Le pantalon
Dernière mise à jour: 21 septembre 2011

 

 
 

Procès-verbal n°828/4 du 5 juin 1974


Ce procès-verbal atteste la saisie du pantalon et des autres objets dans la voiture de Christian Ranucci.

Un hasard incroyable est à l'origine du litige entourant la rédaction de ce PV:
L'assistante de Maître Bredin, Conseil de Mme Mathon, qui photocopiait le dossier, n'arrivait pas à dupliquer ce procès-verbal. En haut de la page 2, disparaissait une partie de la copie. La mention "un pantalon d'homme de couleur sombre..." était placée très en en-tête du PV avec une fuite de la ligne frappée vers le haut.

Pour visualiser la partie litigieuse du procès-verbal, cliquez ici.

La conclusion paraissait évidente: cette mention avait été ajoutée après la rédaction initiale du PV.

Une expertise fut demandée, par les avocats de Mme Mathon, à M. faideau, expert en écriture. Celui-ci conclut:

J'ai remarqué que la première ligne du procès-verbal du 5 juin 1974 montait légèrement par rapport aux suivantes.
J'ai remarqué également que cette première ligne était décalée latéralement vers la droite en regard de la seconde et des autres lignes. Il est donc des plus probables que cette première ligne a été ajoutée postérieurement à la rédaction du procès-verbal, ce qui explique le mauvais alignement dans le sens haut-bas et droite-gauche constaté.
Il serait significatif que ces remarques soient confirmées après étude de l'original plutôt qu'après celle d'une photocopie.


Lors de leur requête en révision du 18 août 1981, les avocats de Mme Mathon demandaient à la Commission de faire les vérification nécessaires.
Les experts, nommés par le parquet général d'Aix-en-Provence, confirmèrent les conclusions de M. Faideau et ajoutèrent avoir observé une anomalie supplémentaire:


Le mouvement anormal de la ligne "un pantalon d'homme de couleur sombre" n'est pas strictement le même sur l'original du PV et sur sa photocopie; la distance entre la première ligne (un pantalon...) et la seconde (un tuyau...) est plus marquée sur l'original que sur le double.


Il fut en revanche impossible de déterminer le temps écoulé entre ces deux rédactions.

Pour les avocats de Mme Mathon, les conclusions des experts, divergeantes sur certains points, sont essentielles:

Elles établissent la réalité de deux anomalies gravement suspectes: non-alignement de la ligne portant les mots "un pantalon d'homme de couleur sombre", et différence du décalage sur l'original et le double.

Elles ne pouvaient situer, dans le temps, la rédaction de la ligne suspecte; mais elles rendaient très probable l'hypothèse formulée dans la requête: la ligne accusatrice avait été "ajoutée" au PV, après enlèvement puis réintroduction de la liasse dans la machine, à une date indéterminée.

La différence de décalage découverte par les experts sur l'original et le double rendait très probable un rajout de la ligne accusatrice postérieur à la rédaction du PV.


Le 30 décembre 1983, les avocats demandent au Garde des Sceaux de faire entendre les enquêteurs intervenus autour de ce rapport. Refus du ministère à l'exception du commissaire Alessandra, qui sera entendu le 3 octobre 1984 et qui déclarera:


J'atteste que le "pantalon d'homme de couleur sombre" dont il est fait état dans le procès-verbal dressé par mes soins le 5 juin 1974 a bien été saisi à Nice dans le coffre du véhicule Peugeot 304 appartenant à Ranucci, qui se trouvait dans son garage.
Ce pantalon a bien été saisi par moi-même dans les conditions indiquées dans le procès-verbal du 5 juin 1974 dont vous me présentez copie.

En ce qui concerne la dactylographie de la phrase: "Un pantalon d'homme de couleur sombre", il ne m'est pas possible de vous préciser si cette ligne se trouve ou non légèrement décalée par rapport à l'ensemble du texte.

En revanche, je puis attester que ce "pantalon d'homme de couleur sombre" est bien celui que j'ai saisi dans le coffre du véhicule de Ranucci et qu'il figure en conséquence en bonne et due forme dans l'inventaire dressé.

Si donc un décalage existe effecftivement, celui-ci est probablement dû au dactylographe qui a sans doute éprouvé le besoin, comme cela arrive très fréquemment lorsque l'on frappe la première ligne d'une page, d'ôter le procès-verbal de sa machine à écrire, pour mieux ajuster le carbone avec les pelures.
Bien entendu il s'agit là d'une pure hypothèse que je formule car je suis bien sûr dans l'incapacité la plus totale de définir les conditions dans lesquelles ce procès-verbal aurait été enlevé de la machine, puis remis.

En tout état de cause j'affirme ,que ma signature a bien été apposée au bas du texte tel que celui-ci apparaît sur le procès-verbal dont vous présentez copie.

