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Enregistré le :12 mars 2005, 22:41 Messages :3751 Localisation :Paris
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Citation : auriez vous l'obligeance de m'en faire connaître la substantifique moelle?
et 2) ça n'explique pas pourquoi le forum est muet
Héloïse Mathon est née à Avignon le 16 septembre 1922. Ses parents, originaires de Lozère, étaient issus de familles paysannes pauvres. Le père est employé municipaL La mère subit un tel choc en lisant le télégramme lui annonçant la mort de son propre père qu'elle éprouve des troubles de la vision aboutissant bientôt à la cécité complète. Héloïse, âgée de sept ans, doit pourvoir aux soins du ménage en attendant qu'une grand-mère, puis une tante, viennent tenir la maison désormais désolée. Une lueur dans cette tristesse: la mère aveugle avait été élevée avec une enfant de l'Assistance publique recueillie par ses parents et restée chez eux jusqu'à l'âge de treize ans; or, cette Andréa, enfant empruntée, allait restituer à sa famille d'adoption tout l'amour qu'elle en avait reçu. Mariée, mère de famille, elle vient à Avignon s'installer à trois cents mètres des Mathon pour aider l'aveugle et la réconforter.
A dix-huit ans, Héloïse s'enfuit. Elle étouffe entre un père. aigri, rigoriste, et une mère enfermée dans sa cécité. Elle travaillait comme vendeuse dans une boutique de la ville mais elle brûle de franchir ses remparts et de découvrir le monde. Elle se sait séduisante. Elle a le goût du bonheur.Nîmes, Agen, Toulouse, Bordeaux. Elle voyage en auto-stop, procédé qui n'est guère d'usage à l'époque chez les filles mineures. Petits travaux ici et là. Des cartes postales à ses parents, mais toujours au moment de quitter une ville: elle a lu dans la presse les avis de recherche la concernant. Paris enfin, où une amie d'Avignon lui apprend que sa mère est gravement malade. Elle rentre par le premier train, est reçue sans reproche. C'est un cancer. Mais une opération réussie laisse espérer une rémission. Elle sera longue.
Pour rester près des siens, Héloïse s'engage comme serveuse dans un café de Marseille. Puis, sa mère allant décidément mieux, elle part pour la Belgique avec une amie et trouve du travail dans une auberge. Retour à Marseille où elle se fait embaucher dans une fabrique de jouets. La guerre éclate. La fabrique de jouets périclite et finit par fermer ses portes. Héloïse survit en assurant la garde d'enfants dont les familles sont dispersées par les événements. C'est la découverte d'une sorte de vocation. Elle adore les enfants et sait s'en faire aimer par sa douceur, sa patience, l'affection qu'elle leur voue comme s'ils étaient siens. Est-ce le souvenir d'Andréa, la sœur adoptive aimante-aimée de sa mère? Pour Héloïse, l'amour n'est pas forcément enfermé dans les cloisons familiales: il est aussi bien dans ces auberges espagnoles ouvertes à tous vents où l'on trouve toujours ce qu'on apporte.
A la Libération, nouveau départ pour la Belgique avec l'amie ancienne. Elles s'embauchent comme serveuses dans une auberge tenue par des immigrés polonais. Le fils des patrons tombe follement amoureux d'Héloïse. Il a dix-huit ans; elle, vingt-trois. C'est un gentil garçon qui apprend l'ébénisterie. Héloïse hésité à s'engager. Sa mère est au plus mal. Elle va lui fermer les yeux. Au retour, le garçon la presse de l'épouser. Elle décide, d'accord avec ses parents, de lui imposer une mise à l'épreuve et part pour Toulon prendre avec sa fidèle amie la gérance d'un bar.La gérance ne sera pas un succès, mais le séjour à Toulon est marqué par un événement inattendu: Héloïse adopte un enfant. C'est, pense-t-elle, le plus sûr moyen d'en avoir un, et peut-être le seul car elle craint de ne pouvoir être mère. Le petit fiancé belge? S'il l'aime vraiment, il acceptera. S'il renâcle, elle rompra. Un enfant lui importe plus qu'un mari.
Elle entame la longue série des démarches administratives, subit une visite médicale, fait l'objet d'une enquête approfondie, est enfin admise dans une salle où on lui donne à choisir entre une vingtaine d'enfants. Son choix se porte sur Gilbert, bébé métis de quatre mois.
Le fiancé apprend la nouvelle sans broncher.
