon métier.
Pour Eugène Spinelli, cette certitude est du même
ordre.
Je vous disais que cet homme était torturé.
L'enlèvement et le meurtre de Maria-Dolorès
l'avaient tellement bouleversé qu'il aurait préféré avoir
vu un coupé Peugeot et que tout soit en ordre. Malheureusement
non, le ravisseur de la petite fille avait bien une Simca
1100. Par conséquent, si ce n'était pas la
voiture de Ranucci, c'est que ce n'était pas lui
qui avait enlevé la fillette.
Et là je me suis dit que quelque chose n'allait
pas dans cette affaire. Dans un enlèvement d'enfant,
les témoins sont rares. Or, nous avions là un
témoin crédible, sans la moindre complaisance à l'égard
des ravisseurs et assassins d'enfants, qui donc partageait
la colère et la fureur collective de la cité.
Et pourtant ce témoin a été écarté par
la police et par le magistrat instructeur. La police a
tenté de lui faire signer un procès-verbal
qui lui faisait dire le contraire de ses propos, ou à tout
le moins en atténuer la portée; la juge d'instruction
n'a, de son côté, même pas convoqué ni
entendu Eugène Spinelli, pas plus qu'elle n'a voulu
reconstituer la scène de l'enlèvement de
la fillette.
Tout ceci m'interpella. J'étais arrivé à Marseille,
très sceptique, par devoir et par égard pour
Jean-Denis Bredin et bien disposé à repartir
trois jours plus tard, mais là l'évidence s'imposait à moi:
Ranucci était peut-être l'assassin mais il ne
pouvait en tout cas avoir enlevé Maria-Dolorès.
Cette évidence était d'ailleurs confortée
par les déclarations du petit Jean Rambla qui avait
parlé lui aussi d'une Simca devant les journalistes.
-
Quel crédit peut-on apporter au témoignage
de Jean Rambla?
Jean Rambla était tout jeune à l'époque,
il avait six ans. Il pouvait se tromper, bien sûr.
Je n'attache pas d'importance excessive à la parole
d'un enfant de cet âge, mais son témoignage
confirme celui du garagiste, à mes yeux indubitable.
Car, une fois de plus, à l'instar de Spinelli pour
les voitures, nous avons tous des secteurs où nous
ne pouvons nous tromper. En vérité, Eugène
Spinelli a été mon chemin de Damas qui m'a
fait prendre conscience que tout n'était pas aussi
clair dans ce dossier.
Pour revenir au petit Jean, rappelons tout de même
qu'on l'a amené dans la cour de l'Evêché tout à côté du
coupé Peugeot et qu'il n'a pas reconnu la voiture
aperçue dans la cité.
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