J'ajoute enfin que Ranucci n'a jamais contesté la saisie de ce pantalon ce qui prouve bien que celui-ci faisait partie de façon tout à fait incontestable des objets saisis dans les conditions indiquées dans le procès-verbal.


Une nouvelle expertise est alors demandée par le même parquet général.
Les conclusions des nouveaux experts dépassent les précédentes. Ils notent que la ligne de PV mentionnant la saisie dudit pantalon est "sensiblement horizontale par rapport au bord supérieur de la feuille, cependant que, à partir de la seconde ligne, le texte descend nettement".
Ils ajoutent également que "au point de vue de la présentation écrite, le ligne 1 introduit une discontinuité dans le cours de la rédaction". Ils démontrent que le pantalon bleu, dont la saisie est mentionnée sur la ligne 1, fait l'objet d'une présentation totalement anormale par rapport au reste de l'inventaire.

En réponse aux affirmations du commissaire, ils préciseront ceci:


Il n'y a aucune justification technique à une interruption de la frappe dactylographique à seule fin de remanier la liasse.
Ils ajoutent: Nous estimons hautement invraissemblable que son dactylographe ait interrompu une ligne d'inventaire laissant un blanc important (de 14 à 17 caractères). S'il avait voulu remanier la liasse, il aurait, avant de la retirer de la machine, entamé la frappe de l'objet suivant ou, à l'extrême rigueur, annulé par des tirets l'espace restant.

Ce dactylographe, selon les experts, annule systématiquement tout espace blanc par des tirets, ne tolérant qu'un blanc de 6 ou 7 caractères en fin de ligne. Après la première ligne, il énumère les objets saisis à la suite les uns des autres, sans jamais aller à la ligne. Le pantalon serait étrangement le seul objet saisi pour lequel il aurait soudain choisi d'aller à la ligne, sans annuler les blancs.


Pourquoi avoir refusé une audition des enquêteurs étant intervenus autour de ce procès-verbal? La justice a-t-elle craint leurs réponses qui pouvaient mettre à mal la réalité d'un élément clé de l'accusation?

En résumé, tout le monde s'accorde pour dire que ce procès-verbal n'a pas été rédigé de manière continue.

Les experts confirment l'anormalité de la rédaction du procès-verbal, eu égard aux habitudes du dactylographe, à la manière dont a été rédigé la suite du procès-verbal; ils réfutent également les explications sommaires du commissaire Alessandra.
Bref, il s'est passé quelque chose d'anormal.




La Commission de révision des condamnations pénales, dans sa décision de rejet de la requête en révision, statue de la manière suivante:


Attendu qu'il n'est pas démontré par la demanderesse que, sur le procès-verbal D16, la mention "un pantalon d'homme de couleur sombre", comportant un décalage de frappe en léger biais, ait fait l'objet d'une manipulation suspecte; qu'en effet les experts désignés... concluent qu'il est impossible de déterminer avec précision le temps écoulé entre la frappe des différentes lignes du procès-verbal; que dès lors ne sauraient être remises en cause les affirmations dudit procès-verbal, selon lesquelles le pantalon a été saisi dans le coffre du véhicule de Ranucci, alors surtout que celui-ci, présent lors de cette saisie, n'a jamais contesté, au cours de la procédure, l'emplacement où le pantalon a été trouvé.


Peut-on, par conséquent, en déduire que ce qui est anormal peut être suspect?

Non, répond la Commission de révision, puisque rien ne permet de préciser le temps écoulé entre les deux rédactions.


La découverte du couteau s'est opérée dans des circonstances pour le moins étranges. Celle du pantalon l'est tout autant. Et le malaise persiste.

Doit-on croire aveuglément la version officielle qui expliquerait ces anomalies par un souci très légitime des enquêteurs d'identifier et d'arrêter le coupable le plus rapidement possible, quitte à commettre des "erreurs" dues à la précipitation de l'instant?

Pas sûr. Le couteau et le pantalon étaient deux éléments clés de l'accusation. La saisie du pantalon dans la voiture de Christian Ranucci fut même utilisée par le président de la cour d'assises et l'avocat général pour recommander au Garde des Sceaux le rejet du recours en grâce.

On peut accepter une erreur ou une maladresse. Mais si l'une ou l'autre se répète, c'est qu'il y a plus ou autre chose.

Les autorités comme la Commission de révision semblent considérer ces éléments comme accessoires, sans aucune relation avec la réalité du dossier, les aveux de Christian Ranucci. Le problème est que ce dernier s'est rétracté, qu'il a contesté plusieurs points de l'accusation.

Puis enfin, posons-nous une seule question et si l'on peut y apporter une réponse précise et logique, acceptons la culpabilité de Christian Ranucci:

Pourquoi aurait-il commis ce crime atroce, changé de pantalon et..... décidé de le remettre dans le coffre de sa voiture plutôt que de le détruire ou de s'en débarrasser ?



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