Le mariage est célébré en Belgique. Naturellement, Héloïse refuse un voyage de noce qui la forcerait à se séparer du bébé. Le mari se fait une raison. Mais nul doute que l'accumulation des contraintes et l'amour passionnément exclusif d'Héloïse pour l'enfant entament rapidement la sérénité de cet excellent garçon dont l'âge tendre résiste mal à pareille avalanche. Les beaux-parents, craignant le naufrage du couple et constatant qu'Héloïse s'étiole au .climat belge, conseillent un établissement dans le Midi. On trouve un logement à Marseille; le mari s'embauche dans une menuiserie. Mais cela ne va décidément plus et l'on décide de rompre. Ce sera une séparation à l'amiable, sans heurts ni ressentiment. On se quitte bons amis et on le restera.
Sa nouvelle solitude n'en est point une pour Héloïse: elle a Gilbert.
Puis elle rencontre Jean Ranucci. Mince, brun, taciturne, il est le contraire du petit mari belge.
Ce marin de trente ans, dont la famille est d'origine romaine, a combattu sous le pavillon de la France Libre, servi en Indochine, navigué sur tous les océans du globe. Bien qu'ayant mis sac à terre, il n'aime que la mer et les bateaux, et passe des heures à écouter des disques exotiques. Il incarne enfin l'aventure. Et il fait bon accueil à Gilbert.
Le mariage est célébré le 20 mai 1952. Jean Ranucci travaille comme manutentionnaire dans un dépôt de pharmacie. Héloïse est réceptionniste dans un hôtel. Gilbert va à l'école.
Deux années passent et c'est la naissance de Christian, le 6 avril 1954. Héloïse est littéralement folle de joie. A trente et un ans, elle n'espérait plus la venue de cet enfant, que son mari tenait de son côté pour superflu: «On a déjà Gilbert. » Ce dernier, qui a maintenant sept ans et demi, accueille avec bonheur le petit frère. Héloïse engage, pour s'occuper du bébé, une jeune fille qui viendra naturellement de l'Assistance publique et deviendra bien entendu membre à part entière de la famille. La jeune fille ne fera d'ailleurs pas la découverte du bonheur car, orpheline à sept ans, elle avait été placée dans une ferme de l'Ardèche dont les patrons l'avaient entourée de tendresse.
Mais si notre histoire semble à l'envers du mélodrame de boulevard qui fait pleurer Margot, puisque les enfants orphelins ou abandonnés y trouvent leur bonheur dans des familles de hasard, voici le coup du sort qui va soumettre enfin les personnages à la loi du genre. Gilbert a neuf ans quand Héloïse reçoit du directeur de l'Assistance publique du Var une lettre lui annonçant que la vraie mère de l'enfant veut le reprendre, et que la loi l'y autorise. Héloïse est foudroyée. Elle ignorait jusqu'à l'existence de cette mère. Neuf ans anéantis par une simple lettre. Neuf années de soins constants, de soucis, d'affection, pour aboutir à cet arrachement. Que Gilbert ne fût pas né de sa chair, elle n'y pensait même plus. Il est son fils tout autant que Christian. Il est à elle. Et voici qu'on lui demande de le «préparer» à la séparation prochaine.
Cette femme fut ici admirable. Car s'il est peut-être aisé d'aimer un enfant adopté, il est sublime de consentir à le laisser partir sans éclats pour ne point mutiler sa sensibilité. La malheureuse, atrocement blessée, ne veut pas que Gilbert ait sa part de cette souffrance. Doucement, progressivement, elle le « prépare», selon le vœu de l'Assistance publique. Elle lui explique qu'il est un enfant chanceux: contrairement aux autres, il a deux familles, deux mamans, dont l'une lui est encore inconnue parce qu'elle était à l'hôpital. Il va bientôt faire sa connaissance. Ainsi ne va-t-il pas perdre sa famille: il en gagnera une seconde. L'enfant, d'abord perplexe, est bientôt gagné par ce tendre artifice.
Au jour fixé, Héloïse revêtit Gilbert de ses plus beaux habits et le conduisit à l'Assistance publique de Toulon, où sa vraie mère viendrait le chercher. Elle confia aux employés deux valises de linge, deux car. tons remplis de jouets et le petit vélo du garçon. Puis, à bout de force, elle se réfugia dans un jardin public et, dissimulée derrière un arbre, pleura à longs sanglots. Elle croyait alors toucher le fond de la détresse humaine.
On venait de lui reprendre son premier enfant.
l e pull over rouge de Gilles Perrault page 51 et suivantes
Pourquoi n'en a t-on jamais parlé ici...aucune idée, très franchement. _________________ "ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort."
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